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Le mouvement des sans-papiers menace d’une grève de la faim généralisée

Aujourd’hui, près de 40 églises ou locaux sont occupés par les sans-papiers. L’exigence d’une procédure de régularisation avec des critères clairsinscrits dans la loi, qui est à la base de leur action, est toujours rejetée par le ministre de l’Intérieur et par trois des partis (SP.A, MR et VLD) qui composent lamajorité gouvernementale. À la veille d’une importante manifestation nationale pour la régularisation, le bras de fer avec le ministre de l’Intérieur débute.

16-06-2006 Alter Échos n° 210

Aujourd’hui, près de 40 églises ou locaux sont occupés par les sans-papiers. L’exigence d’une procédure de régularisation avec des critères clairsinscrits dans la loi, qui est à la base de leur action, est toujours rejetée par le ministre de l’Intérieur et par trois des partis (SP.A, MR et VLD) qui composent lamajorité gouvernementale. À la veille d’une importante manifestation nationale pour la régularisation, le bras de fer avec le ministre de l’Intérieur débute.

L’Union de défense des sans-papiers (Udep)1 (cf. encadré) s’impatiente. Si rien ne bouge à l’occasion des débats à la Chambre, les sans-papiers sontprêts à se lancer dans une grève de la faim généralisée, dès ce lundi 19 juin. Soit au surlendemain de la manifestation prévue ce samedi 17. « Ce ne sera pas une grève de la faim pour que les gens obtiennent leur régularisation, comme cela s’est fait auparavant, prévient Ali Guissé, porte-parole de l’Udep. Maispour que la loi change.  » L’Udep estime qu’elle a tout fait pour empêcher jusqu’ici ce type d’action mais que  » l’attitude des dirigeants politiques ne laisse plus le choix « . Le mouvementcompte aussi sur la solidarité des sans-papiers de France, d’Espagne et d’Italie qui devraient manifester le 17 devant l’ambassade de Belgique.

L’audition de l’Udep à la Commission de l’Intérieur

Des représentants de l’Udep ont par ailleurs été reçus par le ministre de l’Intérieur Patrick Dewael début juin. Une rencontre qui n’a pas rassuréles sans-papiers, au contraire. « Le ministre nous a expliqué que l’opinion publique ne nous était pas favorable… »

L’Udep refuse aussi l’idée d’une approche plus clémente pour les seuls demandeurs d’asile déboutés, victimes d’une longue procédure.  » Les clandestins, ceux quin’ont jamais demandé l’asile, font partie des sans-papiers, dit l’Udep, et nous menons ce combat ensemble.  » Ainsi les représentants des sans-papiers expliquaient devant la Commissionla nécessité de régulariser tout le monde : « Nous avons tous des parcours différents, nombre d’entre nous ont introduit une procédure qui s’estavérée interminable : des procédures d’asile qui prennent plus de quatre ans, des recours au Conseil d’État qui mettent entre trois et sept ans pour aboutirà une décision, des demandes de régularisation qui attendent un traitement depuis deux, trois, quatre ans à l’Office des étrangers. Durant des annéesd’attente et d’espoir, nous et nos enfants, avons tissé des liens indissolubles avec la société belge. Certains ont reçu un ordre de quitter le territoire,d’autres ont encore une carte de séjour provisoire car ils sont toujours dans une procédure quelconque, d’autres encore sont ce que l’Office des étrangersappelle des « clandestins purs » parce qu’ils sont ici mais n’ont jamais osé introduire de procédure, alors que beaucoup d’entre eux travaillent et ont une familleétablie en Belgique. Pour nous, c’est pareil, nous sommes tous des sans-papiers, nous vivons tous dans la même détresse, la même incertitude quant àl’avenir. C’est pour cela que nous insistons ici pour qu’aucune différence ne soit faite entre les clandestins (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas connus parl’Office des Étrangers) et les autres sans-papiers. Ces clandestins sont certainement les plus nombreux sur le territoire belge. Ils forment la catégorie de sans-papiers la plusexploitée et la plus fragile. Tout projet de régularisation doit donc les prendre en compte en tout premier lieu. »

Les avocats qui défendent les sans-papiers ont dit aussi leur découragement face au système actuel. Et de brandir des décisions récentes de l’Office desétrangers qui ne tiennent pas compte des  » consignes  » données par le ministre. Certains sont régularisés. D’autres, avec un profil semblable, pas.  » C’est une loterie « ,explique Me Alexis Deswaef2.

Un constat également relayé par les sans-papiers eux-mêmes aux parlementaires : « Lorsque nous allons voir un avocat ou un service juridique pour être conseillésdans les démarches à suivre, tous nous disent la même chose : le seul article de loi en droit belge qui ouvre une voie à la régularisation, c’estl’article 9 alinéa 3 de la loi du 15 décembre 80, mais le problème est qu’il ne définit aucun critère permettant de savoir qui peut êtrerégularisé et qui ne peut pas l’être, et que les décisions sont arbitraires. Combien de fois avons-nous été témoins de personnes qui setrouvaient dans des situations similaires et qui pourtant ont reçu des réponses radicalement différentes à leur demande de régularisation. Quelle serait laréaction des citoyens belges s’ils étaient confrontés au même type d’arbitraire dans des domaines du droit qui les concernent ? »

Décision déjà entérinée ?

