Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

Le fédéral a des idées pour les Régions. Et de l'argent ?

Le gouvernement fédéral a prévu de nouvelles mesures en matière d’emploi et de chômage. Actiris et le Forem auront-ils les moyens de les mettre en place ?

Le gouvernement fédéral a prévu de nouvelles mesures en matière d’emploi et de chômage. Un projet d’accord organise leur prise en main par les services régionaux de l’emploi. Actiris et le Forem auront-ils les moyens de mettre ces mesures en place?

On pourrait l’appeler la mère de toutes les batailles. Car derrière le nom très peu sexy de ce document obscur – Projet d’accord de coopération entre l’État fédéral, les Régions et les Communautés relatif à l’accompagnement et au suivi actif des chômeurs – se cachent des enjeux plus qu’importants pour le secteur de l’emploi et du chômage. Des enjeux où l’on parle d’augmentation de l’âge de la disponibilité des chômeurs, de nouveau régime pour les travailleurs à temps partiel. Mais aussi et surtout de gros sous et de charge de travail supplémentaire pour les services régionaux de l’emploi comme Actiris et le Forem. Le tout avant la régionalisation de certains pans de la politique de l’emploi à partir de 2014.

Le fédéral rebat les cartes

Tout commence en 2004, lorsqu’un premier accord de coopération est élaboré. Son but: clarifier les relations entre l’Onem (Office national de l’emploi), les services régionaux de l’emploi… et le chômeur. Grosso modo, l’Onem est chargé de vérifier que ce dernier cherche activement du travail et qu’il remplit bien les conditions d’octroi des allocations de chômage. Les services régionaux sont quant à eux chargés de l’aider dans ses démarches de recherche active d’emploi. Dans ce cadre, un budget de près de 25 millions d’euros est débloqué par l’État fédéral à destination des services régionaux. Cet argent est réparti entre eux suivant une clef de répartition.

Mais en décembre 2011, l’accord de gouvernement fédéral vient rebattre les cartes. Celui-ci prévoit plusieurs mesures visant à modifier le marché du travail. Parmi elles, certaines ont un impact direct sur l’accord de coopération du 30 avril 2004 (voir encadré). Et appellent donc sa révision. Le «projet d’accord de coopération entre l’État fédéral, les Régions et les Communautés relatif à l’accompagnement et au suivi actif des chômeurs» est né. S’il concerne aussi l’Onem, il vise en fait à déterminer le rôle des Régions. Des Régions qui vont, à des degrés d’avancement divers à l’heure actuelle, étudier ce projet d’accord. En Wallonie, le texte est passé en deuxième lecture devant le gouvernement le 20 juin 2013. À Bruxelles, la première lecture a eu lieu fin juin. Détail important: cet accord est provisoire jusqu’au transfert effectif des nouvelles compétences dévolues aux Régions en matière de contrôle des chômeurs.

Salée, la note?

Actiris et le Forem ont très vite sonné l’alarme. Pour eux, l’application de ce projet d’accord risque de leur coûter cher. Le nombre de chômeurs supplémentaires à accompagner est en effet important. Dans une note datée du 19 juin 2013 à destination de Céline Fremault, ministre bruxelloise de l’Emploi, le Corps interfédéral de l’inspection des finances estime d’ailleurs «que le nouvel accord de coopération aura des incidences budgétaires négatives pour les institutions bruxelloises concernées». Les Régions n’ont d’ailleurs pas attendu pour solliciter une augmentation de l’enveloppe budgétaire globale dévolue à l’accord de 2004. Qu’elles obtiennent puisque le fédéral prévoit quatre millions de plus en 2014. Notons que deux millions étaient également prévus pour 2013… dans l’hypothèse où le projet d’accord serait entré en vigueur le 1er juillet 2013. Ce qui ne s’est pas passé. Selon le Forem, le fédéral proposerait aujourd’hui que l’accord soit mis en œuvre dès le 1er janvier 2014 pour tous les demandeurs d’emploi de moins de 30 ans. Et à partir du 1er juillet 2014 pour les autres. Une information que le cabinet de Monica De Coninck (SP.a), ministre fédérale de l’Emploi, n’a pas souhaité nous confirmer. «C’est en discussion à l’heure actuelle», nous dit-on.

