Sortir du bois : la solidarité à flanc de coteaux

Sortir du bois : la solidarité à flanc de coteaux

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Sortir du bois : la solidarité à flanc de coteaux

Tous les Liégeois connaissent les coteaux. Et les touristes aussi depuis que des guides renseignent sur les itinéraires de balades qui les traversent… Une centaine d’hectares de verdure qui dévalent de la citadelle jusqu’à Saint-Léonard, des sous-bois, des futaies, des pentes et des creux éloignés des regards. Depuis des années, une poignée de sans-abri s’y installent régulièrement. C’est là le terrain d’action de Sortir du bois, un mouvement de solidarité né il y a un peu plus d’un an.

Pascale Meunier Images : Blaise Dehon 03-06-2021

Au bout de l’impasse Macors, quand l’asphalte cède aux cailloux et à la végétation, impossible pourtant de ne pas les apercevoir. Cinq, six tentes, peut-être plus, des bâches, du mobilier de jardin décati. «Avant, je leur donnais de temps en temps une petite pièce, comme tout le monde», raconte Sophie Bodarwé, qui habite le quartier depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, elle est l’une des chevilles ouvrières de Sortir du bois, un mouvement de solidarité qui a démarré très précisément le 13 mars 2020. «Ce jour-là, le confinement est décrété, raconte-t-elle. C’est important de rappeler que tout était à l’arrêt et… que tout le monde avait la trouille. Et en même temps de plus en plus de gens arrivaient dans les coteaux, car les disponibilités du parc Astrid mis à disposition par la Ville pour accueillir les sans-abri étaient limitées.» (Lire «Parc Astrid: la misère moins pénible en plein air», n°484, mai 2020.)

Elle commence par récolter du matériel pour ses nouveaux voisins: des gobelets, des assiettes. «Puis je leur ai apporté du café, et c’est là que j’ai rencontré Philippe Mercenier», poursuit-elle. Philippe Mercenier est un vieux briscard du monde associatif local, c’est lui qui a créé le Collectif wallon d’aide aux migrants. Avant la fermeture des frontières, il organisait chaque mois des convois vers Calais et le voilà maintenant avec des tas d’aliments, de vêtements et de sacs de couchage immobilisés dans des coffres de voitures et qu’il réoriente vers les coteaux. Tous deux partageaient le même souci d’informer les sans-abri sur les conditions sanitaires en vigueur et de leur venir en aide, tout simplement, car, les rues étant désormais vides, la plupart ne disposaient plus d’aucune ressource: plus de manche, plus de débrouille. Sophie et Philippe leur ont apporté ce qu’ils ne pouvaient plus aller chercher ailleurs, à commencer par les repas.

Sortir du bois?
Étymologiquement, probablement une référence aux créatures qui se cachent dans les bois, par exemple les loups, et qui peuvent en sortir et créer le danger. Les hommes qui gênent se cachent dans la forêt. Ceux qui ne peuvent vivre dignement, ceux qu’on appelle les sans-abri. L’expression «La faim fait sortir le loup du bois» assimile la part sombre de la forêt à la part sombre de l’homme. Cette part sombre que représentent la faim, la misère et l’insuccès dans une société de succès économique et social. L’homme des bois intrigue. S’il sort du bois, il gêne. Comme on se méfie du loup, on se méfie de la pauvreté.
Sortir du bois. Aujourd’hui, se dévoiler. Sortir de sa réserve. Assumer d’être un homme vivant, revendiquer ses droits. Entrer dans la collectivité. Entrer en contact et vivre avec les autres. 
Mais aussi sortir d’une situation défavorable, se tirer d’affaire. Reprendre sa place d’homme vivant sur terre. Retrouver la dignité de vivre. Vivre avec l’envie et non plus exclusivement le besoin. Il est temps de ne plus se cacher.
www.sortirdubois.org

Les premiers appels sont lancés. Saint-Léonard est un quartier multiple, un peu bobo aussi, et très mobilisé. Le carnaval venait d’avoir lieu, avec sa traditionnelle distribution de crêpes. Pourquoi ne pas poursuivre? Sur le seuil de la maison de Sophie, qui joue l’interface, s’accumulent les dons en nature, les plats préparés par des voisins, des amis, des inconnus. Les restaurateurs et les cafetiers contraints à mettre la clé sous la porte vident leurs frigos, cèdent leurs stocks voués à la péremption.

