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Regard critique · Justice sociale

Jeunesse

L’Europe solidaire, version jeune

Lancé depuis bientôt une année, le Corps européen de solidarité (CES) doit permettre aux jeunes de partir donner des coups de main dans des projets de cohésion sociale partout sur le continent. Pas de conditions d’origine, pas de conditions de nationalité. Diplômés ou paumés, les jeunes européens profiteront-ils de ce nouveau projet pour rendre (enfin) un visage social à l’Union ?

Elizabeth improvise un cours d’anglais pour Eid et Braij avec des livres pour enfants. (c) Leo Potier

Lancé depuis bientôt une année, le Corps européen de solidarité (CES) doit permettre aux jeunes de partir donner des coups de main dans des projets de cohésion sociale partout sur le continent. Pas de conditions d’origine, pas de conditions de nationalité. Diplômés ou paumés, les jeunes européens profiteront-ils de ce nouveau projet pour rendre (enfin) un visage social à l’Union?

Ahmed attrape le stylo d’Elizabeth et gribouille consciencieusement sur sa feuille. La mère du petit garçon passe un coup de fil au fond de la pièce. Autour de la table, Elizabeth et Anastasiia ont rapatrié les jeux de société du 1er étage. «Avant, les gens ne montaient pas nous voir. Désormais, nous sommes pratiquement chaque matin à côté du réfectoire pour parler avec ceux qui passent», expliquent-elles. Il règne en effet une vague odeur de soupe et de peinture dans l’atmosphère. Il faut dire que les lieux ne sont pas de toute première jeunesse. Le centre d’accueil de Fedasil à Rixensart est un ancien orphelinat où logent entre 100 à 150 personnes à l’année dont une vingtaine d’enfants. Sous le soleil d’octobre, les bâtiments ressemblent à une colonie de vacances, malgré le froid qui s’installe. Il y a des jeux, des vélos, des balançoires dans le jardin pour le grand bonheur des plus petits. Mais, pour les adultes, Rixensart est loin de tout. C’est pour cela que le rôle d’Elizabeth et d’Anastasiia est crucial. Les deux volontaires sont chargées d’animer les lieux avec les moyens du bord. Ce qui implique de bien connaître la situation des résidents, de jouer avec les enfants et éventuellement d’improviser quelques cours de français ou d’anglais.

Contrat et 300 euros d’argent de poche

Après avoir pris un moment pour expliquer leurs parcours, les deux jeunes femmes détaillent comment fonctionne leur volontariat. Recrutées au travers de l’EVS (European Voluntary Service), tout est pris en charge. Le déplacement en Belgique, le logement en famille d’accueil à Wavre, le contrat de volontaire signé pour un an avec Fedasil et les 300 euros d’argent de poche alloués par le Corps européen chaque mois pour les dépenses communes. C’est la garantie apportée pour les membres du Corps en échange de leur temps, partout en Europe.

Comment tout a commencé? Petit retour en arrière. En juin 2016, la Grande-Bretagne vote sa sortie de l’Union européenne. À Bruxelles, on s’interroge. Dans le bureau du président de la Commission européenne, on réfléchit à un moyen de mettre en œuvre une vraie solidarité européenne. Le Corps est le résultat de cette réflexion. Lancé le 7 décembre 2017, il a cumulé dans les premiers mois des dizaines de milliers d’inscriptions, en provenance de tous les pays de l’Union, et au-delà. Le Corps s’adresse à des jeunes issus de 47 pays et regroupe sept programmes de solidarité, dont l’un des plus anciens, l’EVS, le Service de volontariat européen, qui a soufflé ses 20 bougies.

«Parmi les personnes enregistrées sur la plate-forme en ligne du Corps, 65,4% sont des femmes contre 34,4% d’hommes», Johannes Bahrke, porte-parole à la Commission européenne.

«Chacun des volontaires peut partir pour une période de 2 à 12 mois. Ils peuvent participer à un large éventail d’activités telles que l’éducation, la santé, l’intégration sociale, l’aide alimentaire, l’accueil, le soutien et l’intégration des migrants et des réfugiés, la protection de l’environnement ou la prévention des catastrophes naturelles», énumère Johannes Bahrke, porte-parole à la Commission européenne. Détail amusant: les femmes sont plus nombreuses à répondre à l’appel du volontariat européen. «Parmi les personnes enregistrées sur la plate-forme en ligne du Corps, 65,4% sont des femmes contre 34,4% d’hommes», précise-t-il encore. Un public majoritairement jeune, la moitié ont entre 21 à 25 ans. Même si l’on peut partir en volontariat à partir de 18 ans jusqu’à l’âge de 30 ans.

Dans le bureau de la Commission où il nous reçoit, Johannes Bahrke se veut tourné vers l’avenir. C’est sous sa direction que l’on prépare la montée en puissance du dispositif. Un budget espéré de 341,5 millions d’euros et surtout une meilleure diversité dans l’offre de volontariat. En plus d’offrir des stages et des placements professionnels, le Corps veut, dans l’avenir, permettre à un jeune de soutenir son projet de solidarité dans le pays où il vit. Mais cette phase est en cours de discussion dans les couloirs des institutions bruxelloises.

