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Interculturel

L’interculturalité, parent pauvre des études de médecine

Avec la pièce de théâtre «Oza wapi, Docteur?», la Fucid montre l’impact des chocs culturels dans les soins de santé. Pourtant, la dimension interculturelle reste trop peu abordée dans les études de médecine. Un processus de réflexion a été lancéé à l’Université de Namur.

Avec la pièce de théâtre Oza wapi, Docteur?, la Fucid montre l’impact des chocs culturels dans les soins de santé. Pourtant, la dimension interculturelle reste trop peu abordée dans les études de médecine. Un processus de réflexion a été lancé à l’Université de Namur.

«Vous allez voir, vous allez rire, lance en introduction le professeur Jean-Luc Brackelaire (UCL). Cette pièce revient avec humour sur la question des chocs culturels.» Ce mardi après-midi, la cinquantaine d’étudiants présents au cours de psychologie clinique transculturelle et interculturelle donné à Louvain-la-Neuve s’apprête à assister à la projection de la pièce de théâtre Oza wapi, Docteur?

À l’origine de ce projet de sensibilisation lancé par la Fucid1, on trouve un constat: les questions interculturelles, très présentes dans les soins de santé, sont trop peu abordées dans la formation des futurs médecins et psychologues. «Il existe une réelle difficulté à entrer dans le monde de l’autre quand sa réalité n’est pas la sienne. La démarche n’est pas simple, surtout dans le champ médical où on touche au corps», analyse Jean-Luc Brackelaire.

Outil participatif

La salle s’obscurcit, la projection de la pièce peut commencer. Devant les étudiants, les saynètes se succèdent. Le propos est certes caricatural mais fait mouche. Ils rient tous… jaune le plus souvent. Les situations sentent le vécu. Et pour cause puisque la pièce a été écrite à partir de nombreux témoignages. «Les personnes qui travaillent dans le secteur trouvent les échanges très réalistes», s’enthousiasme Ingrid Ibaruta qui a participé à l’écriture de la pièce quand elle était en 3e BAC de médecine à l’Université de Namur. Elle y tient également un des rôles principaux.

Aujourd’hui en première master à l’UCL, cette étudiante de 23 ans se souvient du processus. «La Fucid avait lancé un appel aux étudiants de la faculté de médecine. On est plusieurs à avoir participé aux tables rondes que l’association a organisées avec des personnes issues de l’immigration.» Ces rencontres font prendre conscience à Ingrid de l’importance de ces questions, tant pour le patient que pour le personnel soignant.

Ces témoignages et expériences auraient pu se retrouver compilés dans un rapport «classique». Mais pour la Fucid, il fallait aller plus loin, approfondir l’expérience. «On a voulu créer un outil participatif plus ludique», insiste Natalie Rigaux, la directrice de l’association. La création de cette pièce de théâtre a permis aux étudiants qui n’avaient pas fait forcément l’expérience de ces chocs culturels de réaliser leur impact. «Tout à coup, il ne s’agissait plus de problématiques ‘exotiques’. Au contraire, ils se sont rendu compte que cette question se posait tous les jours ici dans les soins de santé.»

«Les chocs culturels ont un réel impact sur la santé des personnes et les soins qui leur sont prodigués.» Natalie Rivaux

Racisme et discriminations

Aujourd’hui filmée afin de pouvoir être projetée aux étudiants, la pièce de théâtre a été jouée à l’Université de Namur notamment, mais aussi au centre d’accueil pour demandeurs d’asile d’Yvoir. C’est là qu’une rencontre a été organisée après la représentation avec 200 professionnels issus de 17 associations spécialisées dans les questions interculturelles ou les soins de santé. L’occasion de dresser une série de constats et de faire des propositions.

À l’issue de ce processus, le diagnostic de la Fucid est sans appel. «Les chocs culturels ont un réel impact sur la santé des personnes et les soins qui leur sont prodigués. Si les spécificités culturelles et sociales sont insuffisamment prises en compte, le patient peut aller jusqu’à renoncer aux soins, insiste Natalie Rigaux. Il ressort également de nos rencontres que les patients et les soignants d’origine étrangère se heurtent régulièrement à des problèmes de racisme et de discriminations.» En parallèle, l’association attire l’attention sur l’accès aux soins en insistant sur le «parcours du combattant» administratif de certains patients ainsi que les problèmes engendrés par la barrière de la langue.

L’expérience de l’interculturalité

Sur la base de ces constats, la Fucid formule plusieurs recommandations. Elle plaide notamment pour que la dimension interculturelle soit davantage présente dans la formation des futurs médecins. Pour l’association, les cours dispensés à l’UNamur forment certes les étudiants à la théorie interculturelle, mais l’expérience de l’interculturalité fait, elle, cruellement défaut dans le cursus. «Or c’est la confrontation avec des patients aux cadres de référence différents qui permet aux futurs médecins de se former à ces questions», relève Natalie Rigaux. Cette sociologue pointe également le manque de diversité au sein de l’auditoire de médecine, ce qui rend l’adaptation du cursus d’autant plus nécessaire.

Pour la Fucid, la diminution des heures de chimie et de physique à la suite de la récente réforme des études de médecine serait l’occasion d’inclure davantage cette dimension dans le programme. «Nous proposons d’intégrer des modules qui privilégient la rencontre avec l’autre et mettent davantage les étudiants en contact avec la réalité du terrain», avance la directrice.

Le 20 février dernier dans le cadre de la semaine d’actions pour un «Tout autre enseignement supérieur» réalisé en partenariat avec «Toute Autre Chose», la Fucid a organisé une rencontre sur cette thématique avec le doyen de la faculté de médecine de Namur, Yves Poumay. À cette occasion, une note de recommandations cosignées par 18 organisations et collectifs lui a été remise. «Parmi les propositions figure une offre plus poussée de stages en milieux multiculturels ou marqués par les inégalités sociales», précise Natalie Rigaux.

Les questions interculturelles, très présentes dans les soins de santé, sont trop peu abordées dans la formation des futurs médecins et psychologues.

Occidentalocentrisme

À cette occasion, le doyen a souligné l’importance de cette question et la nécessité d’entamer un processus de réflexion. «La rencontre a été positive mais on sent tout de même une certaine méfiance, relate Natalie Rigaux. Pour lui comme pour une grande partie du monde médical, il n’y a qu’une seule scientificité qui compte: celle de la médecine occidentale.» La sociologue a tenté de rassurer en expliquant que les recommandations de la Fucid visent une meilleure préparation des médecins ici à soigner des patients issus de milieux socioculturels divers. «On ne remet pas du tout en cause la rigueur scientifique de la formation, mais on propose d’en élargir la définition pour y inclure la prise en compte des spécificités culturelles», insiste sa directrice.

Après cette rencontre, un processus a été entamé avec les équipes pédagogiques de l’UNamur. Plusieurs rendez-vous sont prévus dans les prochaines semaines afin d’adapter dès à présent l’offre de stages pour l’année prochaine. Il est aussi question de multiplier des moments d’échanges avec des personnes issues de l’immigration dans le cadre des cours de sciences humaines. «C’est une avancée même si c’est dommage de limiter ces rencontres aux seuls cours de sciences humaines considérés parfois comme périphériques par les étudiants», constate Natalie Rigaux. Signe que les temps changent mais qu’il reste encore du chemin à parcourir.

  1. Forum universitaire pour la coopération internationale au développement à l’UNamur.

 

Francois Corbiau

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