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La sécurité sociale doit passer les murs de la prison

Que devient la sécurité sociale des détenus au delà des murs ? Telle est la question de base d’une recherche conjointe menée par la VUB et le Centre Droitsfondamentaux & Lien social des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP)1. Présentée le 28 novembre dernier, l’étude met en avant lanécessité pour le législateur d’adopter au plus vite un statut social spécifique.

12-12-2008 Alter Échos n° 264

Que devient la sécurité sociale des détenus au delà des murs ? Telle est la question de base d’une recherche conjointe menée par la VUB et le Centre Droitsfondamentaux & Lien social des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP)1. Présentée le 28 novembre dernier, l’étude met en avant lanécessité pour le législateur d’adopter au plus vite un statut social spécifique.

« On ne change pas le monde avec de l’encre et quelques beaux textes », a conclu l’avocat pénaliste Thierry Moreau au bout d’un exposé qui mettaitconcrètement en avant les limites de la protection sociale des détenus.

Constamment, les personnes détenues, quel que soit le régime d’application de leur peine, sont confrontées à des équations pour le moins insolubles :Comment vais-je régler mon loyer ? Vais-je encore percevoir des allocations familiales ? Le travail pénitentiaire est-il pris en compte dans mon allocation de chômage ? Pour yrépondre, aucun manuel d’utilisateur. Comme le souligne l’un des chercheurs, Guido Van Limberghen, « la législation en la matière est clairsemée et ladélimitation des responsabilités entre le SPF Justice, censé assurer les besoins fondamentaux des détenus, et le SPF Sécurité sociale est loind’être claire. »

Pourtant, l’on pourrait se réjouir car de « beaux textes » existent bel et bien. Pour preuve, la Loi de principes du 12 janvier 2005, dite Loi Dupont, s’estdirectement inspirée des déclarations et recommandations internationales. En 1984 déjà, la Cour européenne des droits de l’Homme, rappelle dans sajurisprudence que, malgré la restriction du droit à la liberté de circuler, les autres droits fondamentaux doivent, en principe, être préservés.Véronique van der Plancke, chercheuse aux FUNDP et seconde auteure de l’étude, s’inquiète à ce propos car dans les faits, les droits économiques etsociaux sont en retard sur les droits civils et politiques.

En 2006, les Règles pénitentiaires européennes sont actualisées en ces termes : « La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible surles aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison […] Chaque détention est gérée de manière à faciliter laréintégration dans la société libre des personnes privées de liberté. » C’est le principe de normalisation qui sous-tend la Loi Dupont. Principefortement décrié par les défenseurs du concept de « less egibility » qui, au contraire, mise sur des conditions de vie intra muros plusmisérables qu’à l’extérieur en vue de dissuader les personnes d’enfreindre la loi. La chercheuse remet en cause l’efficacité d’un tel conceptcensé assurer une justice sociale entre personnes détenues et non détenues. Améliorer les conditions de détention alors qu’une personne sur sept en Belgiquevit sous le seuil de pauvreté ? Cela ne fait pas bonne presse, certes, mais pour Véronique van der Plancke, cela signifie que l’État social actif admet sonincapacité à mettre en œuvre l’article 23 de la Constitution : permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine.

La Loi Dupont : Espoirs et limites

En regard du contenu de l’article 6, l’on pourrait croire que l’accès des détenus tant à la sécurité sociale (régimes contributifs)qu’à l’assistance sociale (revenu d’intégration, par exemple) est assuré. En effet, la loi n’admet, aux droits de ces derniers, d’autres limitationsque « celles qui découlent de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté, celles qui sont indissociables de la privation de liberté et celles quisont déterminées par ou en vertu de la loi. »

Le Rapport final de la Commission Dupont, qui est à la base de cette loi, laissait d’ailleurs entrevoir un lendemain optimiste en décrétant que « l’exclusiondu détenu du système de sécurité sociale contribue à la désocialisation des détenus plutôt qu’à leur réinsertion.»

Or dans les faits, la suspension totale ou partielle du droit aux prestations sociales à l’entrée de l’établissement pénitentiaire est la règle. Lesmotifs invoqués sont pluriels : couverture des besoins vitaux (en résumé : nourriture et abri) par le seul SPF Justice, discrimination tant entre les détenus etl’extérieur qu’entre détenus bénéficiant ou non d’avantages à leur entrée (allocations de chômage, soutien familial, revenud’intégration, etc.).

