Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Edito

L'inburgering comme violence ?

Et si l’inburgering proposé aux nouveaux migrants mettait en question toute la société ?

08-06-2012 Alter Échos n° 340

Tout commence avec le contrôle d’identité d’une femme portant le niqab à Molenbeek ce 31 mai. L’interpellation tourne mal. La tension monte. Des incidents éclatent devant le commissariat de police. L’implication du mouvement extrémiste Sharia4Belgium est clairement pointée du doigt. Ces incidents ont suffi pour faire d’un cas une généralité. Le projet d’un parcours d’intégration obligatoire, tel que cela se pratique en Flandre et aux Pays-Bas (« Inburgering »), est aussitôt revenu sur la table.

Mais est-ce le bon débat ? Lorsque l’on parle de parcours d’intégration, la tentation n’est-elle pas grande de le limiter à certains publics ? A ce sujet, le Ministre-président bruxellois, Charles Picqué (PS), invité de Matin Première ce 7 juin1, a tenu à recadrer : « Il y a le problème des primo-arrivants, qui ne sont pas les deuxième et troisième générations qui sont confrontées au chômage. Il y a les illégaux. Il y a l’extrémisme religieux qui n’est pas forcément lié avec les primo-arrivants. » Et d’évoquer les spécificités de Bruxelles.

En Région wallonne, le MR avait déjà mis sur la table en 2011 une proposition de décret visant à rendre obligatoire le parcours d’intégration. Celle-ci avait été rejetée le 28 février au parlement wallon. Ce 6 juin, en séance plénière, Eliane Tillieux, ministre de l’Action sociale et de l’Egalité des chances, a déclaré que le débat sur le caractère obligatoire du parcours d’intégration que projette le gouvernement wallon pour les personnes primo-arrivantes est désormais ouvert. Ce parcours s’adressera aux personnes étrangères établies durablement en Wallonie, sans titre de séjour définitif, depuis plus de trois ans.

Mais rendre obligatoire ce parcours d’intégration le rendra-t-il plus intégrant ? Le projet « inburgering » montre ses limites tant en Flandre qu’aux Pays-Bas, comme nous l’avons révélé dans de précédentes éditions. En 2010, une étude du Hiva (KUL) montrait que si « les immigrés qui ont suivi un parcours d’intégration trouvent plus facilement du travail (…), après la fin du parcours, beaucoup de participants n’ont plus le moindre contact avec des Belges de souche et retombent dans l’univers fermé de leur communauté d’origine »2.

Chez nos voisins néerlandais, « la plupart du temps, il [l’inburgering] engendre la frustration et la rancœur car les bénéficiaires, dont c’est souvent le seul « diplôme », se rendent compte que cela n’a aucune valeur sur le marché de l’emploi. » Maarten van Rossem, professeur émérite de l’université de Tilburg, estime que « c’est une politique symbolique, faite davantage pour exorciser nos peurs qu’une aide pratique pour ceux qui viennent ici. »

Cocasse : la princesse Maxima, épouse du prince héritier et donc future reine des Pays-Bas, déclarait lors de la présentation du rapport du Conseil scientifique pour la Politique du gouvernement en 2007 « n’avoir toujours pas trouvé ce qu’était l’identité néerlandaise »3. Pourtant, cela faisait déjà quelques années que cette personne à profil socioéconomique favorisé, originaire d’Argentine, vivait sur place…

En substance, l’obligation ne résout pas tout. Elle ne dispense pas – mais impose – à la société de se réorganiser pour être incluante, cohésive, juste, autrement dit : structurellement ouverte, solidaire et accueillante pour ses propres marges et zones d’exclusions autant que pour les migrants.

Plus prosaïquement encore, raplatir le débat de l’intégration sur le seul « inburgering », obligatoire ou non, n’est qu’un stigmate de plus, un obstacle sciemment posé à l’encontre de toute velléité de participation à la communauté des citoyens de Wallonie et de Bruxelles. Et quel meilleur ferment de malentendu, de rejet et de violence qu’une telle injonction contradictoire ?

Baudouin Massart

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