Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Lutter contre la discrimination à l'échelon local

Gérer un centre d’accueil pour demandeurs d’asile dans une petite ville de province n’est pas toujours aisé. D’autant que l’interculturel n’est pas ce qu’il y a de plus naturel.

15-05-2012 Alter Échos n° 337

Quand presque quatre cents Afghans, Irakiens, Iraniens, Russes, Kosovars et Guinéens, entre autres, s’installent au beau milieu d’une petite ville de province, ça fait desétincelles ! Rien de tel alors qu’un bon Pli (plan d’intégration). A Florennes, c’est même un Plic.

Florennes, ses maisons en pierre de pays, ses produits du terroir, sa jolie place commerçante, ses F16 et… son centre Fedasil. Il est arrivé comme un cadeau deNoël, ce 23 décembre 1992. Un cadeau-surprise, car il était destiné à l’époque à dépanner les structures d’accueil totalement engorgées(dont celle du Petit-Château), pour une durée de trois mois. La fin du service militaire avait rendu vacantes des installations situées à quelques minutes à pied ducentre-ville.

Les trois mois se sont toutefois prolongés, au point que le centre Fedasil, avec ses 385 places, est plus que jamais là aujourd’hui. Vingt ans se sont écoulés. Vingtans de petits heurts et de tensions diverses entre Florennois et demandeurs d’asile de tous horizons, y compris de pays dont les habitants du cru n’avaient jamais entendu parler.

La rue Rohan Chabot monte en pente douce du coeur de la ville jusqu’au centre Fedasil1, toute grille ouverte. Car c’est un centre ouvert. Ici, le va-et-vient est continu, 24 h sur24, 365 jours sur 365 ! Et le turn-over des résidents est énorme. Ils arrivent un beau jour, venus de leur lointain pays, pour s’en aller quelques semaines ou mois plus tard on nesait où.

En attendant, les habitants de la rue Rohan Chabot et les riverains alentours se plaignent du bruit des voix qui portent, même tard le soir et la nuit, ou des déchets laissésçà et là par les passants d’origine étrangère. « Bien sûr, dans leur culture, parler fort c’est normal. Et jeter les papiers là où ily en a déjà par terre, c’est bien », explique Barbara Willems, responsable des contacts externes au centre Fedasil de Florennes.

Certes, mais ce qui vaut dans la culture de ces personnes d’origine lointaine ne vaut pas pour les Florennois. Du côté des résidents, on se plaint aussi : l’accueil auxguichets de la commune est pour le moins tiédasse et, lorsque des demandeurs d’asile fraîchement arrivés à Florennes s’enquièrent auprès d’un habitant duchemin pour rejoindre le centre Fedasil, on ne leur répond pas.

Interculturel pas naturel

Bref, la communication n’est pas au top et un gros travail d’intégration culturelle s’avère nécessaire. « Mais comment faire de l’interculturel à Florennesoù, justement, cela n’est pas dans la culture de la population locale ? » interpelle Quentin Lorent, chef de projet du Plan de Cohésion sociale (PCS) àl’administration communale de Florennes2. Ce qui est certain, pour le responsable du PCS florennois, c’est qu’il ne faut pas stigmatiser les résidents Fedasil par unedémarche de liaison interculturelle qui serait ciblée sur eux.

C’est donc tout naturellement que Florennes a mis sur pied un Plan d’intégration et de cohésion sociale (Plic), qui englobe à la fois les problématiques liéesaux personnes d’origine étrangère – mais aussi toute personne susceptible de faire l’objet d’une démarche d’intégration – et les enjeux de strictecohésion sociale. Eh oui, parfois ceux qui font du bruit tard le soir sont aussi de bons vieux Florennois à la sortie du bistrot…

Toutes les parties prenantes ont été mises autour de la table (commune, CPAS, centre Fedasil, etc.), avec l’appui du Centre d’action interculturel (CAI) de la Province deNamur3. Leur première tâche a été de dresser un diagnostic de la situation. Des propositions d’actions ont ensuite été faites par la plate-formeinterculturelle/intergénérationnelle, des actions concrètes ont été déterminées et un agenda a été fixé.

