Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Les banques contournent la loi sur la garantie locative

Certains organismes bancaires refusent de garantir le montant total de la garantie locative aux locataires qui désirent pour des raisons de ressources financières constituer celle-ciprogressivement

14-07-2009 Alter Échos n° 277

Le 1er juillet, la parlementaire fédérale Karine Lalieux (PS) interpellait les ministres de la Justice et des Finances face au refus de certains organismes bancaires degarantir le montant total de la garantie locative aux locataires qui désirent pour des raisons de ressources financières constituer celle-ci progressivement.

Le dossier n’a rien de neuf. Mais il tarde à connaître des avancées malgré les interventions de plusieurs groupes de défense des locataires, desconsommateurs et les interpellations politiques. De quoi s’agit-il ? Le 25 avril 2007, le parlement fédéral adoptait une loi qui réformait plusieurs dispositions sur lesbaux à résidence principale. L’une d’elle (l’article 103) portait sur la mise en place d’un nouveau système de garantie locative. Désormais, leslocataires en mesure de verser intégralement la garantie locative sont tenus de s’acquitter de deux mois de loyer à verser sur un compte individualisé bloquéà cet effet. Les locataires dont la situation financière ne permettait pas de procéder ainsi avaient la possibilité de constituer progressivement la garantie locativeéquivalente alors à trois mois de loyer soit auprès de leur institution bancaire qui était obligée de garantir le montant total dès la conclusion du contratde bail, soit auprès de leur CPAS se portant garant auprès de la banque. À charge du locataire de reconstituer cette somme par mensualités pendant la durée ducontrat avec un maximum de trois ans. Notons que ce dispositif mettait officiellement fin au paiement de la garantie en mains propres même si celle-ci reste pratique courante.

« Pour frais de dossier… »

Très vite, les banques ont renâclé. Sur le terrain, diverses associations de défense de locataires et de consommateurs ont constaté des pratiques allant àl’encontre de la loi sous la forme notamment de frais de dossiers exorbitants ou de désinformation délibérée au guichet ou sur leur site web. Ainsi Test-Achatsrévélait dans un communiqué de presse datant du 25 juin 2009 qu’ING demandait 250 € « pour frais d’étude pour l’octroi » et que BNPParibas Fortis exigeait 250 € « pour ouverture de dossier » contre 50 € chez Dexia et la KBC/CBC. Notons que si les banques font preuve d’imagination, elles nesont pas strictement dans l’illégalité puisque la loi du 25 avril 2007 ne leur interdit pas spécifiquement de demander des frais de dossier. Ce qui poussel’association de défense des consommateurs à demander qu’on inscrive explicitement dans la loi qu’aucun frais ne peut être réclamé.« Dans le cas contraire, la loi ne sert à rien », conclut l’association.

Autre constat réalisé par Test-Achats : la grande liberté des organismes bancaires en matière d’information sur Internet. « Au moment del’enquête, sur les sites des banques Dexia, ING et KBC/CBC, pas un mot sur cette possibilité légale [de constitution de la garantie locative via la banque] ! Seuleréférence : le blocage d’une somme sur un compte. BNP Paribas Fortis présente par contre les trois options possibles, y compris la garantie bancaire mais avec uncommentaire complètement déplacé, expliquant que cette possibilité était spécialement destinée aux jeunes entre 18 et 30 ans. De ladésinformation claire pour détourner ou contourner la loi ! »

Même son de cloche du côté du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH). Cette association fédérative de défense du droit aulogement avait réalisé en novembre 2008 une enquête1 qui constatait notamment que sur les 300 réponses à leur questionnaire, moins de la moitié desgaranties locatives avaient été constituées par l’un des trois systèmes prévus par la loi. « Dans les autres cas, le propriétaire impose quela garantie soit accordée en argent comptant, via un bon d’assurance ou autre », observe le RBDH.

