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La démarche "ethnopsy" au service des intervenants sociaux

Après deux années au banc d’essai, l’Institut provincial de formation sociale de Namur se penche sur les mérites de la formation de spécialisation «d’intervenant psychosocial auprès des populations migrantes ».

06-11-2007 Alter Échos n° 239

Après deux années au banc d’essai, l’Institut provincial de formation sociale de Namur se penche sur les mérites de la formation de spécialisation «d’intervenant psychosocial auprès des populations migrantes ».

L’interculturalité ouvre des perspectives dans l’enseignement de promotion sociale. C’est du moins le pari posé par l’Institut provincial de formation socialede Namur qui a mis en place une formation appropriée pour l’accompagnement des populations migrantes1. « À ma connaissance, c’est la seule de ce type enCommunauté française. Elle était devenue indispensable car dans notre pratique quotidienne, nous sommes sans arrêt confrontés à des systèmes de valeursantagonistes à celui des valeurs de la culture d’accueil et il est primordial de les comprendre pour assurer un accompagnement adéquat », explique Patrick Leurquin,psychologue et professeur. Travaillant dans un service d’aide et d’action éducative, avec une population composée à moitié de fils et filles de migrants, lepsychologue s’est retrouvé face à des jeunes qui présentaient des problèmes divers et qui, au terme de dialogues patients, finissaient par dire qu’ilsétaient victimes de sorcellerie.

Bannir le mot « croyance »

L’intérêt d’une formation pour mieux appréhender ce type de comportement sans se laisser submerger par ses propres préjugés paraîtindéniable. Elle est basée sur la démarche ethnopsychiatrique qui a fait ses preuves en France, développée par Tobie Nathan à l’Université deParis VIII, depuis 1993. « Face à quelqu’un qui affirme être possédé par les jnouns2, il ne faut pas réfléchir en termes decroyance. En ethnopsychiatrie, on ne fait pas la différence entre « ceux qui savent » et « ceux qui croient » », rappelle la psychologue Emilie Hermant3. « Mais ladémarche ethnopsy est très difficile à faire accepter par les travailleurs sociaux. Pourtant, j’estime que les assistants sociaux, par les actes qu’ils posent, sontdes cliniciens ». La nuance est de taille : si l’ethnopsychiatrie reste du domaine de la médecine psychiatrique, elle peut être un outil intéressant pour destravailleurs sociaux dont le public se montre peu réceptif aux approches classiques de l’accompagnement social, puisque leur objectif est aussi la diminution de la souffrance ces gens.Ce qui implique une compréhension, au sens plein du terme, des causes de cette souffrance.

La formation s’est construite initialement en 600 heures réparties en trois années, à raison d’une journée de cours par semaine. la formule, jugée« trop lourde » et trop longue, vient d’être réadaptée en un module plus léger, mais néanmoins certifiant, de 100 heures sur une année.
Si la formation s’adresse avant tout aux travailleurs sociaux en contact avec les populations migrantes, la démarche, en ce qu’elle pose question sur les systèmes depensées et d’analyse dominants, peut s’adapter à tous les publics, qu’ils soient migrants ou pas.

Comme le rappelle Patrick Leurquin, « chaque ère culturelle a ses minorités. Un Ardennais n’a pas la même vision qu’un Gaumais… ». Emilie Hermanta ainsi rapporté l’histoire éloquente d’Alphonse, un menuisier auvergnat submergé par les problèmes – impossibilité de conserver un boulot,paranoïa, insomnies. L’homme désespérait l’assistante sociale chargée de l’aider dans sa remise à l’emploi. Dans ce cas de figure, ladémarche ethnopsy a permis de travailler sur les liens entre Alphonse et l’AS et sur les « invisibles » qui bloquaient la situation. En l’occurrence, des morts quihantaient l’esprit d’Alphonse et l’empêchaient littéralement de vivre…

Nous avons tous nos « invisibles », selon le philosophe Olivier Ralet, qui souligne avec humour, leur présence entêtante dans le langage courant : « Je suis hors demoi », « Il est dévoré par la jalousie », « Un ange passe ». Et d’insister sur la nécessité de « réintroduire lesinvisibles dans la pratique quotidienne des psychologues ». Même constat pour l’ethnolinguiste Luz Garcia Campo : « La désacralisation du monde occidental, la perte dulien avec le sacré qui liait les hommes et les dieux, les hommes entre eux, font peser toute la responsabilité sur l’individu : « Tu es malade ? C’est de ta faute. Tun’as pas de travail ? C’est de ta faute. » On se retrouve donc seul avec ses souffrances, qu’elles soient psychiques, psychologiques ou sociales. » Mais dans de nombreusescultures, ces liens sacrés existent toujours. Leur connaissance permet une meilleure appréhension des réalités des personnes qui en sont issues et partant, des actionsplus adaptées.

1. La formation devrait débuter le 25 novembre 2007. IPFS de Namur :
– adresse : rue Henri Blès, 188-190 à 5000 Namur
– tél. : 081 72 97 70.
2. Dans l’islam, les jnouns sont des êtres invisibles, qui peuvent être bénéfiques ou maléfiques.
3. Du centre Georges Devreux fondé par l’ethnopsychiatre Tobie Nathan.
Voir : http://www.ethnopsychiatrie.net/
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aurore_dhaeyer

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