Du «Brexit» de l’Ouest…

Elizabeth insiste. Son prénom s’écrit avec un «z» et non avec un s. Cette petite jeune femme a le sourire dévoreur. Sa petite taille cache un bon caractère. Un papa ingénieur pour Oxfam et une maman professeure d’anglais. Une famille qui a voyagé dans le monde. De retour au pays, la petite Elizabeth se sent coincée dans sa terre natale de l’est de la Grande-Bretagne. Un baccalauréat international en poche, plus des études de français et d’arabe l’orientent naturellement à l’international. Mais où? C’est alors qu’elle se tourne vers le European Voluntary Service (le service du volontariat européen). Après s’être enregistrée en ligne, elle choisit de partir en Belgique dans les centres pour demandeurs d’asile. Il faut dire que ses diplômes de français et d’arabe parlent pour elle. Partir pour le Corps européen alors que la Grande-Bretagne coupe les ponts avec le continent? «Hasard du calendrier», répond la jeune Britannique même si cette coïncidence est «symbolique». «Il faut estimer à quel point tu peux être utile, enchaîne-t-elle. Je veux gagner de l’expérience en travaillant avec les migrants qui arrivent en Europe.» Sa devise? «We are gonna make the best of it.» Elizabeth Davis entame son volontariat européen, elle a 23 ans.

Recrutement trop pointu?

L’objectif est de s’assurer que le CES forme une communauté de jeunes européens conscients de leurs destins. Une application, European Solidarity Corps, a été développée pour smartphones. On peut y consulter son profil, poster des photos ou consulter l’album de la communauté des volontaires, dans le cadre de leurs fonctions. Mais les volontaires ne se contentent pas que de rencontres virtuelles. Ils ont l’occasion de se voir, par exemple, au cours d’un séminaire à Bruxelles à la mi-octobre. Elizabeth s’en souvient: «Je n’ai pu parler qu’avec des post-graduates… et à des Allemands.» Le Corps européen de solidarité va-t-il être aussi taxé d’élitisme, à l’instar du programme Erasmus? «Dans le cadre du CES, il n’y a pas de conditions d’études et l’âge du volontariat commence à 18 ans», assure de son côté Johannes Bahrke. Deux arguments qui garantiraient un accès libre à tous les jeunes européens. Pourquoi pas. Même si le jeune âge du Corps laisse encore peu de place pour tirer un premier bilan solide, un autre doute subsiste. Les volontaires européens ne sont-ils pas un moyen pour les États de faire des économies? Car, après tout, c’est l’Europe qui paye pour envoyer des volontaires là où les gouvernements n’auront pas besoin d’embaucher. Cas d’école: l’aide apportée aux sans-abri ou aux réfugiés. «Je vois plutôt une situation gagnant-gagnant, répond d’emblée Johannes Barhke, car, dit-il, les volontaires gagnent de l’expérience tout en occupant des postes qui échappent à l’emploi salarié.»

«Je n’ai pu parler qu’avec des post-graduates… et à des Allemands.», Elizabeth, volontaire

Loin de toutes ces questions, dans la bibliothèque du centre Fedasil de Rixensart, Elizabeth, la Britannique, réussit à mettre la main sur un livre pour enfants. Une histoire écrite en anglais à propos des forêts et des champs qu’elle essaye de lire à Eid et Braij, respectivement Afghan et Marocain. Anastasiia, l’Ukrainienne, elle, tente de vaincre le désordre des livres dans les étagères. Nikita anime les ateliers pour des jeunes catalans des rues de Sant Just Desvern en Espagne. Émilie, la Belge, s’occupe aussi des ados, mais dans l’association «Tá a Mexer», située à Lourinhã, à une heure de voiture de Lisbonne. Comme des dizaines de milliers de jeunes, ils et elles sont tous les membres du Corps européen de solidarité. Ils devraient être 100.000 en l’horizon 2020.

 

… aux bombes de l’Est ukrainien

Il faut l’entendre raconter ces nuits d’été 2014. Bombardement d’artillerie, les obus qui explosent au coin de la rue, réveil en sursaut et la descente à la cave. «On ne sait pas qui tirait sur qui», se remémore-t-elle. C’est une grande jeune femme, cheveux bruns bouclés qui s’exprime. Ces souvenirs la rendent nerveuse. Il y a de quoi: Anastasiia est originaire de la région de Lougansk, zone âprement disputée entre soldats ukrainiens et combattants séparatistes, proches de la Russie. Un conflit qui a tué au moins 9.000 personnes. Lorsque tout a commencé, Anastasiia a 21 ans; elle commence tout juste un cursus franco-anglais. Les années qui suivent sont terribles. Les fenêtres de son appartement volent en éclats. À cause des combats, les examens sont organisés via Skype, en plus des cours par correspondance. «Le fait d’habiter cette région attire la méfiance de la part des autorités, j’étais un peu comme une immigrante dans mon propre pays», explique celle qui dit comprendre la situation des Syriens qui arrivent, eux aussi, d’un pays en guerre. Anastasiia est une battante, elle décroche son master. Mais elle ne veut pas «faire partie de la guerre». Elle veut faire quelque chose d’utile. «Le souci, c’est qu’il n’y a pas de tradition du volontariat en Ukraine», soupire-t-elle. Elle entend parler des volontaires européens. Quand elle annonce son départ à sa famille, sa mère se dit fière, sa grand-mère pense que sa petite-fille part pour un réseau de prostitution en Belgique. Depuis le début de son volontariat à Rixensart en septembre, Anastasiia Petrenko a le sentiment réconfortant de l’utilité.

 

 

«Sans papiers, sans droit au volontariat», Alter Échos n° 440, 14 mars 2017, Manon Legrand

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Léo Potier

Léo Potier

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