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Regard critique · Justice sociale

Edito

La parole et le doute

Il y a quelques semaines, nous avons été confrontés à une situation inédite: des témoins, rassemblés au sein d’une association de fait, ont demandé une indemnisation en échange de leur parole. Pas par cupidité, mais parce que témoigner coûte en temps, et donc en argent, que leur condition précaire ne leur permettait plus d’offrir. Et parce que cela fait des années que les membres de cette association témoignent, alertent, sensibilisent… Mais que rien ne change. Alors la lassitude s’installe. Leur demande – que nous n’avons, pour des raisons de déontologie journalistique, pas acceptée – reste un cas isolé mais elle n’est pas anodine: elle révèle un malaise plus profond. Une résignation par laquelle sont gagnées de plus en plus de personnes rencontrées sur le terrain. «À quoi bon témoigner?»

(c) Eddydu92, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Ce doute, nous le partageons parfois. Écrire, réécrire, sur des réalités sociales dont les grandes lignes n’ont pas bougé depuis vingt ans, voire se sont aggravées… À quoi bon?

Comme le note le Guide du journalisme d’impact réalisé par deux médias français indépendants, Rembobine et Disclose (septembre 2025)[1], «rapidité, superficialité, inutilité et redondance» sont des doléances récurrentes chez les journalistes. D’après une enquête citée dans ce même guide, 84 % de la profession estiment que l’information est d’abord tournée vers «la recherche de l’audimat», loin de l’idéal du bien commun.

Face à ce constat, deux exigences s’imposent. L’autocritique d’abord. Interroger notre pratique, notre manière d’écouter, de faire lien et de rendre compte de la parole des témoins. Ensuite, réfléchir au type de journalisme que nous voulons défendre.

Face à ce constat, deux exigences s’imposent. L’autocritique d’abord. Interroger notre pratique, notre manière d’écouter, de faire lien et de rendre compte de la parole des témoins. Ensuite, réfléchir au type de journalisme que nous voulons défendre.

Le journalisme d’impact, tel que défini dans le guide français qui lui est consacré, propose une voie: «suivre activement les répercussions de ses productions éditoriales dans la sphère publique» et montrer comment le travail journalistique peut provoquer des changements concrets. Partout dans le monde, des enquêtes ont révélé des scandales, déclenché des procès, parfois même des réformes. Mais le pouvoir de changement social du journalisme ne se résume pas aux grandes affaires: il peut être plus discret, plus latent, dans la façon dont il nourrit la compréhension, soigne la nuance et transforme les mentalités.

À côté de cela, le journalisme constructif vise, lui, à dépasser les constats souvent sombres. Il ne s’agit pas d’édulcorer la réalité, mais de déconstruire les problèmes et d’explorer aussi les pistes de solutions, notamment les initiatives innovantes. Complexifier l’analyse, c’est déjà résister aux raccourcis, à la morosité, au prêt-à-penser.

Bien sûr, la responsabilité de cette résignation ne nous incombe pas qu’à nous, journalistes. Elle est également le fait du politique qui, accusé de ne pas tenir ses promesses et de négliger l’intérêt collectif, perd de plus en plus la confiance que placent en lui, lors de chaque élection, les citoyens.

Alors, pourquoi continuer à témoigner? Pour que la parole de celles et ceux qu’on ne voit pas soit au moins entendue. Pour ne pas laisser aux chiffres et aux technophiles le monopole du débat public, et pour que celui-ci continue de s’ancrer dans le réel, de se nourrir de récits, d’incarner des contradictions.

[1] Guide du journalisme d’impact, Disclose & Rembobine, 2025 https://www.documentcloud.org/documents/26085889-guide-du-journalisme-dimpact-disclose-et-rembobine/

Clara Van Reeth

Clara Van Reeth

Journaliste et contact freelances, stagiaires et partenariats

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