« On essayait de tout résoudre, on voulait que leur vie soit un peu chouette. Dans notre tête, on se disait qu’on arrêterait dès la fin du confinement. On imaginait que tout redeviendrait comme avant du jour au lendemain. » Sophie Bodarwé

Le duo s’organise, Philippe distribue les petits déjeuners. À midi, Sophie passe avec le dîner. Un rendez-vous plus formel chaque soir à 18 heures permet de faire le point sur la situation, de rappeler les règles de distanciation. Bientôt Marthe Moxhet et Bénédicte Nelles, actives déjà sur d’autres fronts sociaux, les rejoignent. Puis Stéphane Riga. Cuistot venu en renfort pour préparer un repas, il ne repartira plus. À cinq ils constituent le noyau de base d’un mouvement qui ne porte pas encore de nom. De nouveaux sans-abri continuent aussi d’arriver, jusqu’à une quarantaine. Et leurs besoins se diversifient. Des bougies, puis des piles pour les lampes de poche, du tabac, un transistor pour écouter les nouvelles, du matériel pour dessiner, s’occuper… «On essayait de tout résoudre, on voulait que leur vie soit un peu chouette, résume Sophie Bodarwé. Dans notre tête, on se disait qu’on arrêterait dès la fin du confinement. On imaginait que tout redeviendrait comme avant du jour au lendemain.»

Tout va très vite

Grâce à Facebook et au bouche-à-oreille, les soutiens affluent, de l’argent arrive. Des investissements plus importants deviennent possibles: des tentes plus spacieuses et de meilleure qualité, des réchauds avec de petites bonbonnes pour cuisiner de façon autonome. Début juillet, la distribution de repas ralentit, remplacée par des colis d’invendus et de dons. «On a fait des appels pour des casseroles: ‘Vous êtes confinés? Rangez vos armoires et amenez-nous tout ce que vous n’utilisez pas!’» Le rythme change, mais les questions pleuvent. On arrête? On continue? Comment? C’est compliqué. «On s’est attaché, reconnaît Sophie Bodarwé. Il y a le côté affectif et social, des liens de confiance. On les lâche, et quoi? On va continuer à passer à côté d’eux comme si de rien n’était?»

Parmi les sans-abri se croisent différents profils. De vieux migrants – russe comme Paul*, nord-africain comme Sergio* ou sri-lankais comme Sheeva* –, en Belgique depuis quinze ou vingt ans, dont les chances de régularisation sont pratiquement nulles et dont ce n’est d’ailleurs pas l’unique souci. Des jeunes avec de gros problèmes d’addiction ou de santé, comme Kevin* et Christophe. Des couples improbables comme celui que forment Claire* et Johnny*. Des femmes seules aussi, comme Virginie. C’est à ce moment-là que le service de santé mentale de Seraing prend contact avec le collectif. Les assistantes sociales sont prêtes à donner du temps pour accompagner ces personnes dans leurs diverses démarches. Grâce à leur intervention, Christophe a pu renouer un contact avec sa famille. «On s’est dit qu’on tenait là quelque chose, et qu’on irait plus loin. L’idée de Sortir du bois est née: on allait les aider à trouver un logement», poursuit Sophie Bodarwé.

Le plan A, c’était de constituer des cautions pour faciliter leur accès à la location. Un peu suivant le modèle du Housing First, un toit à soi favorisant les autres étapes d’une réinsertion. Avec la vente de sweat-shirts, de bonnets et de sacs à dos frappés du logo de Sortir du bois – une brouette rappelant les innombrables livraisons de vivres dans les coteaux –, quelques milliers d’euros ont été collectés. «On approchait de la fin de l’année, il commençait à faire froid, on pensait à des tiny houses… Puis on s’est rendu compte que certains sans-abri n’étaient pas prêts pour une location et qu’une forme de transition était nécessaire.» Le plan B, ce fut d’acheter une caravane, et Sheeva a été le premier à en bénéficier. «Sheeva avait une santé déplorable et se nourrissait plus de Gordon que d’autres choses… Un jour il a été emmené d’urgence à l’hôpital et il n’était pas vraiment question qu’il regagne sa tente à la sortie pour qu’on le voie replonger», raconte Sophie Bodarwé. À Nandrin, une jeune hébergeuse de migrants en transit a accepté d’accueillir la roulotte sur son terrain et de veiller sur lui comme elle le fait pour ses hôtes de passage. «Si je le fais, dit-elle, c’est aussi pour donner à d’autres l’envie de le faire.»

