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Regard critique · Justice sociale

État civil

Mariages blancs: les communes jouent avec la loi, l’anticipent, la détournent

En 2013, la loi encadrant la procédure de mariage et de cohabitation légale a été modifiée. L’objectif était de lutter contre les mariages dits «de complaisance», et les communes sont donc tenues de suivre les nouvelles dispositions bien plus restrictives. Mais certaines communes font du zèle quitte, même, à enfreindre la loi. La lutte contre les mariages blancs, c’est une affaire qui marche dans la com politique.

Des couples «douteux» remisent la robe de mariée, faute d’avoir le blanc-seing de la commune. Des reports pouvant aller jusqu’à cinq mois après la date de mariage prévue. Photo by Morgan McDonald on Unsplash

En 2013, la loi encadrant la procédure de mariage et de cohabitation légale a été modifiée. L’objectif était de lutter contre les mariages dits «de complaisance», et les communes sont donc tenues de suivre les nouvelles dispositions bien plus restrictives. Mais certaines communes font du zèle quitte, même, à enfreindre la loi. La lutte contre les mariages blancs, c’est une affaire qui marche dans la com politique.

En novembre 2013, tant dans les écoles que dans les médias, le gouvernement lançait une énorme campagne de prévention contre les mariages appelés tantôt blancs, tantôt gris, de complaisance ou forcés. Quelques semaines auparavant, les communes avaient reçu deux circulaires expliquant leurs nouvelles obligations face à une demande de mariage entre un(e) Belge et un(e) étranger(ère), mariage souvent soupçonné d’être potentiellement frauduleux puisqu’il peut apporter à l’étranger un bénéfice en matière de droit au séjour et de droit au regroupement familial.

Les enquêtes menées par le parquet ont un caractère pénal, ce qui contribue encore davantage à leur caractère violent, voire «infamant».

Le parcours d’obstacles pour se marier ou cohabiter légalement comporte plusieurs haies à franchir mais la principale se situe au moment de l’acte de déclaration de mariage. Il ne suffit pas de déposer de tous les documents requis et légalisés. Lorsqu’il existe «une présomption sérieuse qu’il n’est pas satisfait aux conditions prescrites pour contracter mariage, l’officier de l’état civil peut surseoir à la célébration du mariage pendant un délai de deux mois afin de mener une enquête complémentaire». Et si les doutes se confirment, l’officier de l’état civil peut demander une enquête au parquet qui dispose de trois mois pour rendre un avis. Les policiers procèdent alors à des auditions des futurs conjoints et de leurs amis, font des visites domiciliaires, interrogent parfois même les voisins. L’expérience est stressante, humiliante, disent ceux qui l’ont vécue. Les indices habituels pour suspecter une fraude sont notamment une trop grande différence d’âge, le fait que les futurs époux ou cohabitants semblent mal se connaître. Et si le mariage concerne un ou une sans-papiers qui a reçu un ordre de quitter le territoire, l’enquête est systématique. La loi de 2013 a aussi revu à la hausse les amendes, voire les peines d’emprisonnement pour des mariages de complaisance, et prévoit un échange de données entre l’Office des étrangers, le parquet et les officiers de l’état civil via le registre de population.

Refus aux motifs extrêmement légers

Voilà pour la théorie. Sur le terrain, certaines communes prennent pas mal de libertés avec la loi ou tout au moins l’esprit de la loi. «Les pratiques sont très variables d’une commune à l’autre, constate Thomas Evrard, juriste à l’ADDE (association pour le droit des étrangers). Mais on constate que, partout, le parquet est systématiquement saisi.» Cela vaut pour les actes de déclaration de mariage comme pour les mariages célébrés à l’étranger. Et c’est contraire à ce que dit la loi. Les officiers de l’état civil ne sont pas tenus légalement d’interroger d’office le parquet. Il faut disposer d’indices permettant un doute, une suspicion de fraude, explique Thomas Evrard. Aujourd’hui, les officiers de l’état civil ne s’interrogent plus trop sur la manière d’exercer leur contrôle. Ils délèguent tout au parquet et préviennent parfois d’office les candidats époux ou les conjoints mariés à l’étranger que la transcription de l’acte ou que la célébration du mariage ne sera pas possible avant plusieurs mois. Autrement dit: la suspicion est la règle, et pas la bonne foi des époux. Or, relève le juriste, les enquêtes menées par le parquet ont un caractère pénal, ce qui contribue encore davantage à leur caractère violent, voire «infamant». Par ailleurs, le recours au parquet allonge sérieusement la procédure puisqu’il ajoute encore trois mois de délai. Au total, le report peut aller jusqu’à cinq mois après la date de mariage prévue. «On observe aussi la tendance qu’ont les officiers de l’état civil à suivre systématiquement l’avis du parquet, poursuit le juriste à l’ADDE. Par facilité.» Avec parfois, relève Thomas Evrard, «des refus sur des motifs extrêmement légers».

