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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Michael Mantia, citoyen en uniforme de gardien de parc

Michaël Mantia, gardien-animateur de parc, nous emmène dans sa ronde porte de Hal. Un véritable poste d’observation pour découvrir la sociétébruxelloise.

21-11-2010 Alter Échos n° 305

Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, l’équipe des gardiens-animateurs de parc veille au grain sur la porte de Hal en bordure du centre-ville bruxellois. Noussuivons l’un d’eux, Michaël Mantia, dans sa ronde.

Un matin comme tant d’autres à la porte de Hal. Nous marchons depuis quelques minutes à peine qu’un premier cas d’école se présente à nous. Main dans lespoches, un jeune mec pas très net fait nerveusement les cent pas aux abords d’un feu rouge. Plus tôt déjà, Michaël l’a surpris en train de rôder avec uncomplice. « Probablement pour voler un sac », déduit-il. Le gardien fixe le voleur dans les yeux. Sous l’ombre de sa casquette, le gars lui rend son regard sans ciller.« Je lui ai montré que je l’ai vu, que je sais pertinemment ce qu’il fait. Il a vu que je sais. Parfois, un simple échange comme celui-là suffit pour éviter bien desproblèmes », commente le gardien de parc.

Les deux hommes continuent à se fusiller du regard pendant de longues secondes. Pour seules armes, les gardiens de parc ne peuvent compter que sur l’effet dissuasif de leurprésence et sur leurs talents diplomatiques. « On n’est pas assermentés, on n’a pas de pouvoir sur les gens. Avant tout, on est des citoyens en uniforme. Pour éviterles problèmes, tout ce qu’on a c’est notre langue. Le langage corporel aussi, c’est important. Et quand la situation prend des proportions trop graves, alors on est obligéd’appeler la police. »

Emmitouflé dans sa veste vert sapin, Michaël Mantia reprend le cours de sa ronde. Tandis que nous nous éloignons, le supposé carjacker nous jette un dernier coupd’œil mauvais par-dessus son épaule. « Si une vieille dame est agressée, on la rassure. Si on retrouve un portefeuille dans les buissons, on cherche à avertirson propriétaire », m’explique-t-il en marchant. Et répète dans la foulée sa réplique préférée : « Avant tout, on est des citoyensen uniforme ».

À la croisée des chemins

Malgré la fraîcheur matinale, le parc se révèle étonnamment animé. Des passants pressés s’engouffrent dans les bouches du métro. Surles bancs, des habitués profitent des derniers rayons de soleil de la saison. Les gardiens connaissent la plupart d’entre eux par leur prénom. Un travail de proximité,comme on dit.

La porte de Hal est un carrefour social comme géographique. Au sud, la gare du Midi et le quartier populaire des Marolles. Au nord, l’avenue Louise et ses boutiques bon chic, bon genre.« Dans ce parc, on rencontre toute la société », constate mon guide du jour. « Le matin, on voit passer les fonctionnaires. Le soir, c’est plutôtfréquenté par les familles, les gens du quartier. À midi, les infirmiers du CHU Saint-Pierre viennent prendre leur pause. Parfois, on croise des hommes politiques qui ont leursbureaux pas loin. On voit aussi beaucoup de misère, des toxicomanes, des alcooliques, des sans-abri. »

C’est aussi un lieu de transit notoire où se réfugient les clandestins en route pour l’Angleterre. Des passeurs les débarquent de leur camionnette à ladérobée. Ils errent quelques jours dans le parc en attendant qu’un autre véhicule les embarque vers d’autres galères. En mai 2009, quelque deux cents sans-papierss’étaient retrouvés bloqués dans le parc, attirant l’attention des médias. Depuis, les caméras sont reparties. Mais le problème, certes dans une mesure bienmoindre, est toujours présent.
 

De bas en haut

Entre les grands travaux entrepris pour construire le tunnel routier et le parking souterrain, le parc de la porte de Hal s’est construit de façon relativement anarchique. Il y a quelquesannées, l’IBGE, aujourd’hui Bruxelles-Environnement, a remis un peu d’ordre dans ces espaces verts. Terrain de sport, bac à sable, bassins, nouveau mobilier urbain, le parc a connu unerénovation en profondeur.

Dans le haut, la plaine de jeux trône fièrement avec son château fort en bois, clin d’œil médiéval au monument historique de la porte de Hal situéà trois pas. Les gardiens font de leur mieux pour préserver la tranquillité de cet espace familial. La nuit, il n’est pas rare que quelques squatteurs trouvent un abri pourdormir derrière les remparts miniatures. Le matin, il faut les réveiller, leur demander de plier bagage, sans non plus les braquer. « Ils sont surpris dans l’intimitéde leur sommeil. Ils sont souvent gênés, s’excusent beaucoup. On essaie de ne pas trop les brusquer. On leur explique que c’est un endroit qui doit rester familial et qu’ils ne peuventpas y rester. Les enfants, c’est l’argument suprême. En général, tout le monde respecte au moins cela. »