Toujours grâce aux dons et aux appels sur le Net, il y a aujourd’hui huit caravanes disponibles. Sophie Bodarwé n’en revient toujours pas: «Tu dis que tu en cherches et on t’en offre!»

Johnny, Claire et leur chat Lilou sont installés depuis deux mois à Herstal, sur le site réaffecté des anciennes usines ACEC. À une vingtaine de mètres d’eux, on retrouve Kevin. Stéphane Riga leur apporte à chacun un énorme sac: des provisions, des habits et des cosmétiques pour Claire. Elle lève un pouce, ravie. «À l’aise. Sophie, elle assure comme d’hab!», dit-elle.

« On est arrivé ici après l’accident de Johnny, il a passé trois mois dans le coma. On avait tout, on a tout perdu. L’appartement, l’immeuble a été vendu. Il fallait se reloger, on n’avait pas de sous. On avait encore la voiture, on a dormi dedans. Puis sous tente, d’un endroit à l’autre. Bam-bam-bam-bam… On avait tout. » Claire

Elle s’excuse, car elle vient de se réveiller, les médicaments pour l’aider à arrêter la boisson l’assomment un peu. Elle raconte: «On est arrivé ici après l’accident de Johnny, il a passé trois mois dans le coma. On avait tout, on a tout perdu. L’appartement, l’immeuble a été vendu. Il fallait se reloger, on n’avait pas de sous. On avait encore la voiture, on a dormi dedans. Puis sous tente, d’un endroit à l’autre. Bam-bam-bam-bam… dit-elle en mimant la chute. On avait tout.» Depuis le Covid, elle ne travaille plus, et puis on lui a volé son sac, elle n’a plus de carte d’identité. Pas d’amis non plus et plus guère de relations avec leur famille. «On est ensemble depuis dix ans, tient à préciser Johnny, un rien goguenard. Tout le temps ensemble à se chamailler…» Et à se soutenir. Il l’appelle «Princesse».

Kevin, leur voisin de parcelle, a emménagé il y a une grosse semaine. Il est sur un nuage, il en bafouille même: «Franchement, je comprends pas tout tellement je trouve ça providentiel. C’est trop beau! Je suis content, c’est splendide!» Il est reconnaissant de tout, et particulièrement de la distribution de repas dont il a bénéficié quand il campait dans les coteaux. «P…! Ils nous ont bien aidés, tous les soirs un repas! On n’avait pas trop de sous et pour moi, la bouffe, c’est important. J’avoue, je prends quelques produits, mais je ne vais pas ne pas manger…» Il gesticule en égrenant d’une voix forte un chapelet d’aventures dont il est le héros. «Kevin gère assez bien ses affaires malgré un tempérament volcanique», commente Stéphane Riga, qui tempère cependant ce qui pourrait trop rapidement s’apparenter à un succès: si le jeune homme a pu s’installer si rapidement ici dans ces prémices d’indépendance, c’est parce que l’essai n’avait pas marché avec l’occupant précédent. «Les effets immédiats de nos actions sont extrêmement positifs, mais il ne faut pas croire que tout est facile, poursuit Stéphane. Le taux d’échecs reste élevé, les personnes que nous aidons sont en très fort décrochage et depuis fort longtemps. Nous ne les abandonnons pas, mais certains ont besoin de passer par un accompagnement psychosocial solide.»

Sortir du bois, c’est une sorte d’engagement affectif, dont ses membres doivent aussi se protéger. Virginie et Christophe sont décédés cette année, et ils sont sans nouvelles d’Isman* et de François*. Ménager une distance, préserver sa vie privée. En cela, un cadre pourrait les aider. «On entre dans une intimité qui n’est pas la nôtre, et cependant ils nous y invitent… Mais jusqu’où aller? Jusqu’où est-ce qu’on s’ingère dans les trucs des autres? Qui sommes-nous? Des bénévoles? Des personnes de contact?», s’interroge Sophie Bodarwé. Tout cela à la fois, et on a envie d’ajouter: des amis.

