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La crise fait le ménage chez les pauvres

Le pouvoir d’achat réel des ménages les plus pauvres diminue. En moyenne, pourtant, les statistiques montrent que le pouvoir d’achat global effectif ne diminue pas. Enmoyenne seulement, affirme la Fédération des CPAS wallons1 qui s’est penchée minutieusement sur les conditions de vie des bénéficiaires del’action sociale. Elle estime, sans surprise, que l’action des CPAS doit être renforcée.

12-09-2008 Alter Échos n° 258

Le pouvoir d’achat réel des ménages les plus pauvres diminue. En moyenne, pourtant, les statistiques montrent que le pouvoir d’achat global effectif ne diminue pas. Enmoyenne seulement, affirme la Fédération des CPAS wallons1 qui s’est penchée minutieusement sur les conditions de vie des bénéficiaires del’action sociale. Elle estime, sans surprise, que l’action des CPAS doit être renforcée.

Précarisation accrue : d’un sentiment à la réalité

Plus le niveau du revenu est bas, plus les consommateurs sont nombreux à percevoir leur situation financière actuelle comme difficile en termes de pouvoir d’achat, expliquaitdéjà en mai dernier l’Institut pour un développement durable (voir Alter Échos n° 251 Le pouvoir d’achat,ça se perçoit… différemment). L’étude2 menée ces derniers mois par la Fédération des CPAS wallons étaie et argumentece constat.
Menée auprès d’un échantillon de bénéficiaires du revenu d’insertion ou d’une aide sociale, l’étude démontre que les pluspauvres subissent la hausse des prix de plein fouet et avec une moindre compensation que les autres catégories sociales.

Pour ne prendre que l’exemple du logement, le volet quantitatif de l’enquête révèle qu’une moyenne de 31,47 % du revenu d’intégration y estconsacré. Si on y ajoute les charges (eau, gaz, électricité, mazout), cette proportion monte à 42,55 %. Or la moyenne wallonne est de 25,9 % du revenu consacrés aulogement ; et l’indice santé ne tient compte du logement que pour une part de … 6 % des dépenses des ménages ! L’écart entre la réalité etla théorie est encore plus grand si l’on considère les isolés sans logement social (ils sont 64,5 % dans ce cas) : leur logement, charges comprises, leur coûte enmoyenne 58,4 % de leur revenu. Bref, les plus pauvres sont plus sensibles aux augmentations de prix des biens de première nécessité.

Adapter le thermomètre…

Pour étayer cette démonstration, la Fédération a créé en janvier 2006 un index précarité composé de septante-quatre biens parmi lesplus consommés par les bénéficiaires. Justification : la composition de l’indice santé, qui sert de référence pour l’indexation, ne colle passuffisamment à la réalité, estime la Fédération des CPAS. Au bout de deux ans, l’index précarité a évolué jusqu’à un niveaudeux fois plus élevé (près de 10 %) que l’index (5,2 %) ou l’indice santé (4,9 %) ! Toujours d’après l’étude de laFédération, grâce à l’index officiel, l’évolution du revenu minimum compense l’évolution du coût de la vie. Par contre,l’évolution du revenu d’intégration reste en deçà de celle de l’index précarité. « On peut dès lors affirmer que pour lesbénéficiaires du revenu d’intégration, il y a véritablement une perte de pouvoir d’achat », affirme Ricardo Cherenti2, auteur del’étude.

En comparant cette fois le revenu d’intégration au seuil de pauvreté, le même constat s’impose. Pour un isolé par exemple, le seuil de pauvreté,estimé à 860 euros, est loin d’être atteint par le revenu d’intégration qui, au moment de l’enquête s’élevait à 683,95 euros parmois. Le gouffre se creuse encore si l’on demande aux différents panels de bénéficiaires d’estimer ce que serait le montant d’une allocation pour vivredignement : entre 1 000 et 1 200 euros net par mois pour un isolé, entre 1 500 et 2 000 euros pour une famille. Un coup de sonde du côté des travailleurssociaux, cadres et mandataires des CPAS confirme cette fourchette. Bref, personne n’estime le revenu d’intégration suffisant pour vivre dignement !

Bénéficiaires et travailleurs sociaux : alliés plus qu’objectifs ?

