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La lutte contre la pauvreté : sans les pauvres ?

Le modèle participatif serait en rade. Les premiers concernés seraient de moins en moins écoutés et leurs associations de plus en plus contrôlées par le politique. Tout n’est pas perdu, mais une spirale négative de surveillance, de culpabilisation et de marginalisation limiterait le droit d’association et la participation citoyenne des plus pauvres.

Le modèle participatif serait en rade. Les premiers concernés seraient de moins en moins écoutés et leurs associations de plus en plus contrôlées par le politique. Tout n’est pas perdu, mais une spirale négative de surveillance, de culpabilisation et de marginalisation limiterait le droit d’association et la participation citoyenne des plus pauvres.

« L’associatif lié à la précarité est de plus en plus lissé et contrôlé par le monde politique », dénonce le mouvement Lutte-solidarité-travail (LST). De plus, les pauvres seraient de plus en plus dissuadés de s’exprimer au travers des associations qui les représentent. Du moins, c’est l’une des inquiétudes exposées par les militants du mouvement au travers de leur appel à « une sécurité d’existence pour tous », un rapport issu de témoignages directs qui observe « un recul de tous les droits qui permettent une sécurité d’existence ». Parmi ceux-ci : le droit d’association et la liberté d’expression.

« Les acteurs associatifs locaux font le gros du travail ! », défend Françoise De Boe, coordinatrice du Service fédéral de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion. « Ces associations déploient une énorme énergie au quotidien pour écouter, créer du dialogue, débattre et impliquer les personnes concernées dans les questions politiques. »

La participation n’est pas une valeur neuve dans la lutte institutionnelle contre la pauvreté. Elle est d’ailleurs inscrite non seulement dans l’histoire mais aussi dans le texte de loi constitutif du Service de lutte contre la pauvreté, créé à la demande d’associations de terrain. Mais cette valeur serait menacée.

Garantir une parole libre

« Il est clair que la crise bancaire et ses suites politiques n’ont pas amélioré les choses », explique Françoise De Boe. « Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Si la Belgique a mieux résisté que d’autres pays européens, c’est justement grâce à une protection sociale forte, même si celle-ci a encore besoin d’être renforcée (voir encadré). Mais certaines des mesures économiques prises ces dernières années ont touché les plus vulnérables. Par exemple : la réforme des pensions. Elle met en danger ceux qui ont connu des carrières en dents de scie. De la même façon, la dégressivité du chômage a un impact sévère sur les plus pauvres. Cela pose le problème de la participation parce que les personnes sont présentées comme responsables de leurs difficultés. Certaines finissent par se percevoir comme méprisables. Il leur faut un courage plus grand encore pour s’exprimer, ce qui n’est jamais facile. C’est pour ça que nous avons besoin des associations de terrain, dans toute leur diversité. »

Le risque de découragement est observé avec attention chez LST. « Les législations de répression et la banalisation du chômage, dont la responsabilité appartient à l’État, constituent des obstacles supplémentaires au courage nécessaire pour se mobiliser », précise Luc Lefèbvre, militant de la première heure. « Le rassemblement libre et indépendant est également menacé par des politiques plus discrètes. Nous pensons par exemple à un projet de décret wallon visant à faire du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté l’interlocuteur unique des politiciens. Or, ce réseau est dépendant du monde politique, qui le finance. De plus, ce réseau, dont on ne conteste pas la légitimité, ne peut parler au nom des familles concernées. Il faudrait pour cela que celles-ci puissent y exprimer une parole libre, ce qui n’est pas possible dans la mesure où le réseau rassemble aussi des prestataires de services sociaux dont ces personnes sont dépendantes. Pour cette raison, à LST, on ne distribue pas de colis. C’est une condition pour réussir notre travail de dialogue, de mobilisation et de lutte. »

De la même façon, LST estime que le Réseau wallon et les autres réseaux régionaux ont pris trop de place au Service interfédéral de lutte contre la pauvreté. « Il est vrai que la constitution des réseaux, phénomène relativement neuf, a changé le paysage associatif et l’accompagnement de notre service », raconte Françoise De Boe. Officiellement, six sièges sont dévolus à l’associatif et quatre sont désormais occupés par les réseaux. « Heureusement, dans les faits, nous recevons huit représentants de l’associatif aux commissions d’accompagnements. Nous tenons à préserver l’apport d’associations plus petites. On comprend qu’il est plus facile pour le politique de simplifier le réseau d’interlocuteurs, mais la diversité est essentielle. »

Mais un autre défi fait face au Service de lutte contre la pauvreté : préserver son indépendance ! « Nous avons été surpris par la volonté du gouvernement de nous intégrer au Service public de programmation Intégration sociale », confie la coordinatrice. « Nous sommes inquiets puisque notre appartenance au Centre pour l’égalité des chances, qui n’est pas un organe de l’executif, est pour nous un gage d’indépendance. De plus, notre caractère interfédéral est menacé. Malheureusement, nous n’en savons pas plus depuis l’accord de gouvernement. »

La participation des pauvres aux politiques de luttes contre la pauvreté est menacée, mais il est clair que les outils et les idées pour réhabiliter et concrétiser cette participation ne manquent pas. Françoise De Boe insiste : « Le droit d’association est fondamental, au même titre que le droit au logement ou le droit au travail ! »

« La protection sociale ne protège pas tout le monde de la même façon »

Le rapport bisannuel du Service fédéral de lutte contre la pauvreté a été présenté le 18 décembre. Intitulé « Protection sociale et pauvreté », il a été rédigé par une multitude d’acteurs : des personnes pauvres et leurs associations, des intervenants sociaux de services publics et privés, des représentants des partenaires sociaux, de mutualités, d’administrations, d’institutions publiques de sécurité sociale… En partant de réalités vécues par des personnes qui vivent dans la précarité, le rapport s’est fixé l’objectif de mettre le doigt sur les principaux dysfonctionnements dont elles témoignent pour formuler des recommandations à destination des acteurs institutionnels et politiques.

Premier constat : « Les politiques de protection sociale ne protègent pas tout le monde de la même façon et les évolutions récentes – transfert des allocations familiales, dégressivité du chômage, réforme des pensions – suscitent beaucoup d’inquiétudes. »
Les différents chapitres du rapport s’attachent aux personnes sans emploi, aux personnes malades ou handicapées, aux pensionnés (actuels et futurs), aux enfants et à leurs familles. Les conclusions fourmillent d’idées concrètes pour mieux financer, pour simplifier la machine administrative, pour ne laisser personne au bord du chemin et rendre plus effectif le droit à la protection sociale. Un exemple : revoir le statut du cohabitant, qui reçoit actuellement des allocations moindres, afin de ne plus favoriser l’isolement.

Alter Échos n° 357 du 23.03.2013 : « Déconcertation » : lumière crue sur la participation locale

Alter Échos n° 313 du 03.04.2011 : L’important c’est de participer ?

Alter Échos n° 302 du 04.10.2010 : Participation : éviter le piège de l’alibi démocratique

En savoir plus

La sécurité d’existence pour tous, Lutte solidarité travail, www.mouvement-lst.org

Protection sociale et pauvreté, rapport du Service de lutte contre la pauvreté, www.luttepauvrete.be

Benjamin Moriamé

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