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"Les entreprises d'insertion bruxelloises s'interrogent"

24-09-2001 Alter Échos n° 105

Dans la seconde moitié des années 90, le développement des entreprises d’insertion (EI) a été en Région bruxelloise la politique phare enmatière d’économie sociale. Dix entreprises ont ainsi vu le jour dont six existent toujours. Le 14 septembre, le centre d’entreprises Euclides1 organisait une journéede travail pour faire le point sur ces initiatives et sur l’ordonnance qui les encadre depuis 1999.2
1. L’état des EI
ývant de reprendre les grands termes de débat, il est nécessaire de passer en revue les initiatives existantes. Rappelons juste par souci de clarté que l’ordonnanceprévoit entre autres des mécanismes de subvention dégressive sur quatre ans du personnel en insertion et un financement forfaitaire de leur encadrement. Après laquatrième année, une reconduction de l’agrément est possible : elle comporte un subside forfaitaire de 500.000 francs pour le personel d’encadrement.
1.1. Deux pionniers
En 94, la Fondation Roi Baudouin et la Région lançaient quatre projets pilotes. En 97, deux existaient toujours et recevaient un prolongement de subvention dans l’attente quel’ordonnance alors en préparation entre en vigueur.
Aujourd’hui, ces deux EI sont ”entre les deux“. Elles ne peuvent plus en principe bénéficier de financement au titre de projet pilote, mais n’ont pas encoredemandé à être agréées au titre de l’ordonnance de 98.
Brenco3 est une EI du bâtiment créée en 95. Aujourd’hui, elle ne veut plus entrer dans le cadre de l’ordonnance. Pour Eddy Depauw, responsable de l’entreprise :“On n’est plus une entreprise d’insertion et on ne veut plus le devenir. L’ordonnance n’a pas tenu compte des demandes et propositions que nous avons faites. Et lestatut d’EI n’est pas nécessaire pour pérenniser notre activité.” Brenco occupe aujourd’hui six personnes (elle est montée jusqu’àsept salariés par le passé).
Polybonnevie4, quant à elle, est dans la même situation, mais désire continuer à bénéficier d’aides publiques au titre d’entreprise sociale. Trouvant le cadreproposé par l’ordonnance inadéquat, elle est intéressée par le nouveau statut d’association d’insertion par la mise à l’emploi que la Région a mis àl’étude (v. plus loin) plutôt que par les possibilités offertes par l’ordonnance sur les EI. Elle veut en effet continuer à développer les chantiers menésdans le cadre des projets de revitalisation des quartiers (contrats de quartiers, etc.) Polybonnevie occupe cinq personnes sur des activités de rénovation de façades, et troisautres, bientôt cinq, sous contrat « article 60 », pour le laminage de document et le moulage de polyester.
1.2. Quatre projets pilotes
Avant le vote de l’ordonnance, la Région avait, fin 97, organisé un appel à projets pour soutenir pendant leurs quatre premières années une série deprojets d’EI qui se montaient alors. Les conditions de ce soutien sont les mêmes que celles de l’ordonnance.
Des six projets qui ont été subventionnés, l’un ne s’est jamais vraiment lancé (la péniche touristique La Gueuze initiée par La Fonderie), etl’autre dépose son bilan ce mois de septembre (Artisans du logis, entreprise de travaux du bâtiment lancée par la Mission locale d’Ixelles – nous y reviendronsdans une prochaine édition).
Les quatre autres continuent leur développement. Ici, le ton est moins pessimiste, et on ne s’est pas encore posé la question de la reconduction de l’agrément.
> Murmuur5, entreprise de restauration de façades et de travaux d’intérieur (peintures, cloisons, châssis, etc.) a été lancée en 98 par le centred’entreprises Euclides. Elle occupe aujourd’hui une employée et six ouvriers dont deux sous contrat “article 60”. Murmuur est encore à plus d’un an duterme de sa quatrième année d’existance et ne prévoit pas de problème pour avoir stabilisé ses activités d’ici là.