À la précarité de vie des bénéficiaires semble répondre la précarisation des conditions d’exercice du travail social. En se basant sur desdiscussions en petits groupes, le volet qualitatif de l’étude permet d’élargir l’angle de vue. Au-delà d’une revalorisation des allocations, ilrévèle l’état d’esprit général des personnes qui ne peuvent se passer de l’aide des CPAS. S’il fallait s’attendre à ce que lessondés ne crachent pas dans la soupe (les entretiens étaient animés par une chargée de mission de la Fédération des CPAS), il est toutefoisintéressant de relever qu’ils ont conscience de la difficulté croissante pour les travailleurs sociaux d’assurer un accompagnement de qualité. Tout n’est pasrose et certains travailleurs sociaux sont perçus comme durs, ne comprenant rien à la situation des personnes qui viennent frapper à la porte des CPAS. Les cas semblent raresheureusement et, d’une manière générale, la fonction remplie par l’institution CPAS est perçue très positivement. Un constat négatif unanime,toutefois : les locaux ne sont généralement pas adaptés et semblent mettre en péril la confidentialité nécessaire au colloque singulier.

Comme si les allocataires sociaux ne méritaient pas la considération due à tout citoyen, à tout être humain. Ce que confirme le sentiment largement partagédu manque de reconnaissance dont ils sont l’objet. « La société nous a oubliés ou pire, elle nous évite », selon l’un, « pour lasociété je ne suis rien » dit un autre… Cette image négative que leur renvoie la société, ils semblent l’avoir intégrée,s’engageant ainsi dans un redoutable cercle vicieux : perte d’estime de soi, éloignement des amis et relations, isolement toujours plus grand.

Un manque de considération qui s’exprime également à travers l’offre de formation qui leur est faite, estiment bon nombre de bénéficiaires.Qu’ils se sentent prêts à l’emploi et perçoivent cette offre comme inutile ou qu’ils souhaitent bénéficier d’une formation réellementqualifiante, ils estiment souvent que l’offre actuelle les maintient dans leur attente d’un emploi. Comble du travail d’insertion !

Au rayon de la conscience politique, les participants à l’enquête ne sont dupes de rien, pas même de leur propres contradictions. S&rsq
uo;ils expriment une énormeméfiance envers la capacité et la volonté du personnel politique à résoudre la question de la pauvreté, ils reconnaissent aussi ne pas s’êtremontrés capables jusqu’ici de se mobiliser collectivement et entre eux. « Le vrai problème des pauvres, c’est qu’ils ne se tiennent pas la main », ditl’un d’entre eux. Tout en renvoyant la responsabilité au système : « On nous donne tout juste pour vivre… juste pour qu’on la ferme », estime unautre.

Repères

• L’enquête

Ce sont 125 bénéficiaires du revenu d’intégration ou d’une aide sociale ciblée et 26 CPAS qui ont participé et collaboré àl’enquête de la Fédération. Septante bénéficiaires, de profils variés, ont répondu au questionnaire quantitatif de mesure de la situationvécue, 55 autres ont participé aux panels (d’environ 6 personnes) consacrés au volet qualitatif et animés par une chargée de mission de laFédération.

• Les bénéficiaires

En Wallonie, plus de 42 000 ménages bénéficient soit d’un revenu d’insertion (35 000) soit d’une aide sociale (7 130).

Revendications

Pour améliorer le sort des plus pauvres, la Fédération des CPAS wallons rappelle la demande d’augmentation du revenu d’intégration adressée par lestrois fédérations du pays au gouvernement fédéral. Ainsi qu’un financement à 90 % des revenus d’intégration afin d’éviter que laquote-part actuellement à charge des CPAS (50 %), toujours plus sollicités, ne contraignent ceux-ci à réduire leurs interventions ou à hiérarchiser lesurgences à rencontrer. Ce qui les éloignerait de la possibilité de traiter équitablement les citoyens qui en font la demande.

Relayant la parole des participants à son enquête, la Fédération insiste également sur l’importante nécessité de « rendre la parole auxbénéficiaires ». Afin que ceux-ci ne soient plus « objets de pitié et d’assistance mais bien sujets d’une parole prise au sérieux. » Et laFédération de réclamer un vaste débat public où soit aussi entendue la parole des personnes les plus pauvres. Tout en démontrant par l’absurde ladifficulté de pareil exercice : à travers son étude, la Fédération est parvenue à entendre la parole d’un échantillon debénéficiaires, mais aucun d’eux n’était présent à la conférence de presse.

1. Service insertion professionnelle de la Fédération des CPAS wallons :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 11
– courriel : rch@uvcw.be

2. R. Cherenti, Le panier de la ménagère… pauvre, Fédération des CPAS, UVCW, août 2008. Disponible et téléchargeable sur www.uvcw.be/cpas

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