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Le vieillissement des populations immigrées est un défi pour l’Europe

Pratiques nationales ou régionales, pistes de réflexion et échanges d’expériences : le Conseil de l’Europe sortira bientôt un rapport et fera desrecommandations à ses pays membres.

13-03-2009 Alter Échos n° 269

Préoccupation récente, le vieillissement des populations immigrées est un défi grandissant pour l’Europe. Pratiques nationales ou régionales, pistes deréflexion et échanges d’expériences : le Conseil de l’Europe1 sortira bientôt un rapport et fera des recommandations à ses pays membres.

Les politiques sociales des pays européens en faveur des migrants âgés sont insuffisantes. Or le temps presse. Au cours des prochaines décennies, le pourcentage desjeunes de l’ensemble de la population européenne se réduira, et celui des personnes âgées de 65 à 79 ans augmentera. C’est le constat générald’un séminaire, organisé par Wallonie Bruxelles International, « sur les politiques et pratiques relatives aux migrants âgés dans les États membres duConseil de l’Europe », les 2 et 3 mars à Bruxelles.

Les pays européens ont longtemps ignoré ces populations. Ils ont d’abord voulu croire au caractère transitoire de l’immigration. Ils disposent donc de peud’études, de faibles connaissances et expériences. Et, pour ne rien arranger, les échanges avec les acteurs sociaux sont souvent limités par la barrière de lalangue.

En pâtissent surtout les populations non européennes, arrivées à partir des années ’70-’80 (après la première vague de main-d’œuvreaprès-guerre), notamment les réfugiés fuyant guerre, dictature et misère et les personnes ayant pu rejoindre leurs familles installées en Europe. Non que, commel’a rappelé Jamila Zekhnini, du Centre bruxellois d’action interculturelle, « les personnes âgées migrantes ou non migrantes constituent un groupehomogène et standardisé, encore moins lorsqu’il s’agit de prendre en compte les dimensions culturelles et cultuelles propres à chaque cas de référence.» Mais force est de constater que les migrants âgés sont moins bien logés que les natifs de la même génération.

En France, par exemple, ce n’est que sous la pression des associations que le « minimum vieillesse » a été étendu, en 1998, à l’ensemble desmigrants sans condition de nationalité, a indiqué Gilles Desrumaux, délégué général de l’Union professionnelle de l’hébergementsocial en France.

Manque d’information et de formation

Pour combler le manque de connaissances, le Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (CDEEM) de l’Université de Liège, et les centres régionauxd’intégration de Charleroi et de La Louvière ont lancé différentes études, présentées lors de ce séminaire européen, dont lavariété des sujets a donné une idée de l’ampleur des défis.

Premier constat, « le troisième âge immigré est très mal informé, voire pas du tout, quant aux structures d’encadrement existantes et à sesdroits d’accessibilité. » D’où la question des meilleurs canaux à utiliser pour favoriser l’information d’un public ne maîtrisant pas lalangue française et n’ayant pas accès aux médias usuels. Et de la pertinence d’utiliser l’oral et les contacts.

Avec les personnes âgées se pose, d’abord, le problème de la dépendance. Or, relèvent ces études belges, dans nombre de cultures moins individualistes,« on ne place pas les vieux en maison d’accueil, qui est synonyme de mouroir, on ne délègue pas l’entretien de la maison, les courses ou les déplacementsà l’extérieur, cela suscite un sentiment de honte. » Un intervenant suédois a fait le même constat : « la proportion des personnes âgées noneuropéennes dans des maisons de retraite chez nous est clairement inférieure à la proportion qui a une aide à domicile ». Toutefois, a noté Welat Songur, dubureau national suédois de la Santé et du Bien-être, « il est difficile de savoir si c’est eux qui ne veulent pas vivre dans ces maisons, ou ces maisons qui ne leursont pas accessibles. » Bref, la famille proche est la seule alternative.

De leur côté, les acteurs sociaux impliqués dans le secteur du troisième âge disent d’abord manquer de connaissances culturelles. Ils déplorent aussila difficile adaptation des structures d’encadrement et d’accueil, essentiellement pour des raisons budgétaires : ces populations ont une représentativité trop faiblepour justifier plus d’efforts financiers. Finances qui de toute façon font défaut. Ces enquêtes régionales, a expliqué Chantale Gosseau, directrice du Centrerégional d’intégration de Charleroi, devraient mener à la rédaction d’un rapport sur « les besoins spécifiques du 3e âge del’immigration » afin d’interpeller les pouvoirs publics en vue d’envisager le développement d’initiatives novatrices éventuelles.

Les difficultés sont aussi d’ordre médical. Pour reprendre l’exemple suédois, selon une étude menée par le pays, « les migrants âgés de55 à 84 ans ont une santé plus précaire que les Suédois âgés ». Y compris en termes de santé mentale. Alors que le système socialsuédois est généralement jugé performant, « même les migrants pensionnés sont en plus mauvaise santé, notamment les migrants non européens», a précisé Welat Songur.