Y aurait-il de l’eau dans le gaz entre les Régions et le fédéral? Ce qui est sûr, c’est que les services régionaux font leurs comptes. Pour appliquer les mesures contenues dans le projet d’accord, le Forem estime qu’il lui faudra 145 équivalents temps pleins en plus pour des postes de conseillers référents destinés à «la prise en charge des publics supplémentaires (plus de 50 ans, bénéficiaires d’allocations d’insertion travaillant à temps partiel avec une allocation garantie de revenu et personnes en incapacité de travail de 33 %) et l’accompagnement des bénéficiaires d’allocations d’insertion» (voir encadré). Avant de préciser qu’il faudra aussi «une nécessaire montée en puissance de quasi l’ensemble du Forem. L’estimation est donc, dans l’état actuel des choses, quasi impossible». Néanmoins, le service wallon affirme que les moyens prévus pour lui à cet effet, même agrémentés du supplément pour 2014, «ne sont évidemment pas suffisants». L’organisme wallon recevrait ainsi 11 872 728 euros au total, soit 1 649 600 euros de plus qu’avant. Actiris, quant à lui, aurait estimé à quatre millions d’euros ses besoins budgétaires pour répondre au nouvel accord de coopération.

Bienvenue en absurdie?

En réponse à ces difficultés, un phasage de l’application de l’accord serait en discussion pour Bruxelles et la Wallonie. Ici aussi, impossible de savoir ce que ce phasage contient. «C’est en discussion», se borne à répondre le cabinet de Monica De Coninck. Mais deux choses sont sûres. Un, «il y a ce qui est prévu et la situation sur le terrain. Il y aura des choix à faire», souligne une source proche du dossier qui a préféré rester anonyme. Et deux, on peut se poser la question suivante: n’est-il pas un peu absurde de faire entrer en vigueur en 2014 un accord provisoire qui ne devrait plus être d’application dès que le transfert de compétences du fédéral vers les Régions sera effectif? Un transfert prévu à partir de… 2014.

Projet d’accord de coopération

Dans la dernière version du projet d’accord de coopération que nous avons pu nous procurer, on retrouve:

– l’augmentation de l’âge de la disponibilité des chômeurs: elle passe de 50 ans maximum aujourd’hui à 55 ans. Un passage à 58 ans est prévu en 2016;

– un nouveau régime pour les travailleurs à temps partiel avec maintien des droits: depuis le 9 août 2012, les travailleurs à temps partiel bénéficiant d’une allocation de garantie de revenu (AGR) calculée sur la base des allocations d’insertion (voir AE n°366: «Chômage, le péril jeune?») sont contrôlés par l’Onem. Avec une conséquence pour les services régionaux: une fois passés par l’Onem pour un entretien d’évaluation, les chômeurs avec AGR ayant eu une évaluation négative devraient être invités à se présenter au service régional de l’emploi compétent pour un accompagnement;

– la mise en place par les services régionaux d’un accompagnement actif pour les chômeurs ayant un taux d’incapacité de travail d’au moins 33 % pour une durée d’au moins deux ans. Un trajet spécifique pour les chômeurs présentant des facteurs psycho-médico-sociaux les empêchant de travailler dans le circuit économique normal est également prévu (voir Alter Échos n° 365);

– une prise en charge plus rapide des chômeurs par les Régions et Communautés: avant le quatrième mois de chômage si le demandeur d’emploi a moins de 25 ans, s’il bénéficie d’allocations d’insertion ou s’il se trouve en stage d’insertion. Avant le neuvième mois de chômage pour les autres.

 

La réforme du chômage pour les nuls

horsseriechomageDégressivité des allocations, activation des plus des 50 ans, activation des personnes handicapées…Lire notre Hors série

 

En savoir plus

Alter Échos n° 365 du 16.09.2013 : Chômage : les personnes handicapées en ligne de mire ?

Alter Échos n° 366 du 30.09.2013 : Chômage, le péril jeune ?

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)