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Regard critique · Justice sociale

Les chemins de l’avenir de l’emploi artistique

Coupes budgétaires, statut de l’artiste, la culture et son économie sont sous les feux de l’actualité depuis plus d’un an.

Coupes budgétaires, statut de l’artiste, la culture et son économie sont sous les feux de l’actualité depuis plus d’un an. Au centre de la question : y a-t-il une politique de l’emploi dans ce secteur ?

Les institutions culturelles et les industries créatives ont l’image d’un secteur de pointe où de nombreux emplois peuvent être créés et sont difficiles à délocaliser. Pourtant le secteur artistique se sent le mal-aimé des politiques de l’emploi. Dans un texte intitulé « Arts de la scène : une politique de l’emploi pour ouvrir les chemins de l’avenir »1 publié fin 2012, Frédéric Young, délégué général de la SACD-SCAM en Belgique dressait des pistes d’une politique d’emploi : cadastre, grille d’évaluation, programmation, modernisation, aménagements, élargissement du Tax shelter…

Au centre de ses préoccupations : l’ultra-flexibilité du marché et le système de l’intermittence. « Il faut partir du constat que les grosses structures comme la RTBF et les grands théâtres ont eu recours à l’intermittence via les contrats qu’offrent des structures comme Smart. Ces contrats n’offrent pas la même protection sociale (en matière de congé de maternité ou d’accident de travail, par exemple) qu’un contrat normal. Dans les contrats Smart, il n’y a pas d’employeur au sens total du terme. Dès lors, il faudrait identifier les structures ou les missions qui doivent être sorties de l’intermittence, où elle n’est en fait pas justifiable. Avec ce système, on a enraciné un modèle ultra-libéral dans le monde culturel qui est pourtant au cœur des politiques publiques. Ce modèle a aussi contribué à sortir les artistes des postes à responsabilité dans les institutions », soutient-il.

Un cadastre pour établir les besoins

Première revendication : créer un cadastre de l’emploi artistique. Chercheur à l’Observatoire des politiques culturelles, Jean-Gilles Lowies appelle aussi à l’établissement d’un cadastre. « L’emploi artistique n’a pas été étudié depuis 1993. Un cadastre ferait peut-être apparaître les besoins qui devraient être rencontrés », soutient le chercheur. Un tel travail n’évitera pas de régler de nombreuses questions, dont celle de la définition. « La définition de l’artiste dépend de l’instance qui la construit. Chaque instance a ses propres critères. L’artiste, le pouvoir politique, l’Onem… Du point de vue du chercheur que je suis, l’artiste est celui qui s’autodéfinit comme tel », commente Jean-Gilles Lowies. Pour Frédéric Young, établir une distinction est toujours une affaire hautement politique. « Les choix réalisés expriment l’état d’une société et la vision qu’elle se fait de sa situation et de son devenir. L’opportunité de scinder des catégories de personnes doit s’analyser en regard des objectifs que l’on recherche », souligne-t-il.

Pour le chercheur de l’observatoire, aucune des distinctions n’est vraiment valable. « Par exemple, un artiste peut l’être à temps plein sans revenu de son travail, en ayant un revenu du capital », décrit-il. « L’essentiel est de distinguer travail et emploi. C’est essentiel pour comprendre un secteur où l’on travaille parfois sans être payé. D’autres différences apparaissent selon les disciplines, il y a des professions où l’on produit et d’autres où l’on preste. « Comment mettre les gens dans la case artiste » reste un problème ».

Des chiffres qui parlent

Débat d’expert ? Pas tant que cela. Les directives de l’Onem se sont appuyées sur une augmentation prétendue anormale du nombre d’artistes. Jean-Gilles Lowies explique ces chiffres. « L’emploi artistique a augmenté de 79,4 % de 2004 à 2011. Les effectifs sous forme d’indépendant ont augmenté de 46 % sur la même période, principalement sous le statut d’indépendant complémentaire en Région flamande. En fait, cette hausse est tout à fait normale. Dans un système basé sur l’intermittence, plus l’emploi augmente, plus le chômage augmente ! Ce phénomène a été décrit en détail concernant la France et les données recueillies pour la Belgique nous montrent l’existence d’un processus similaire », constate le chercheur[x]2[/x]. Certains chiffres interpellent comme ceux avancés par Jean-Gilles Lowies sur les différences entre classes d’âge. Selon ses recherches, en 2004, les moins de 30 ans représentaient 26 % (1 226) des bénéficiaires du statut d’artiste. En 2011, seulement 16 % (1 345). Ce n’est donc pas l’arrivée de nouveaux artistes qui gonflent les chiffres. En 2004, les plus de 50 ans représentent 12 % (566), en 2011, ils en représentent 17 % (1 433). « C’est donc cette population qui est très concernée. Mais quand l’Onem dit qu’il y a une hausse anormale, il faut intégrer les données sur l’enseignement artistique dans le débat. En 10 ans, pas moins de 20 000 artistes sont sortis de nos écoles. Sur les 8 000 personnes bénéficiant d’un statut, 1 300 ont moins de 30 ans. Donc, moins de 10 % des étudiants sortis des écoles artistiques depuis 10 ans bénéficient de ce statut », constate le chercheur.

Le système de l’intermittence a-t-il atteint son plafond ? Jean-Gilles Lowies ne le croit pas. « On dénombre 14 134 demandeurs d’emploi inoccupés cherchant à exercer un métier artistique. Seulement 8 367 sont chômeurs complets indemnisés. Il y a donc un potentiel important de gens qui pourraient bénéficier de l’intermittence », remarque-t-il.

Et les directives de l’Onem dans tout cela ?