Ne refuser personne

Dans ce microcosme de la solidarité bénévole, tout le monde se connaît, contribue à sa mesure et à sa manière. Dans le quartier Saint-Léonard, l’Amicale des boulangers a commencé à distribuer ses invendus par l’intermédiaire de Sortir du bois, puis le magasin a mis au point un système de pains suspendus. «Les clients qui le souhaitent payent un peu plus cher leur achat pour constituer une cagnotte», explique Quentin Spineux, le fournier. Le montant collecté est tel que tous ceux qui ont une carte de Sortir du bois peuvent venir retirer un pain par jour. «Le système de carte est une monnaie d’échange qui évite de dire devant tout le monde qu’on ne sait pas payer», précise Sophie Bodarwé. Une dizaine de pains en moyenne sont ainsi offerts quotidiennement. «Et pas uniquement aux gens des coteaux, ajoute Quentin Spineux. On n’a jamais refusé personne.»

Chez Mehmet, l’épicier d’à côté, les clients peuvent aussi déposer leur contribution, un crédit que Sortir du bois utilise pour des achats plus ciblés: des fruits essentiellement, et du tabac qui plombe particulièrement le portefeuille des sans-abri.

Géraldine Brausch collectait de la nourriture et accueillait chez elle des migrants. Avec le confinement, il a fallu leur trouver un hébergement d’urgence. C’est en échangeant sur des plateformes en ligne qu’elle a découvert l’existence de Sortir du bois et qu’elle leur a présenté Maurizio, tout juste 50 ans. Il faisait la manche au centre-ville, un genou en capilotade. «J’étais mal arrangé. L’aide que j’ai eue, à part du point de vue matériel, elle est psychologique. Entre un geste et un autre, je me suis rendu compte que je n’étais pas seul, qu’il y a des gens qui me soutiennent. J’étais arrivé au point que… j’étais dans le vide… Ça ne m’arrive pas souvent qu’on pense à moi, qu’on prenne soin de moi», dit-il, l’embarras couvrant sa voix. Sa caravane est dissimulée à l’arrière d’une salle de spectacle. Géraldine vient de lui apporter des condiments et quelques ustensiles de cuisine, elle repartira avec sa lessive. Des pots de peinture ne vont pas tarder à arriver, car il compte bien décorer son logis. Sophie Bordawé lui laisse un épais carnet dans lequel il pourra coucher son histoire. Il en rêve, et il a tellement à raconter…

L’hébergement en caravane est temporaire, six mois, un an. Il est conçu comme un sas vers un logement durable, mais il est aussi tributaire de la mise à disposition de terrains. Jusqu’à présent, les roulottes sont garées sur des surfaces privées ou appartenant à des associations. Sortir du bois paye les charges énergétiques et donne un peu d’argent à ceux qui ne bénéficient d’aucune rentrée, même pas du revenu d’intégration sociale (RIS). Sortir du bois cherche des bailleurs disposés à accueillir plus durablement ses protégés dans des studios, des colocations, de l’habitat intergénérationnel… toutes les formules sont à l’étude. «Nous pouvons nous porter garants de la garantie locative, mais pas du loyer», précise Sophie Bodarwé. Il lui importe de les aider à développer leur propre pouvoir d’agir, qu’ils regagnent autant que possible une autonomie.

Le collectif existe depuis à peine plus d’un an, évoluant d’une sorte de charité bienveillante et spontanée vers un besoin de rigueur et de structuration administrative. Contrainte et forcée pour les uns, nécessaire, voire indispensable pour les autres. Stéphane Riga fait partie de ceux-là et il se forme autant que possible à la gestion des asbl, il pense budget, il pense subsides. «Mieux vaut un truc qui manque de structures et qui fait quelque chose de bien, dit-il, mais vu l’ampleur que le projet a prise, il serait temps d’avoir une personnalité juridique. J’accepte d’être un rouage pendant un temps, mais je veux aussi que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités.» Les statuts sont prêts, reste à franchir le pas. «Ça mûrit doucement, on en parle régulièrement.» Il aimerait aussi s’entourer d’une assemblée générale de professionnels du travail social, de l’immobilier, de juristes… «Bénéficier aussi de dons en expertise», résume-t-il.