Le projet sur la procédure d’asile (cf. Alter Échos n°199), actuellement en discussion en commission de l’Intérieur de la Chambre prévoit pour l’essentielque ce n’est plus l’Office des étrangers qui se prononce sur la recevabilité des dossiers des demandeurs d’asile. Le statut de réfugié sera dorénavantaccordé ou refusé par le Commissariat général aux réfugiés. Un Conseil à créer traitera de l’appel des décisions. Le Conseild’État n’interviendra plus qu’en tant que chambre de cassation.

De nombreuses voix se sont élevées pour dire que le filtre qui doit empêcher qu’il y ait trop de recours devant le Conseil d’État est insuffisant. Or, si les recourssont trop nombreux, cela entraînera de nouveaux retards dans le traitement des dossiers.

Le PS plaide depuis le début pour la création d’une Commission permanente de régularisation, dont les autres partenaires de la majorité ne veulent pas : ils sontfavorables à un renforcement du filtre. En échange, ils pourraient accepter un élargissement des conditions de régularisation.

Le Comité restreint s’était déjà penché sur la question ce 12 juin et a repris le dossier ce 14 juin, mais il n’y a pas eu d’accord. À la demande dugroupe PS, les articles concernant ce volet de la loi réformant la procédure d’asile en discussion en commission de l’Intérieur de la Chambre ont étéréservés. L’idée de prendre en compte le délai de la procédure devant le Conseil d’État dans le calcul de la durée du séjour en Belgiquepouvant ouvrir à la régularisation a été lancée mardi en Commission par Patrick Dewael. C’était une première ouverture. Le PS veut aller plus loin etouvrir aussi les possibilités de régularisation aux  » illégaux purs « , ceux qui vivent dans notre pays depuis des années sans être passés devant les instancesde l’asile. Avec dans tous les cas, des critères d’intégration à évaluer (connaissance de la langue, volonté de travailler).

Les socialistes veulent en outre formaliser ces critères dans une circulaire ou un arrêté royal. Les autres partis de la majorité s’y opposent. Le président duMR, Didier Reynders, l’a encore expliqué, mercredi, il refuse toute formalisation. Il veut rester à 100 % dans la logique du pouvoir discrétionnaire du ministre. Patrick Dewaelespérait déposer à la Commission les amendements du gouvernement. C’est partie remise. Mais le temps presse : le ministre tient à faire voter son projet de loi avant lesvacances. Le point devrait à nouveau être abordé ce dimanche 18 juin en Comité restreint.

Reste que, malgré l’audition de nombreuses associations favorables à la régularisation, et pas seulement l’Udep, les arguments ne semblent pas percuter chez lesparlementaires. Il est vrai que le rapport de force ne plaide pas en faveur des socialistes très isolés au sein du gouvernement sur cette question mais il ressort des débats enCommission que ceux-ci ont adopté une position peu combative. Une Commission qui risque donc, comme l’analysait ce jeudi Hugues Le Paige sur les ondes de la RTBF, de se comporter en chambred’enregistrement face à ce qui est déjà une décision gouvernementale…

L’UDEP

L’Udep est un mouvement né en juin 2004, organisé pour et par les sans-papiers. Il a pris son essor en réaction, l’année dernière, aux arrestationsdans les centres d’accueil, de candidats réfugiés déboutés, toujours en procédure devant le Conseil d’Etat et dont la plupart résidaient enBelgique depuis plusieurs années.

Dans un premier temps, c’est à l’église Saint-Boniface que les sans-papiers sont allés se réfugier, toutes nationalités confondues, et c’estlà qu’une conscience politique a germé dans la population des sans-papiers par le constat qu’en Belgique, il n’y avait plus d’autres moyens pour attirerl’attention des politiques que d’occuper une église. Cette occupation de Saint-Boniface a été suivie par une trentaine d’autres en 2006.

Appel à la mobilisation

À côté de la FGTB, dela CSC, du MOC, de la Ligue des familles, du Centre pour l’égalité des chances, une série de citoyens connus en Belgique ont pris laparole ce jeudi 15 juin à l’initiativie du FAM et de l’Udep afin d’appeler les autorités  » à prendre leurs responsabilités et à ne pas faire l’autruche sur laquestion des sans-papiers »3. Parmi ceux-ci les Frère Dardenne : « Nous demandons à notre gouvernement de ne pas fermer la porte à toute négociation permettant demettre en œuvre une politique de régularisation avec des critères clairs et réalistes tels que ceux proposés par le Forum Asile et Migrations et les syndicats », ontplaidé les deux cinéastes belges. D’autres tels qu’Adamo, Arno, Bernard Focroulle, Juan d’Oultremont, Denis Lambert, Claude Semal, Jacques Mercier, Pie Tshibanda, FrançoiseWolff, Gabriel Ringlet, etc. ont également tenu à manifester leur soutien et ont appelé à manifester ce 17 juin.

1. Udep, Ali Guissé, porte-parole et coordinateur général de l’Udep Bruxelles et National – GSM : 049833 07 48 – guissaly@yahoo.com
2. In Le Soir du 9 juin 2006.
3. Lire le texte de Paul Hermant, écrivain, que nous publions en édito dans cenuméro.

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