«Les policiers m’ont demandé combien d’enfants nous voulions avoir. Mais j’ai 45 ans ! J’avais l’impression qu’on cherchait surtout à me piéger.», Carole

L’un des plus fréquents est la différence d’âge. C’est le cas de Thomas (prénom d’emprunt), un habitant de Gembloux qui voulait épouser Carole (prénom d’emprunt également), une Ivoirienne sans papiers. La Ville de Gembloux a saisi d’office le parquet. Verdict? Sept ans de différence d’âge entre Thomas et Carole, c’est trop et donc suspect tout comme le fait de ne pas encore cohabiter. On peut se demander quels mariages pourraient encore être célébrés entre Belges sur ces motifs… Un autre motif régulièrement utilisé pour refuser le mariage, c’est l’«incohérence» entre les propos des conjoints, l’absence de projets communs. «Les policiers m’ont demandé combien d’enfants nous voulions avoir, raconte Carole. Mais j’ai 45 ans! J’avais l’impression qu’on cherchait surtout à me piéger.»

«Il y a beaucoup de subjectivité dans l’appréciation du parquet et beaucoup d’erreurs également de la part des agents auditionnant. Or ces auditions sont un élément central dans le dispositif.» Pour Thomas Evrard (ADDE), même quand rien ne s’oppose au mariage, la procédure est bafouée également par le manque de communication des autorités administratives à l’égard des personnes. Ainsi des communes comme Ixelles fixent d’autorité la date du mariage, parfois plusieurs mois après celle qui avait été souhaitée. «On ne leur permet pas d’organiser un événement qui est tout de même très important pour elles.»

Surenchère

En janvier 2018, la commune de Schaerbeek a fait une conférence de presse pour se vanter de ses excellents résultats en matière de détection des mariages blancs tout en rappelant avoir joué un rôle de pionnier dans ce domaine en créant une cellule spécialisée en 2006 au sein de la police. «Nous sommes passés de 40% de mariages avec des illégaux à 17 en 12 ans», s’est réjoui l’échevin Bernard Guillaume.

«Les officiers de l’état civil savent que ce n’est pas légal mais agissent au nom d’une sorte de justice supérieure.» Thomas Evrard, juriste à l’ADDE

Peut-on observer un phénomène de surenchère dans les communes pour apparaître comme étant celle qui détecte le mieux les mariages blancs ou gris? Pour Thomas Evrard, cela ne fait aucun doute. «Il y a des communes très zélées qui exercent un contrôle excessif et vexatoire.» C’est le cas de pratiquement toutes les communes bruxelloises. Ces communes, poursuit le juriste, «nivellent par le bas l’attitude des autres. On doit remarquer que certaines petites communes en dehors de Bruxelles ou des autres grandes villes sont plus respectueuses du Code civil mais elles peuvent se sentir mises sous pression par ces échevins qui claironnent ‘avoir le nez’ pour détecter les fraudes».

Aujourd’hui, Schaerbeek veut mener la lutte contre les «bébés-papiers», autrement dit contre l’utilisation de la reconnaissance de paternité pour obtenir un droit au séjour. Selon son échevin Bernard Guillaume, c’est la «seule faille» de la législation contre les mariages blancs, car l’officier de l’état civil ne peut pas s’opposer à une reconnaissance de paternité, même s’il la juge suspecte. Cette nouvelle croisade est assez typique de la manière d’agir de la plupart des communes, relève Thomas Evrard. Depuis 2000, elles ont pris des dispositions pour surseoir à la célébration du mariage «bien avant que la loi ne l’autorise». On est dans le même cas de figure avec les «bébés-papiers». «Depuis des mois, certaines communes appliquent une loi qui n’est pas encore entrée en vigueur. Elles en font une sorte de principe moral. Les officiers de l’état civil savent que ce n’est pas légal mais agissent au nom d’une sorte de justice supérieure.»

En savoir plus

Alter Échos n° 462, «Se dire «oui», ce parcours du combattant», Renaud De Harlez, mars 2018

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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