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Regard critique · Justice sociale

Mal-logement, dégâts collatéraux pour l'enfant

Le quinzième « Rapport sur l’état du mal-logement » de la Fondation Abbé Pierre dresse des constats alarmants. Certains rappellent la situation belge, tel lelien échec scolaire et mal-logement.

14-02-2010 Alter Échos n° 296

Le quinzième « Rapport sur l’état du mal-logement1 » de la Fondation Abbé Pierre dresse des constats alarmants. Certains rappellent la situation belge,tel le lien échec scolaire et mal-logement.

La Fondation Abbé Pierre a publié son quinzième Rapport sur l’état du mal-logement début 2010. Si le document concerne le territoire français, cesconstats interpellent. Près de 3,5 millions de Français sont sans logement ou très mal logés (cabanes, camping, occupation précaire…) et quelque 6,6 millionsrisquent de les rejoindre à court ou moyen terme (logements dégradés, surpeuplés, loyers impayés, hébergement chez des tiers). Bref, 10 millions deFrançais souffrent de mal-logement, soit 15 % de la population française. De quoi faire écho aux 15 % de Belges vivant en dessous du seuil de la pauvreté. Quiplus est, en 2009, l’Institut belge national de statistiques constatait que « la pauvreté et le manque de confort du logement vont de pair ».
Mais le rapport de la Fondation Abbé Pierre pointe un fait plus grave : 600 000 enfants seraient des « victimes collatérales du mal-logement ».

Sur-occupation, problème majeur

Le rapport sur l’état du mal-logement pointe la double peine qui frappe l’enfant. Il souffre des mêmes mauvaises conditions de logement que sa famille, ce qui le pénalisepour plus tard. Un mauvais logement – ou pas de logement du tout – a un impact sur la capacité d’un enfant à s’insérer socialement. Mais il n’y a pas que ça.La santé même de l’enfant est mise en danger. Près de 85 000 enfants de moins de six ans seraient atteints de saturnisme (intoxication au plomb). Les affections respiratoires etles accidents domestiques touchent aussi davantage les enfants vivant dans des logements insalubres.

Zola 2010

« La mère se refusait à poser à terre le couffin du bébé à cause des souris et des cafards, et de ses deux autres enfants qui auraient pu marcherdessus en pleine nuit. Elle a alors posé le couffin sur un meuble en hauteur, mais le bébé est tombé à trois reprises. »

Témoignage d’un médecin de santé publique

La sur-occupation est également très répandue chez des ménages avec enfants pauvres : 400 000 sont concernés. Cette problématique a un impact direct surla durée et la qualité du sommeil de l’enfant. De là découle toute une série de pathologies : maux de tête, nervosité, troubles del’appétit, manque de concentration… Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’avenir même de l’enfant. D’autant que le sommeil est nécessaire à sa croissance, lamaturation de son système nerveux et au développement de sa mémoire. 
D’autres joyeusetés découlent encore de la sur-occupation des logements :
• la mauvaise alimentation liée à l’absence ou à la mauvaise qualité d’équipements de conservation ou de cuisine. Les repas se constituent alors de conservesfroides, de plats à emporter… ;
• un non-apprentissage de l’hygiène dû à l’absence ou la mauvaise qualité des sanitaires, quand il ne faut pas les partager ;
• enfin, le rapport souligne « une corrélation entre surpeuplement des logements et risques de retard scolaire des enfants ».

Causes structurelles

Très souvent, les causes structurelles du mal-logement des enfants sont cumulatives. « Ainsi, une cellule familiale fragilisée suite à une rupture peut engendrerdes difficultés financières insurmontables et pénaliser le maintien dans un logement, tout comme la perte d’un logement ou un logement inadapté peut avoir desconséquences sur l’entente conjugale… » En gros, trois grandes causes structurelles se dégagent du rapport.
La première cause est la fragilisation de la structure familiale liée à l’augmentation des séparations et des divorces. « On observe ainsi, au moment dela séparation, un retour des ex-conjoints vers le secteur locatif, notamment social, après – bien souvent – la vente du logement acheté à crédit lorsqueces derniers ne sont pas contraints de demeurer sous le même toit, faute de trouver deux logements adaptés à leurs ressources », constatent les auteurs du rapport. Lamonoparentalité étant souvent le fait des femmes, celles-ci voient leurs conditions de logements fragilisées. Les pères, qui n’ont pas la garde d’enfants, peuvent aussi seretrouver dans des logements précaires. Si c’est le cas, ils n’ont alors plus la possibilité de recevoir leurs enfants.