Alors que nous grimpons à notre aise en direction de cette plaine de jeux, je note un changement d’ambiance sensible. Sur les bancs, les mamans avec leur poussette remplacent les garslouches avec leurs clopes roulées. La route qui traverse le parc semble marquer une frontière entre ces deux univers. « On essaie de contenir les problèmes dans le bas duparc de façon à préserver une zone familiale dans le haut, explique Michaël Mantia pour répondre à ma question. Bien sûr, on est bien conscientsqu’en faisant cela on ne fait que déplacer le problème. Mais que peut-on faire de plus à notre échelle de gardien de parc ? Le vrai problème c’est qu’il fauts’attaquer structurellement aux racines mêmes de la pauvreté. »

Gardien, animateur et (un peu) travailleur social

Petite particularité, Michaël Mantia et ses collègues sont à la fois gardiens et animateurs. En créant cette nouvelle fonction, l’IBGE, gestionnaire des espacesverts régionaux, entend sensibiliser les usagers au respect de l’espace public. Les parcs de Bonnevie, Gaucheret, la Roseraie et les Ursulines participent aussi à ce projet.

« On fait deux métiers en un », résume Michaël. Le rôle du gardien classique c’est de veiller au respect du site et d’assurer une présencerassurante. En plus de cette fonction classique, l’équipe de la porte de Hal propose des animations aux jeunes et aux enfants du quartier. Basket, foot, dessin, jeux de piste, leprogramme est pour le moins varié. Les gardiens de parcs donnent aussi un coup de main pour organiser la fête du quartier. « Le but, c’est que les gens s’approprientl’espace vert, de montrer qu’il y a bien plus à faire dans un parc que de rester assis les bras croisés. Les animations servent de prétexte pour amorcer lacommunication. On explique les règles, plutôt que de les appliquer bêtement. Le règlement n’est pas une arme, mais un objectif à atteindre. Bien sûr,ça nous oblige à pousser la réflexion plus loin, à argumenter. C’est plus exigeant ! »

Michaël et ses collègues insistent pour dire que ce n’est ni leur rôle ni leur vocation de prendre la place des éducateurs ou des assistants sociaux. Mai
s dans les faits,il faut bien constater que leur fonction est à la frontière du travail social. En place depuis trois ans, l’équipe s’est constituée petit à petit un réseauavec les associations du quartier vers lesquelles elle oriente parfois. « Il nous arrive, par exemple, d’accompagner un SDF au clos Sainte-Thérèse sur le parvis de Saint-Gillespour qu’il puisse prendre une douche et se reposer un peu. Même si, la plupart du temps, on nous demande plus souvent une cigarette qu’une bonne adresse. »

Souvent, les gardiens de parc sont confrontés à des situations délicates, nécessitant des décisions difficiles. « Dans la plaine de jeux, il y a beaucoupd’enfants livrés à eux-mêmes, déplore Michaël. Quand un gamin tombe, il faut faire attention à ne pas commander une ambulance si la blessure n’est passuffisamment grave. Les parents pourraient ensuite avoir des difficultés pour la payer. On a aussi un petit qui fugue régulièrement et sa mère ne veut pas qu’onappelle la police, elle a peur de se faire gronder par son mari. Qu’est-ce qu’on doit faire dans ce cas ? »

Une gentille bande de jeunes

Sur le terrain de foot mis à leur disposition, un groupe de jeunes fait des dribbles et des passes. On crie, on rit, on se bouscule, on se charrie. L’excitation est à son comblequand la balle frôle le goal. Un joyeux brouhaha qui a le don d’impressionner les passants. « Les gens ont peur dès qu’ils voient un rassemblement de jeunes. D’emblée,on les étiquette comme de la racaille. Avec les animations, on a appris à bien les connaître et je peux vous dire que ces jeunes-là sont géniaux. Si vous voulez vousasseoir pour regarder le match, ils vous accueilleront avec plaisir. » Le gardien m’explique aussi comment les jeunes du quartier ont mis en place un système de règles bienpensé pour se partager le terrain et éviter les conflits.

Si la première arme du gardien de parc, c’est la diplomatie, la seconde, c’est sans aucun doute l’empathie. Avant de venir travailler à Bruxelles, Michaël Mantia vivait àCharleroi. Les problèmes sociaux, il connaît bien. « Durant mon adolescence, j’en ai beaucoup souffert. Alors, je me suis dit que si je pouvais faire un petit quelquechose pour aider les gens à travers mon métier ce serait super. Je pense qu’il faut avoir connu la misère, l’avoir subie, pour pouvoir la comprendre. Sinon, on ne peut pass’empêcher de la juger, d’en avoir peur. Il ne faut pas ! Ce sont juste des gens qui souffrent. »

Quelques collègues, qui sont venus se mêler à la conversation, acquiescent. Pensif, l’un d’eux ajoute : « Ce n’est pas un métier facile. Mais quand, le soir,on rentre à la maison et qu’on se dit qu’on a pu éviter une dispute ou aider quelqu’un à retrouver son sac, on se sent fiers. Ce qui nous fait mal, en revanche, c’estd’entendre des gens dire qu’on est payés pour se promener. Ils viennent s’asseoir cinq minutes et tout se passe bien. Mais ils ne se rendent pas compte que si tout s’est bienpassé, c’est aussi parce qu’on est là pour éteindre les débuts d’incendie. Les gens n’ont aucune idée de tout ce qui se trame par ici. »Moi-même, qui traverse le parc tous les jours pour me rendre à la rédaction d’Alter Échos, je réalise que je ne l’avais jamais vraiment vu comme cematin.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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