Cette exclusion constitue une double peine contraire à trois principes fondamentaux de la Loi, à savoir : les principes de respect et de responsabilisation, de protection juridiqueet de limitation des effets préjudiciables de la détention. Le premier s’entend non seulement par le respect de la dignité de la personne mais, au delà, par saresponsabilité envers la victime (comment dédommager sans revenus ?) et envers la famille du détenu (dans le cas d’un détenu chef de famille). Le second souligne que lapersonne détenue est un citoyen à part entière et que la sécurité sociale doit lui être garantie. Le troisième rejoint le principe de normalisationafin que la détention n’entraine pas d’autres privations que celle de la liberté. La famille ne peut dès lors être otage de cette exclusion.

L’exemple du travail pénitentiaire

L’étude comprend, en sa première partie, quinze chapitres relatifs à l’analyse de la législation en vigueur. Chaque branche de la protection sociale(assurance et assistance) y est passée au crible. Le travail pénitentiaire fait l’objet d’une attention particulière. Donne-t-il lieu au prélèvement decotisations sociales ? Ouvre-t-il le droit à des prestations d’assurance sociale ? Pour Juliette Beghin, coordinatrice du Service laïque d’aide aux justiciables et auxvictimes de Bruxelles II2, « le travail pénitentiaire est marqué par la précarité, des conditions d’octroi parfois arbitraires vu le manqued’offres, des tâches surtout domestiques et peu valorisantes et surtout une rémunération infime : 0,62 euro minimum par heure ». Si le travail peut êtreperçu comme un moyen de gérer l’ordre et la sécurité intra muros en « occupant » les détenus, l’asbl laïque n’en souligneque trop l’importance. Indemniser les victimes, nourrir sa famille, se distancer de la masse des autres « délinquants » en s’activant : autant de buts lou
ables auxquelsl’administration ne peut répondre.

Car c’est bien l’État qui est l’employeur, si l’on peut dire, des détenus via la Régie du travail pénitentiaire ou en mettant le travaildes détenus à la disposition de tiers. La Loi de principes a abrogé l’article 30 ter du Code pénal qui rendait le travail pénitentiaire obligatoire. Ànouveau, il y avait matière à se réjouir car le caractère volontaire du travail effectué laissait supposer qu’un contrat de travail « classique »pourrait être conclu. Avec comme conséquence l’inclusion des détenus dans le régime de sécurité sociale des travailleurs salariés. Orjusqu’à présent, le législateur s’abstient de se prononcer sur la qualification de cette relation de travail particulière. « Cette absence dusystème de solidarité fait peser tout le poids sur les épaules de la personne. Il n’existe aucune volonté politique de rendre décent ce travail. LesCommunautés et les Régions ont leurs responsabilités à prendre », conclut Juliette Beghin.

De la cohérence et de la consistance

Par delà les disparités entre les personnes privées de liberté et le monde extérieur ou entre détenus soumis à divers régimes de peine, ledirecteur du Centre de recherche des FUNDP, Xavier Dijon, rappelle que la justice est « une volonté constante et perpétuelle de donner ce qui est dû à chacun».

Premier exemple : les allocations de chômage. La règle qui prévaut est, rappelons-le, la suspension du droit aux allocations à l’exception des personnes ensurveillance électronique (qui doivent de toute façon assurer les frais de communication inhérents à ce système !). Le motif majeur invoqué par l’Onemest l’absence de disponibilité sur le marché de l’emploi. À cela s’ajoute que le travail pénitentiaire n’est pas reconnu comme appartenant àce marché. En outre, si le détenu est chef de famille, les allocations sont suspendues même si c’est la seule source de revenus. Le recours aux CPAS est dès lors lechemin « classique » suivi par les familles dont l’un des membres est privé de liberté. Enfin, le détenu isolé se voit discriminé par rapport audétenu en couple car le conjoint peut prétendre au titre de cohabitant, au moins la première année de détention. Les auteurs préconisent de ne pas appliquerd’emblée la suspension si le détenu peut justifier une dispense de disponibilité pour raisons sociales ou familiales. Si la contribution directe des personnesdétenues au secteur chômage est l’idéal à atteindre, une alternative est la création d’un régime spécifique qui prendrait en compte letravail pénitentiaire.