La municipalité d’Oslo s’appuie, elle, sur le travail de son médiateur pour personnes âgées, Siri Anett Myhre. Il établit le même constat : lescitoyens âgés issus de l’immigration « ne comprennent pas leurs droits ou les services qui leur sont offerts ». Toujours à cause du problème de la langue.Ces citoyens sont également demandeurs de meilleures offres, qui leurs sont spécifiques, en matière de nutrition, de mode de vie, de traditions, de pratique religieuse et demoyens d’expression. Si lui aussi insiste sur le rôle de la famille, il n’est pas sûr, en revanche, que les besoins et souhaits individuels des immigrants âgéssoient « systématiquement différents » de ceux des autres séniors d’Oslo.

Le rôle des associations

Reste à savoir qui répond aux besoins des migrants âgés (qu’ils soient spécifiques ou non). Jamila Zekhnini a notamment fait valoir que « lesréponses apportées actuellement à certains besoins spécifiques, ou non, des vieux migrants le sont autant par des acteurs intervenant dans le réseau formel que dansle réseau informel. » Ces réseaux sont associatifs, communautaires ou familiaux. Tout dépend de l’aspect à prendre en charge, des capacités ou despossibilités &agrav
e; le faire. L’important est d’avancer dans une logique de complémentarité, a insisté Jamila Zekhnini.

« Il semble qu’une articulation originale entre associations et institutions soit de nature à permettre une meilleure adaptation des politiques publiques auxspécificités des migrants âgés », a acquiescé le Français Gilles Desrumaux.

Deux exemples – là encore, belges – illustrent bien ces propos. Celui du logement. Compte tenu de l’envolée des prix des loyers à Bruxelles pour les biensdestinés aux bas revenus ou du logement social largement saturé, les familles nombreuses, et de surcroît les familles immigrées, ont de plus en plus de mal à seloger, a souligné Nicolas Bernard, professeur aux facultés universitaires Saint-Louis. Des mesures publiques sont prises pour faciliter l’accès à lapropriété. Mais elles ne touchent pas suffisamment les ménages paupérisés. Or, comme souvent dans de tels cas, la société civile s’organise. Ilen va ainsi de l’asbl « Coordination et initiatives pour et avec réfugiés et étrangers (CIRE) », active surtout à Bruxelles, qui aide lesétrangers à acquérir un logement. Autre pratique intéressante : l’habitat intergénérationnel promu par l’association, qui fait cohabiter dans unmême bâtiment un couple de séniors et un jeune ménage. Sans pour autant contraindre les jeunes à jouer les infirmières. Il s’agit de « mutualiserl’aide et le soutien », a précisé Nicolas Bernard. Initiatives qui, selon lui, intéressent de près les autorités publiques. Problème : lesobstacles juridiques sont nombreux sur la voie d’une reconnaissance officielle.

Autre exemple, celui des femmes. Tous les intervenants ont préconisé une « attention spéciale » à l’égard des femmes âgées issuede l’immigration. Selon Louise Ngandu, fondatrice et présidente de l’Union des femmes africaines, certains facteurs psychoculturels liés à l’éducation,aux valeurs reçues et à l’attachement au pays d’origine sont très prégnants. Même arrivées jeunes en Belgique, ces femmes n’ont jamaisvraiment posé leurs valises, elles n’ont jamais pensé vieillir en immigration et se retrouvent isolées et enfermées alors qu’au pays d’origine la vie sedéroulait à l’extérieur. D’autres n’ont pas de famille pour amortir le choc culturel. Il faut aussi compter avec des syndromes post-traumatiquesliés à des souffrances vécues dans le pays d’origine et, toujours, avec la barrière de la langue. Là aussi des initiatives sont prises pour accompagnerl’intégration : cours de langues, activités culturelles, rencontres pour les femmes âgées. Mais la proportion des femmes qui fréquentent ces lieux esttrès limitée, a reconnu Louise Ngandu. Outre le renforcement des associations, elle plaide pour la formation des professionnels soignants et sociaux aux pratiques culturelles et valeursdes pays d’origine de ces personnes.

Initiatives européennes

Présente à la réunion, la ministre allemande des Affaires intergénérationnelles a également rappelé l’existence du projet européen« Vieillissement actif des personnes âgées issues de l’immigration en Europe », subventionné par l’Union européenne et le Land de Rhénanie duNord-Westphalie. Objectifs : reconnaître ce que les personnes âgées issues de l’immigration ont accompli dans leur vie, montrer les chances et potentiels que représententles personnes âgées issues de l’immigration, encourager l’intégration sociale, culturelle et économique des personnes âgées issues de l’immigration. Unepremière conférence, le 2 octobre 2008, à Bonn a donné lieu à des recommandations, stipulant entre autres que les personnes âgées immigrées nedevraient pas être perçues comme un « groupe cible » mais comme des partenaires avec les mêmes droits et, donc, comme des sujets et non des objets de leur environnementsocial.

1. Créé le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe est un organisme intergouvernemental, ne faisant pas partie des institutions de l’Union européenne, qui regroupe 47 payseuropéens. Son siège est à Strasbourg.

nathaliev

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