Diagnostic et actions

Lors de l’inauguration du Plic, Bruno Wynands, du CAI, a exposé l’ensemble. Un dispositif impressionnant par la variété des aspects de la vie en commun qu’il traite et par leconcret des actions qui sont planifiées. Cela va de l’accueil à l’administration communale à la mixité dans les transports en commun en passant par desproblématiques d’éducation et de formation, de santé, d’assuétude, d’accès à la piscine, de recherche d’un logement, etc.

Et les solutions envisagées sont concrètes : formation à l’interculturel pour des membres du personnel de l’administration communale ou pour des enseignants et directeursd’école, sensibilisation des demandeurs d’asile au règlement communal, engagement d’un médiateur polyvalent, renforcement des structures de lutte contre les assuétudes,etc. Sans oublier les poubelles supplémentaires dans la rue Rohan Chabot.

Bien sûr, les acteurs locaux n’ont pas attendu le diagnostic pour agir. De nombreuses initiatives préexistaient. Et il faut bien reconnaître aussi que certaines actionsenvisagées ne pourront sans doute pas être menées à bien. Mais ce qui est important, souligne Quentin Lorent, c’est que les élus communaux déclarent avoiradopté une politique d’intégration volontariste, qui a été avalisée en juin 2011 par le Collège communal, puis en décembre 2011 par le Conseilcommunal.

Le directeur du centre Fedasil de Florennes, Xavier Grosjean, abonde dans ce sens. « Ce plan va nous permettre – en collaboration avec la commune – de faire des chosesvisibles. On a besoin d’actions ponctuelles, très concrètes, qui concernent le civisme et le bien vivre ensemble au quotidien. » Et Xavier Grosjean de conclure sur une notepositive en évoquant ses discussions récentes avec des riverains : « Ils disent que ça va mieux, qu’ils sentent qu’il y a une vraie envie de faire bouger leschoses. »

Plans d’intégration et lutte contre la discrimination

Les plans d’intégration découlent du décret régional wallon du 4 juillet 1996, modifié en avril 2009, et qui instaure une série de disposition pourl’intégration des personnes étrangères et d’origine étrangère. Les initiatives locales pour l’intégration des personnes étrangères et d’origineétrangère sont aussi organisées dans ce cadre : les plans locaux doivent aborder la question dans sa globalité, impliquer les acteurs de terrain, s’appuyer sur un bondiagnostic, définir des objectifs, des actions prioritaires et des moyens, préciser des indicateurs de résultat, établir un comité d’accompagnement et un plan decommunication.

Notons enfin que, au niveau fédéral, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, s’il n’intervient pas directement sur le terrain, a toutefoisdans ses missions de sensibiliser les communes sur le décret. Outre sa mission de sensibilisation, il peut accompagner des communes seules ou
réunies en plate-forme dans leurdémarche de lutte contre toute discrimination.

« Il y a des communes très réceptives et d’autres, plus passives », explique Michel Vanderkam, responsable du service Diversité au Centre pourl’égalité des chances4. « Certaines communes ont désigné un échevin ou un agent communal pour prendre en charge la question de la lutte contreles discriminations. Nous plaidons pour la désignation d’un échevin », relève Michel Vanderkam. Concrètement, le Centre a édité une brochurespécifiquement consacrée à l’égalité dans les communes et il propose une approche méthodologique aux acteurs locaux qui travaillent sur les questionsd’intégration.

1. Centre fédasil de Florennes :
– adresse : rue Henry de Rohan Chabot, 120 à 5620 Florennes
– tél. : 071 68 11 00
– courriel : info.florennes@fedasil.be
– site : www.fedasil.be/Florennes/home
2. PCS Florennes :
– adresse : place de l’Hôtel de Ville, 1 (Bur. 1 – 1er étage) à 5620 Florennes
– tél. : 071 68 14 64
– courriel : quentin.lorent@florennes.be
– site : www.pcs.florennes.be/
3. Centre d’action interculturelle de la Province de Namur :
– adresse : rue Docteur Haibe, 2 à 5002 Saint- Servais
– tél. : 081 73 71 76
– courriel : info@cainamur.be
– site : www.cainamur.be
4. www.diversite.be/

Arnaud Gregoire

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