Car, si la pandémie a boosté leur activité, elle en a freiné la structuration. «On est dans l’action, tous les jours. On devrait s’octroyer un week-end de mise au vert pour prendre du recul et réfléchir à notre intervention et à la forme que nous souhaitons lui donner.» Cependant, prendre du recul, c’est à ce stade un peu synonyme de lâcher du terrain. Et à cela, ils ne sont pas encore prêts. Quoi qu’ils fassent pourtant, l’histoire personnelle des gens qu’ils soutiennent continue de suivre son cours et de nouvelles difficultés surgissent ou se dévoilent, les confrontant à des problématiques qui quelquefois les dépassent: la prostitution, la psychiatrie. «Il arrive même qu’un service spécialisé fasse appel à nous! s’étonne Stéphane Riga, frappé également par le crédit médiatique croissant dont ils font l’objet. C’est un truc un peu fou, on ne s’y attendait pas quand on a commencé à jouer au livreur de pizzas dans les coteaux!» L’intérêt d’un travail en réseau, voire de l’appui des institutions et de la Ville, se fait sentir. Mais voilà, si les cinq initiateurs de Sortir du bois ont tous un cœur grand comme ça, ils ont aussi une grande gueule, et ça, ça ne les aide pas. «On s’enflamme un petit peu vite, reconnaît Stéphane Riga. Je pense qu’on est des électrons trop libres, trop apolitiques. Maintenant, si on se structurait un peu, ça nous obligerait certes à arrondir les angles, mais ça nous poserait aussi davantage en interlocuteurs.»

«On est dans l’action, tous les jours. On devrait s’octroyer un week-end de mise au vert pour prendre du recul et réfléchir à notre intervention et à la forme que nous souhaitons lui donner.» Stéphanie Riga

La stabilité de leur action, indépendamment de la forme et du statut qu’elle prendra, devra-t-elle passer par une professionnalisation? Actuellement, ils agissent plus en fonction de ce qu’ils sont qu’en fonction de connaissances spécifiques. Philippe Mercenier dira qu’ils sont des experts puisqu’ils sont tout le temps sur le terrain, mais Sophie Bodarwé nuance: l’idéal pour elle serait d’arriver à un équilibre, à ne plus être au taquet tous les jours et à répondre plutôt à des besoins ponctuels, comme c’est le cas avec Sylvie qui vient de trouver un logement et qui aimerait se meubler de quelques étagères. «Elle s’est stabilisée, ça se passe bien. Elle m’a identifiée comme une personne-ressource et je trouve ça super. Mais si elle avait un gros problème, est-ce que j’aurais les capacités de la soutenir?» Sophie reconnaît passer par des hauts et des bas: «Hier on a reçu une bonne nouvelle: un nouveau terrain pour installer Sergio qui vient de passer l’hiver dehors. Ça fait quatre mois qu’on cherche… Plus tard dans la journée, quand j’ai traversé la ville et que j’en ai vu plein d’autres dans le besoin, ça m’a démoralisée.»

Sortir du bois, c’est un apprentissage du travail social sur le tas, libéré de certaines contraintes, mais lesté d’autres soucis. Comment préserver ce subtil mélange d’altruisme et de spontanéité tout en ménageant les forces et le moral des bénévoles? Comment adopter une attitude professionnelle sans creuser la distance avec les bénéficiaires de ce soutien? Comment combiner son rôle de voisin, de frère humain, et la position parfois surplombante de l’ami-qui-vous-veut-du-bien? De nombreuses associations sont nées de la sorte, d’une demande ou d’un constat, et se sont posé les mêmes questions, de conserver leur dimension de proximité ou de se déployer. Les cinq sont au milieu du gué. Sans doute la fin de la crise du Covid-19 contribuera-t-elle à faire bouger les choses. Le retour à la normalité guette. Il est temps pour le collectif aussi de… sortir du bois.

Pascale Meunier

Pascale Meunier