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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Les leçons de solidarité de Madame Leroy, institutrice

Confrontée à l’extrême pauvreté durant sa carrière d’institutrice maternelle à l’école Cobaux de Charleroi, Catherine Leroy a toujoursenseigné le partage et la solidarité.

29-10-2010 Alter Échos n° 304

Confrontée à l’extrême pauvreté durant sa carrière d’institutrice maternelle à l’école Cobaux de Charleroi, Catherine Leroy a toujours enseigné le partage et la solidarité. Retraitée depuis deux ans, elle retourne chaque semaine à l’école pour jouer la mamie lecture.

Ses collègues la surnomment Madame Casimir, pour sa bonne humeur à toute épreuve et sa générosité débordante. « Sauf que l’écoleCobaux, ce n’est pas vraiment l’île aux enfants », plaisante-t-elle avec un sourire chargé de tristesse. Familles sans papiers, mères célibataires au chômage,parents toxicomanes, maltraitance… à vrai dire, le scénario tient plus des frères Daerden que de Walt Disney.

Coquette, la soixantaine, Catherine Leroy m’a fixé rendez-vous à La Terrasse, un café confortable qu’elle aime fréquenter en face du Palais des Beaux-Artsde Charleroi. Charleroi, elle connaît comme sa poche. Elle y est née. Elle y a travaillé toute sa vie. Quarante ans de bons et loyaux services à l’école maternelleCobaux. À l’origine, m’explique-t-elle, c’était une école pilote, un établissement à la pointe de la pédagogie. « Les parents étaientfiers d’y mettre leurs enfants. » Puis, les usines ont fermé, les riches ont fui le centre-ville. « J’ai vu la situation se dégrader au fil du temps. Ces dernièresannées, j’ai constaté que même des parents qui travaillent ne parviennent plus toujours à joindre les deux bouts. C’est inquiétant. Avec l’augmentation du gaz, desloyers, des gens qui gagnent leur vie se retrouvent parfois à la table des Restos du cœur », observe-t-elle, en tirant sur sa cigarette.

Comment des bouts d’choux âgés de trois ou quatre ans à peine perçoivent-ils la précarité dans laquelle vivent leurs parents ? L’institutricepréfère penser « qu’ils sont trop petits pour vraiment réaliser ». En tout cas, elle a toujours mis un point d’honneur à ce qu’ils ne se sentent jamaisdifférents de leurs camarades plus nantis. Si leurs vêtements étaient usés, elle puisait dans la garde-robe de ses propres enfants. S’ils n’avaient pas de collations, elledemandait à la classe de partager. « Je suis une maman poule avec mes propres enfants, comme avec mes élèves, avoue-t-elle. L’école est pour eux une seconde maison.Une maison où tout va bien. Où ils ne manquent jamais ni de nourriture, ni de jouets, ni d’amour. »

Tes baskets ‘lument pas

Dans le microcosme de la cour de récré, l’inégalité des rapports sociaux est déjà bien marquée. Baskets clignotantes et cartables de marque sontl’apanage des privilégiés. « Les enfants qui ont des baskets qui ‘lument, comme ils disent, ne jouent pas avec ceux dont les baskets ‘lument pas. C’est terrible, formerdéjà des castes à cet âge ! »

Il faut dire que les parents ne montrent pas toujours le bon exemple. L’institutrice a déjà surpris des mamans interdire à leurs bambins de fréquenter leurs copainsdémunis et même de les approcher physiquement. « Ça m’attriste d’entendre cela, mais que puis-je dire ? Je ne suis pas là pour faire l’éducation des parents.Je dois rester à ma place. » Elle marque une pause, avale une gorgée de son café qui refroidit, avant d’ajouter, non sans un soupçon de malice mesemble-t-il : « Bien entendu, je sais que les leçons que je donne aux enfants à l’école sur l’égalité et le partage sontrépétées à la maison. »

La solidarité, c’est son leitmotiv. Pour faire passer le message, elle n’hésitait pas à faire participer ses tout petits élèves à des actions caritatives.Le jour où elle les a emmenés peindre les murs du chauffoir des sans-abri restera dans les mémoires. « Il y avait un local pour les sans-abri rue du Grand Central.C’était d’une tristesse… Alors, avec les enfants et quelques parents volontaires, on est venu mettre des couleurs sur les murs. Les plus petits ont étalé une couche de fond,les plus grands ont fait des dessins. Les sans-abri étaient vraiment touchés que quelqu’un s’intéresse à leur sort. Pour les remercier, Tommy l’Indien leur afabriqué des colliers avec des plumes. Vous auriez dû voir comme les enfants étaient fiers ! » Et elle de même.