Second exemple : l’aide sociale. Le SPF Justice est censé couvrir les besoins fondamentaux des détenus tels que l’hygiène, la santé physique et mentale, lelogement et la nourriture. Ce motif est souvent invoqué pour justifier la suspension du paiement du revenu d’intégration (RI)… même si le droit au RI estconservé ! Encore une fois, la situation personnelle du détenu n’influence en rien cette suspension. Pourtant, les CPAS sont compétents dans la mesure où ledemandeur n’a pas d’autres moyens de subsistance et n’a pas droit à d’autres allocations sociales. Il en va de même pour l’aide sociale au sens strict (horsRI). Cette aide est en moyenne de 50 à 100 euros par mois. SPF Justice et CPAS ont des missions différentes. D’où le ping-pong continuel d’un portefeuilleà l’autre. Les auteurs soulignent la nécessité de clarifier la situation. Quant à la caisse d’entraide des détenus, l’avocat Thierry Moreauregrette que cette caisse gérée par la direction ne soit qu’une avance modique nécessitant un temps d’attente très long. « Certaines directions vontmême jusqu’à exiger des détenus qu’ils demandent l’aide au CPAS avant de pouvoir bénéficier de cette caisse. »

Des réformes urgentes

Tout d’abord, le principe qui prévaut actuellement, à savoir la suspension quasi généralisée des prestations sociales une fois la porte de la prisonfranchie, doit être abrogé afin d’améliorer les perspectives de réinsertion et de respecter la dignité de la personne incarcérée.Véronique van der Plancke rappelle que la prison s’avère très peu dissuasive. Taux d’incarcération et taux de criminalité ne vont pas de pair,contrairement au rapport étroit entre incarcération et précarité.

Une deuxième urgence est de légiférer et de rassembler les textes épars (circulaires ministérielles, entre autres) afin de les traduire en une seule loispéciale. Comme le rapportent le Réseau détention et alternatives et le Netwerk Samenleving en Detentie, il existe un conflit de loi entre la Loi Dupont et les loisrégissant la protection sociale.

Un troisième défi est de respecter les recommandations internationales en matière de droits de l’homme, mais aussi les articles de la Constitution et de la Loi deprincipes. Il est en effet illégal de priver le détenu de l’intégralité des droits dont il disposait avant sa détention. D’une part, les besoins ne sontpas toujours couverts par le SPF Justice. D’autre part, ce même service fédéral ne soutient nullement la famille, victime secondaire. Enfin, la personne qui exécute sapeine extra muros n’est généralement plus prise en charge.

La communication entre les acteurs (SPF Justice, Sécurité sociale et CPAS) doit être renforcée tout en respectant au maximum le droit à la vie privée desdétenus. En outre, la formation continue du personnel tant pénitentiaire que des services sociaux externes doit être renforcée afin qu’aucun détenun’échappe involontairement à l’information.

Enfin, les auteurs lancent un pavé qui ne tombera peut-être pas dans la mare : pourquoi ne pas exiger des détenus une contribution aux frais inhérents à ladétention en leur garantissant un accès effectif et non théorique aux diverses prestations sociales ? Cette alternative permettrait de responsabiliser la personne privéede liberté sans violer le principe de proportionnalité en imposant des charges déraisonnables, notamment sur les justiciables isolés.

In fine la question en filigrane reprise par Xavier Dijon est la suivante : De quelle sécurité parlons-nous quand on aborde le droit à la sûreté de sapersonne (art. 3. de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ?) Une sécurité d’exclusion à travers le modèle de la prison ou unesécurité d’inclusion par la pr
otection sociale ?

1. Cette étude a été sollicitée par l’asbl Réseau détention et alternatives (Reda) :
– adresse : bd Frère Orban, 50-32 à 4000 Liège
– tél. : 04 252 95 76
– site : www.detention-alternatives.be
Les auteurs en sont Véronique van der Plancke et Guido Van Limberghen.
Texte disponible aux éditions La Charte – site : www.lacharte.be

2. Service laïque d’aide aux justiciables de Bruxelles :
– adresse : av. Ducpétiaux, 148 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 537 54 93
– courriel : info@aideauxdétenus.be
– site : www.aideauxdetenus.be

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