> Bipass6 est une EI qui effectue de la maintenance sur site d’installations informatiques et différents services liés aux TIC. “Bipass est dans une phase de transition,explique Marius Koers, le directeur. Depuis le bouillonnement autour du bug de l’an 2000, la marché s’est rétréci et les technologies changent trèsvite.” Bipass occupe aujourd’hui quatre personnes, mais est allé jusqu’à plus d’une dizaine dans les années précédentes. Depuis deux ans,plus de quinze de ses travailleurs ont trouvé un emploi chez des clients, etc. D’ici la fin de l’année, le CA doit prendre des choix stratégiques sur laréorientation des services et des technologies à développer. Et la demande de subventions dans le cadre de l’ordonnance, si elle est possible après la 4eannée d’activité, semble a priori intéressante pour Bipass à partir de 2002, mais “on n’a pas encore étudié la question endétails.”
Panem et Laborem (restauration de collectivités) et Madré (menuiserie d’intérieur) n’ont pas pu être jointes mais ne semblent pas poser d’inquiétudes quant àla stabilisation de leurs activités dans les délais requis.
2. L’état de la réflexion
La plupart des personnes concernées par la problématique en Région bruxelloise ont planché dans deux ateliers. Ils ont abouti à une série de constats,questions et propositions.
2.1. L’ordonnance sur les EI
Les discussions ont mis en évidence deux paradoxes qui naissent de l’ordonnance, du fait à la fois de la technicité des aides au lancement des EI et à la visiond’une insertion durable qu’elles veulent défendre.
> La tension entre l’exigence de rentabilité minimale et le nombre de postes à créer pour des demandeurs d’emploi en insertion. Par exemple, les marges quipermettraient de financer ces postes d’insertion sont limitées par le fait que, contrairement à une bonne partie de la concurrence, selon les participants, les EI refusentabsolument le recours au travail au noir. Si les marges suffisantes ne sont pas dégagées, l’ajustement se fait par un écrémage des personnes engagées sur lespostes d’insertion.
> Les contraintes liées au statut de Société à finalité sociale (SFS) ne permettent de rémunérer la aucune prise de risque : ni le risqueéconomique, ni le risque social lié aux résultats en termes d’insertion.
Cette réalité explique à la fois l’absence de nouveaux projets depuis 1998 et le fait que la plupart des EI sont des initiatives adossées à des Missionslocales. Même le projet PratiCable est en stand-by : il s’agit d’une EI dans le secteur de la pose de câblage informatique sur laquelle a planché l’OISP FIJdepuis un an, et qui constitue à notre connaissance le seul
projet assez avancé pour entrer dans les conditions d l’ordonnance.
Plusieurs propositions, pas toutes compatibles entre elles, sont donc émises concernant l’ordonnance et son application.
> Le gouvernement devrait utiliser la possibilité que lui a laissée le Parlement régional de modifier le profil du public cibles des EI et sa proportion dans leurpersonnel.
> Supprimer le caractère obligatoire du statut de SFS, à tout le moins dans les premières années.
> Pour ce qui concerne la subvention liée à l’encadrement des travailleurs en insertion, passer d’un calcul sur la base forfaitaire à une règle deproportionnalité.
> Envisager une opération de promotion destinée à faire entrer des entreprises déjà existantes dans le statut d’entreprise d’insertion.
> Le passage de la septième à la huitième année, moment de la seconde reconduction, reste trop flou et ne permet pas aux entreprises EI d’anticiper demanière appropriée cette étape importante.
2.2. Le contexte des EI
Des éléments de soutien aux EI doivent aussi être pensés en dehors de l’ordonnance.
> Faire évoluer les parcours d’insertion vers des “réseaux d’insertion” et y inclure les EI, les régies de quartier ou les projets “article60” des CPAS qui ont une fonction complémentaire au reste de l’insertion. Les EI pourraient ainsi par exemple engager préférentiellement des personnes qui terminentleur contrat “article 60”.
> Imaginer des scénarios d’intégration horizontale et verticale des EI. En leur permettant de mutualiser certaines ressources et certaines compétences (accueil,secrétariat, etc.) avec d’autres entreprises au sein des nouveaux Centres d’entreprises. Mais aussi chercher des rapprochements entre ou avec des entreprises qui sedéveloppent sur des activités complémentaires. Un des objectifs principaux de cette journée était pour Euclides d’identifier concrètement lespossibilités en la matière.