Pas de droit de garde sans logement

« Monsieur T., 31 ans, père de deux enfants (10 et 3 ans), en CDD, est aujourd’hui sans logement. Sa femme a conservé leur appartement de Lorient (secteur privé)après la séparation. Depuis, Monsieur T. est hébergé en alternance chez des amis ou dans sa famille, et dort parfois dans sa voiture. Ses conditionsd’hébergement précaires compromettent le maintien de son activité professionnelle ainsi que son droit de garde (un week-end sur deux et la moitié des vacancesscolaires). »

Deuxième grande cause : la précarisation de l’emploi et des ressources de certaines catégories de ménages accentue le risque d’une exclusion dulogement. Conséquence : leurs parcours résidentiels sont chaotiques. « En effet, si la fragilisation des conditions d’emploi rend plus difficilel’accès au logement de tous les ménages, les obstacles se trouvent encore accrus pour ceux qui, du fait de leur configuration familiale (présence d’enfants), ontbesoin d’une surface minimale plus importante que les autres. Tout changement de situation familiale ou toute baisse des ressources expose les familles à des risques importantsd’exclusion du logement. »

Enfin, la troisième grande cause est la ségrégation spatiale. Certaines familles à faibles revenus n’ont d’autres choix que de chercher dans les quartiers derelégation peu attractifs, mais où les loyers sont moins chers. L’image du quartier colle ensuite à la peau de ces enfants qui ont peu de chances d’en sortir. Lespossibilités d’émancipation sont réduites. De plus, « au-delà d’un doute dans l’efficacité du système scolaire, les parentss’interrogent sur l’égalité des chances dans la société quand le lieu où ils vivent risque d’hypothéquer l’avenir de leursenfants ». En effet, le quartier d’origine contribue aux discriminations à l’embauche.

Le mal-logement en héritage

De manière générale, le mal-logement entrave la sociabilité des enfants. Certains ont honte de leur habitat. La cellule familiale fait les frais des mauvaisesconditio
ns de logement : des violences intrafamiliales viennent en réponse aux frustrations, à la tension, et s’aggravent vu l’absence d’espace personnel (une chambre) poursouffler. Dans le même temps, les parents ont l’impression de ne pas être « de bons parents » parce qu’ils ne savent pas offrir un logement décent àleurs enfants. Ce sentiment se renforce lorsque lesdits parents sont l’objet d’un accompagnement social de la part des travailleurs sociaux.

Honte de son logement

« La honte du mal-logement que ressentent les jeunes est impressionnante. Ne pas pouvoir dire ni montrer où on habite, ne pas pouvoir inviter ses copains, ne jamais aller chez eux caron sait qu’on ne pourra pas rendre la pareille… Tout cela est très difficile », dit une assistante sociale scolaire de collège.

Enfin, une sorte de déterminisme social frappe les enfants ayant grandi dans de mauvaises conditions de logement. Ils tendraient à reproduire la situation de leurs parents, y comprisen termes de chômage, d’emploi précaire… et de mal-logement.
On remarquera que ces constats ne sont pas sans rappeler le rapport de Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant, qui porte sur les incidences et lesconséquences de la pauvreté sur les enfants, les jeunes et leurs familles.

Les Gens du voyage, parias du logement

Comme partout ailleurs, les Gens du voyage sont confrontés à de mauvaises conditions d’habitat. Il leur est difficile d’installer temporairement ou durablement leurs caravanes àun endroit. Du coup, la scolarité de leurs enfants s’en trouve contrariée. « Les expulsions de terrain ou les durées de séjour réduites à troismois sur certaines aires (sans parler des réticences de certains maires à inscrire les enfants dans les écoles primaires) sont totalement incompatibles avec une scolaritérégulière, rapportent les auteurs. Les enfants sont ainsi parfois contraints de changer régulièrement d’école ou de faire de longs kilomètres chaquematin et soir pour rejoindre l’école au sein de laquelle leurs parents souhaitent leur offrir un minimum de continuité et de stabilité. De même, alors que lesterrains sont souvent excentrés et enclavés, l’absence de transports mis en place pour relier les écoles et les terrains (y compris parfois lorsqu’il s’agitd’aires d’accueil « officiel »), complique considérablement la vie des familles. »

Article mis à jour le 23 septembre 2010.

1. Le rapport est téléchargeable sur le site de la Fondation Abbé Pierre, rue de Romainville, 3 et 5 à 75019 Paris – France – courriel : contact@fondation-abbe-pierre.fr – site : http://www.fondation-abbe-pierre.fr

Baudouin Massart

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