Du côté des banques, on dénonce dans le chef de leur représentant, Febelfin, « un système qui porte gravement atteinte au principe de la libertécontractuelle qui implique le droit de contracter ou non. »2 La fédération coupole du secteur financier belge dénonce ainsi un régime qui impose auxbanques d’accorder obligatoirement sur simple demande du locataire la garantie locative sans pouvoir prendre en compte l’état de solvabilité de celui-ci et sanssûreté. « Les obligations et risques des parties à un contrat de bail sont reportés sur l’institution financière. L’obligation de constituerune garantie locative est reportée du locataire sur la banque. Le risque du bailleur est reporté sur la banque en cas d’insolvabilité du locataire. » Febelfindemande donc que l’octroi de la garantie locative bancaire demeure une décision commerciale réservée aux plus faibles revenus dont la nature doit être, selon elle,précisée dans la loi.

Interpellations politiques

Le 1er juillet dernier, dans son interpellation3 à la Chambre, du ministre des Finances, Didier Reynders (MR), et du ministre de la Justice, Stefaan De Clerck(CD&V), la parlementaire Karine Lalieux (PS) s’étonnait que malgré « une proposition de loi4 visant à modifier la loi sur les baux en vued’interdire des frais dans le cadre de la garantie locative déposée en octobre 2007 et diverses interpellations, cela n’avance pas beaucoup ! »

À la question de savoir ce qu’il était possible de faire pour exiger des banques qu’elles respectent la loi, le ministre Reynders déclarait qu’il revenaità la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) de contrôler le respect des conditions d’agrément des banques. « Ce contrôle comprend lecontrôle des actionnaires, des dirigeants, de l’organisation administrative et comptable et de la structure financière. Le contrôle du chapitre 3 du titre 6 de la loi du 25 avril2007 qui réforme le régime de la garantie locative ne fait pas partie des missions assignées par la loi du 22 mars 1993 à la CBFA. De façon générale,la CBFA n’est d’ailleurs pas compétente pour connaître comme telles des relations individuelles entre une banque et des clients déterminés. » Et le ministre desFinances de renvoyer les particuliers s’estimant lésés par l’attitude d’une banque au service de l’ombudsman. Reste au ministre de la Justice àpréciser quelle administration est compétente pour surveiller le respect des dispositions de la loi du 25 avril 2007.
Un ping-pong interministériel auquel il manque encore la r
éponse du ministre De Clerck. Nous l’avons contacté, mais sans obtenir de réponse de la part de sonporte-parole. À suivre donc.

En attendant, sur le terrain, les conséquences du refus des banques se reportent immanquablement sur les CPAS vers lesquels se tourne un public habituellement non usager de ces services. Cequi pousse Christophe Ernotte, directeur général de la fédération des CPAS wallons, à déclarer que « si les banques estiment qu’elles nepeuvent accepter cette situation, libre à elle d’exercer un lobbying auprès des responsables politiques pour faire modifier la loi. En attendant, celle-ci doit êtreappliquée. Et à défaut, des sanctions plus contraignantes doivent être prises contre les organismes bancaires qui se sont mis hors la loi. »

1. Les résultats de cette enquête sont consultables sur le site du RBDH : www.rbdh-bbrow.be/spip.php?article419.
Le RBDH propose également plusieurs pistes pour améliorer ce dispositif législatif.
2. La position de Febelfin est téléchargeable en ligne (format pdf)
3. Il s’agit de la question de Karine Lalieux au vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles sur « le défaut d’information de lapart des banques en ce qui concerne la garantie locative » (nº 14101).
4. Proposition de loi relative à la garantie locative constituée par une garantie bancaire (déposée par M. Thierry Giet, Mme Karine Lalieux et MM. Claude Eerdekens etAndré Perpète), le 9 octobre 2007. Cette proposition vise à interdire aux banques de réclamer certains paiements supplémentaires à ceux demandés pourun compte à vue pour l’ouverture, la gestion et la clôture d’une garantie bancaire.

nathalieD

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)