3. Des améliorations en perspective
François Perl, conseiller du ministre de l’Économie et de l’Emploi Éric Tomas, a conclu la journée en précisant les pistes aujourd’huienvisagées pour améliorer la situation des EI et susciter de nouvelles initiatives.
Il ne lui semble pas possible d’envisager un autre statut que la SFS pour les EI vu les limites légales imposées aux asbl en matière d’activités commerciales,de génération de profit et de rémunération du risque. Le statut d’asbl est possible pratiquement, mais reste très délicat.
Or, “On l’a encore trop peu dit jusqu’ici, continue François Perl, il est nécessaire que tout nouveau projet intègre qu’il doit être rentable dansla première année où il reçoit l’agrément régional.” Le ministre envisage donc la reconnaissance, en gestation, des asbl d’insertion par lamise au travail comme une espèce de sas ou de première étape pour les EI en création. Il va aussi étudier sérieusement la piste du calcul de la subvention dupersonnel d’encadrement sur une base proportionnelle au volume du personnel en insertion.
D’autres pistes en sont aussi au stade de la réflexion : la mutualisation de compétences, la création de groupements d’employeurs à statut d’EI, ou lacréation de “départements d’insertion” (des départements d’entreprises reconnus et subventionnés sur le modèle des EI) àl’instar de ceux que démarre en ce moment la Flandre.
En parallèle, Michel Bikx, que nous avons contacté après la journée du 14 à la nouvelle Cellule Économie sociale du ministère de la Région deBruxelles-Capitale, étudie en cheville avec la SRIB et le CESRB, comment faciliter les choses au niveau administratif, notamment en améliorant les formulaires et le vade mecum.
Euclides entend bien aller plus loin sur toutes les pistes de collaboration qui ont été imaginées dans le second atelier. Pour José Menendez, directeur d’Euclides,“Les opérateurs d’insertion se rendent compte que les EI sont un nouvel acteur qui se développe avec les mêmes publics qu’eux, qu’ils constituent ensembledes filières, et que remettre en cause un maillon, c’est toucher l’ensemble.” L’intérêt de la journée est donc d’avoir planché sur lesujet tant d’un point de vue technique et pragmatique qu’en débattant sur des orientations politiques. Il n’y a pas de lieu qui rassemble les EI bruxelloises, confirmeJosé Menendez, et l’initiative de cette journée était peut-être le moyen d’enclencher quelque chose de cet ordre.
1 Rue du chimiste 34-36 à 1070 Bruxelles, tél. : 02 556 43 00 ou 02 529 00 00,fax : 02 524 33 26,e-mail : c.euclides@misc.irisnet.be
2 Cette journée, “Attention travail!” était organisée dans le cadre d’un partenariat “L’emploi à l’heure locale” constituéavec trois autres structures de soutien au développement socioéconomique, soutenu par le FSE dans le cadre du programme  » Action locale pour l’emploi” du printemps 2000. Unsite Internet a été créé par les quatre partenaires : http://www.emploi-local.com Des actes de cette journée seront aussipubliés.
3 Brenco, ave Georges Petre 12 à 1210 Bruxelles, tél. et fax : 02 219 17 91, GSM : 0495 51 07 20, e-mail : brenco@wanadoo.be
4 Polybonnevie, rue de la Colonne 45 à 1080 Bruxelles, tél. : 02 411 01 11 ou 0475 61 21 30.
5 Murmuur, Chantal Stubbe, même adresse que le centre d’entreprises, tél. : 02 529 00 04.
6 Bipass, rue des Ateliers 7 à 1080 Bruxelles, tél. : 02 412 10 13.
7 Le ministère de la Région bruxelloise a aussi pu présenter son tout nouveau “Vade mecum sur l’agrément des EI”. Administration del’Économie et de l’Emploi, Cellule Économie sociale, Michel Bikx, CCN, rue du Progrès 80/1 (local 7/217) à 1030 Bruxelles, tél. : 02 204 22 97.

Thomas Lemaigre

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