Entre honte et violence

Peu de parents se vantent de fréquenter les Restos du cœur. Au fardeau de la pauvreté s’ajoute celui de la honte. « Dans ma position d’institutrice, j’ai vubeaucoup de pauvreté cachée. Pour sauver les apparences, les parents mettent des survêtements neufs à leurs enfants. Mais quand on enlève le pull, on se rend compteque le T-shirt en dessous est tout râpé », prend-elle comme exemple. Et quand la cloche sonnait, la journée de Catherine était loin d’être terminée.« Après la classe, je passais beaucoup de temps à discuter avec les parents. J’ai toujours essayé d’offrir mon aide, avec discrétion. De les orienter. Les gens neconnaissent pas tous les services sociaux qui existent à Charleroi. Ils n’osent pas parler, mais acceptent volontiers la main qu’on leur tend. »

Si certains se réfugient dans le mutisme, d’autres dressent un mur de violence entre eux et la société. Un jour, me confie-t-elle horrifiée, un père l’amenacée « de lui faire la peau avec sa bande de motards », parce qu’elle avait osé faire une remarque sur le comportement de son fils. « Les gens sont parfoistellement déboussolés, sur la défensive, qu’ils deviennent agressifs. On doit mettre ses limites, se protéger. »

De par leur intimité avec les enfants et leurs familles, les instituteurs sont souvent les premiers observateurs de réalités sociales difficiles, complexes et mal comprises.La Fondation Roi Baudouin1, réalisant la valeur que ce genre de témoignages peut avoir, à la fois pour détecter les nouvelles formes d’injustice socialeet les combattre, a mis sur pied un réseau d’écoute en 2002. Y participent aussi bien des profs, des médecins, des notaires… Quand la Fondation a demandéà Catherine Leroy d’intégrer un groupe de discussion sur la discrimination, elle a naturellement accepté. « La pauvreté peut être source dediscrimination de la même façon que l’origine nationale, le handicap… Je me souviens d’une fillette handicapée qui participait à la table ronde organisée par laFondation. Quand je l’ai écoutée parler de ce qu’elle endurait au quotidien, ça m’a confortée dans ce que je faisais pour apprendre la tolérance aux enfants.»

Un drame chez les marionnettes

Jeune fille, Catherine rêvait d’être comédienne. À l’époque, ses parents avaient jugé le milieu du théâtre peu fréquentable.L’enseignement était une voie plus convenable. Elle l’a suivie jusqu’au bout et sans aucun regret. Mais, quand il s’agit d’aborder des sujets délicats avec les petits, c’est sur lesplanches qu’elle se sent le plus à l’aise. « Mettre les choses en scène, c’est une façon d’en parler en dédramatisant. Dans les situations difficiles, je sors mesmarionnettes. Un jour, par exemple, une fillette m’a fait comprendre que sa mère était battue. Le lendemain, j’ai monté un spectacle de guignols. La petite marionnette pleuraitbeaucoup parce que son papa battait sa maman. Alors, une copine marionnette est venue la consoler, lui dire qu’elle pouvait parler de ses problèmes aux grandes personnes. »

Catherine replonge dans son paquet de cigarettes et dans ses souvenirs. En quarante ans de carrière, elle en a vu défiler des histoires douloureuses, me confie-t-elle d’une voixétranglée. Des récits dont on pourrait remplir les pages société du journal pour lequel son frère écrit. Mais elle n’oubliera pas non plus lessourires d’enfants. Ni le jour où elle a pris sa retraite. Les parents d’élèves s’étaient réunis pour l’applaudir. « J’ai reçu une lettre signéede tous les parents pour me remercier et me demander de rester. Il y a des gens qui mettent leur diplôme dans un cadre, moi c’est cette lettre que j’ai accrochée au-dessus de mon lit.» Fin du premier acte.

Aujourd’hui, Madame Casimir profite de son temps libre pour suivre des cours de théâtre. On l’imaginait mal toutefois tourner définitivement le dos àl’enseignement. Chaque semaine, depuis deux ans, elle retourne en maternelle pour lire des histoires. Des contes, vous l’aurez deviné, qui parlent de tolérance et de respect.Rideau.

1. Fondation Roi Baudouin :
– adresse : rue Brederode, 21 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 511 18 40
– courriel : info@kbs-frb.be
– site : www.kbs-frb.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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