Les directives d’octobre 2011 avaient mis le feu aux poudres dans le secteur. « Des abus manifestes avaient induit la réaction disproportionnée de l’ONEM que nous avons heureusement pu faire revoir », commente Frédéric Young. Fortement sollicité lors de l’apparition des directives de l’Onem il y a quinze mois, Gaetan Vandeplas, responsable du développement chez Artist Project[x]3[/x] (voir encadré) fait le constat suivant. « Il y a eu pas moins de douze aménagements ou modifications à ces directives. Cela a créé une grande insécurité juridique. Il faut bien constater le déficit d’informations que nous avons essayé de pallier », rappelle-t-il regrettant que les tentatives de structuration n’aient pas abouti.

Pour Pierre Dherte de l’Union des Artistes du Spectacle, le dossier évolue dans le bon sens. « Trois prestations suffisent désormais pour rester en « première période ». En résumé, si vous êtes comédien et avez un contrat pour une pièce de théâtre que vous jouez 28 fois, et bien vous avez 28 prestations valables ! », se réjouit-il. Il rappelle cependant des points qui restent pendants : voix off pour des publicités, demande de l’Onem de fournir des preuves matérielles en plus du contrat, application de la règle du cachet aux techniciens… « Vu l’ampleur de ces difficultés, la ministre Fadila Laanan envisage de réunir très prochainement la plate-forme des artistes afin de compléter ce travail d’analyse de la manière la plus large et concertée possible », annonce-t-il.

Au-delà du factuel, Jean-Gilles Lowies analyse la réaction des pouvoirs publics. « L’intermittence a ses conséquences. Soit les pouvoirs publics l’acceptent, soit ils jouent sur les variables : l’emploi, le chômage ou le système lui-même. C’est évidemment très artificiel. C’est ce que fait l’Onem en ne tenant compte que des contrats signés dans le cadre de certaines commissions paritaires ou en augmentant le nombre de prestations pour rester en première période. Hier une, aujourd’hui trois, pourquoi pas demain quinze ? Cela ne résout rien. Il faudrait diminuer l’importance de l’intermittence dans l’emploi », estime-t-il.

Gaetan Vandeplas nuance ces propos. « L’intermittence est un fait. Le déficit de protection et la nécessité d’une concertation sociale dans le secteur sont deux thèmes dont les syndicats devraient s’emparer », soutient-il pour sa part. La politique publique se limite-t-elle à l’Onem ? « Changer les lois, c’est compliqué ! Dans les faits, la liberté d’appréciation de l’Onem est énorme. Va-t-on laisser à l’Onem le soin de faire la décision sur le statut d’artiste ? Il y a une nécessité que l’Onem ne soit plus seul à décider », conclut Pierre Dherte.

Il y a quelques années, un point important des Etats généraux de la Culture avait donné naissance à un axe : « Rendre leur place aux artistes ». N’y a-t-il pas désormais urgence ?

Quelques propositions en débat

Alors, au-delà d’un cadastre, qu’est-ce qui pourrait être constitutif d’une politique de l’emploi artistique ? Frédéric Young propose par exemple de définir des grilles d’intervention permettant de garantir le respect des salaires et conditions minimales des conventions collectives. Pour sa part, Jean-Gilles Lowies pense qu’il faut encourager les institutions à prolonger les contrats. « La masse salariale artistique est en effet une variable facilement ajustable par les institutions », déplore-t-il.

Autre proposition : les avantages fiscaux. « Des mesures d’incitation fiscale à investir dans la création devraient être élaborées en visant à soutenir particulièrement l’écriture et le développement car c’est à ces étapes que les moyens manquent le plus. Elles doivent tenir compte de l’expérience du « tax shelter » audiovisuel qui a évolué en laissant une place sans doute trop favorable à certains intermédiaires », estime le délégué général de la SACD.

L’artiste : un entrepreneur ?

L’asbl Iles sise à Schaerbeek dans la Lustrerie a pour vocation historique d’accompagner les jeunes entrepreneurs. Elle a développé depuis quelques années une « cellule artiste ». Alors, l’artiste, chef d’entreprise ? « Je ne le vois pas ainsi. Mais l’artiste est un développeur de projets. Il doit donc être outillé et orienté convenablement », soutient Gaëtan Vandeplas, coordinateur de la cellule.

Artist Project offre des services divers : de l’information via des sessions régulières en interne ou en externe dans les établissements d’enseignement artistique, de la formation et de l’accompagnement.
« Notre objectif est de rendre l’artiste plus autonome en lui donnant des outils pour développer ses réseaux, ses outils et sa vision stratégique », explique Gaetan Vandeplas. La cellule effectue aussi un peu de travail de recherche et développement sur le statut de l’artiste, les politiques et l’entrepreneuriat culturels.

« Dans la culture, les frontières sont peu marquées entre le marchand et le non-marchand. En Belgique francophone, on remarque une trop faible répartition territoriale. Il faut décentraliser. Si le soutien via les pouvoirs publics est un modèle, d’autres sont en train de se développer comme la collaboration avec les entreprises, les modèles participatifs ou d’économie sociale », constate le coordinateur d’Artist Project.

1. Ce texte peut être téléchargé sur le site : http://www.sacd.be/Arts-de-la-scene-Une-politique-de
2. Séminaire organisé par le GRAP (ULB) le 14 décembre 2012 : « L’emploi dans les métiers artistiques ».
– site : http://grap.ulb.ac.be/seminaire-grap-lemploi-dans-les-metiers-artistiques]http://grap.ulb.ac.be/seminaire-grap-lemploi-dans-les-metiers-artistiques
3. Artist Project, Iles asbl :
– adresse : c/o La Lustrerie, rue des Palais, 153 à 1030 Schaerbeek
– tél. : 02 244 92 24
– courriel : info@artistproject.be
– site : http://www.artistproject.be

Jacques Remacle

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