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Regard critique · Justice sociale

La CRG, une pratique maori pour les délinquants belges

Pratique originale et constructive pour prévenir la délinquance juvénile ? Ou privatisation pernicieuse de la justice ? Les concertations restauratrices en groupe(CRG) font débat.

27-10-2009 Alter Échos n° 283

Dans l’arsenal des mesures destinées aux jeunes ayant commis des faits qualifiés infractions, les juges de la jeunesse peuvent demander une « concertation restauratriceen groupe » depuis environ deux ans. Intéressante sur papier, la méthode reste encore peu utilisée. Les juges n’y pensent pas toujours, et certains opérateurschargés de l’appliquer ne cachent pas leur scepticisme.

Ça tient à la fois de la médiation et de la palabre africaine. La concertation restauratrice en groupe, CRG pour les intimes, est à l’origine une pratiquetraditionnelle directement empruntée aux Maoris de Nouvelle-Zélande. Chez nous, la mise en place de ces CRG n’est pas dévolue aux chefs de villages mais aux Spep (Servicesde prestations éducatives et philanthropiques) sur la base d’une demande des juges de la jeunesse.

Comment ça marche ? Une fois que la mesure est ordonnée par un juge, le Spep de référence prend contact avec l’auteur et la victime, dans un premier temps, pourleur expliquer le principe de la concertation. Le jeune doit reconnaître les faits qui lui sont reprochés. Outre ces deux parties qui doivent être d’accord pour serencontrer, les parents, des « personnes ressources » de l’entourage social de chacune des parties, une personne qui représente les intérêts de lasociété (le plus souvent, il s’agit d’un officier de police), et un ou plusieurs médiateurs, prennent part au processus.

Comment réparer ?

« Lors de cette rencontre, le policier fait d’abord un rappel des faits qui se veut le plus neutre possible. Ensuite, chacun à leur tour, la victime et le jeune prennent la parolepour expliquer comment ils ont vécu les évènements. Ce qui importe, c’est de trouver une solution réparatrice. Nous demandons à l’auteur des faitsdélictueux de répondre à trois questions : qu’est-il prêt à faire pour réparer les dégâts par rapport à la victime, par rapportà la société et qu’est-il prêt à faire pour lui-même ? », explique Géraldine Bodart, criminologue et directrice du Spep Gacepà Charleroi1. Certaines choses peuvent donc être tranchées en CRG. Le jeune peut s’engager à dédommager la victime, à faire un travaild’intérêt général et à retourner à l’école pour obtenir un diplôme, par exemple. S’il tient ses engagements, le juge peut entenir compte et classer l’affaire. Le Spep est quant à lui tenu de vérifier que le jeune tient bien ses engagements dans la durée.

Si la mesure – à partir du moment où elle est acceptée par la victime de l’infraction – peut sembler intéressante comme alternative àl’enfermement du jeune, elle reste encore peu mise en œuvre. Certains Spep s’y sont préparés, mais n’ont pas encore été sollicités par unjuge de la jeunesse. « À ce jour, nous avons reçu une seule demande, mais il n’y a pas eu moyen de mettre la CRG en place », explique le service Le Radian2à Bruxelles. « Nous sommes prêts. Nous avons reçu une formation à la concertation en groupe avec une spécialiste anglo-saxonne et nous travaillons enconcertation avec une criminologue, mais nous n’avons pas encore eu l’occasion de mener des CRG », poursuit Éric Henrard, responsable de l’antenne Médiation duSpep Le Carpe à Verviers3. Faut-il y voir une réticence des magistrats à ordonner cette mesure ? « Chaque juge est indépendant, mais il se doit aussid’appliquer la loi. Il n’y a pas de boycott de la mesure en tout cas. Simplement, il faut du temps pour qu’elle trouve sa place dans l’arsenal dont nous disposons. Il fautaussi que les structures chargées de la mettre en œuvre soient disposées à le faire…», estime Éric Janssens, responsable de la section Jeunesse auparquet de Nivelles et président de l’Union francophone des magistrats de la jeunesse.

Des bravos et des écueils

Plus sollicité, le SPEP Affiliations4, à Bruxelles, a déjà organisé 14 CRG en un an et demi. « Il faut un certain temps pour que les jugesintègrent la mesure et pensent à y faire appel. Il y a une certaine inertie, mais elle est logique, c’est la phase de démarrage », explique Michel Amand, directeurd’Affiliations. Il est personnellement convaincu de l’intérêt des CRG. « Même si nous en sommes encore aux balbutiements du point de vue de laméthodologie, le procédé est extrêmement intéressant. Il y a à la fois une dimension « médiation » et une dimension « réparation », par rapportà l’ensemble de la société. Lors d’une CRG, l’auteur comme la victime peuvent venir accompagnés de personnes ressources, comme des parents ou des prochesde référence que l’on pourrait qualifier de « tuteur de résilience ». La victime peut ainsi voir son agresseur autrement que comme un bras menaçant.’Délinquant’ n’est pas la définition d’une identité, cela qualifie les actes, pas la personne. La victime se rend compte que son agresseur est aussi un êtrehumain, qu’il a un entourage. Cela permet de donner une dimension réaliste à l’agression, de transcender l’angoisse née de l’acte. Il arrive que desvictimes soient traumatisées des années durant à la suite d’une agression, car l’acte ou du moins la menace est en partie « fantasmé ». La CRG permet de revenirà quelque chose de plus réaliste. »

Si Michel Amand admet qu’il faudrait sans doute revoir certains aspects de la méthode – « pour l’instant, nous sommes encore trop centrés sur lesthéories de la médiation et pas suffisamment sur les interactions familiales » – il estime que l’outil a toute sa pertinence en termes de prévention de ladélinquance, notamment.

Mais si elle a ses partisans, la CRG a aussi de solides détracteurs. Au Spep Star5 de Nivelles, on ne se plaint pas trop de n’avoir pas encore dû en organiser…« Je m’interroge déjà sur la pertinence d’une mesure importée directement de Nouvelle-Zélande en Belgique, alors que les structures et les liens sociauxsont totalement différents chez les Maoris et chez les Belges. Ce ne sont pas les mêmes dynamiques sociales et culturelles », avance France Vilain, directrice de Star. Plusfondamentalement, elle s’interroge sur la privatisation de la justice et la place de la victime dans la société. « Dans le cadre d’une CRG, ce sont les protagonistesqui décident des réparations matérielles qui doivent être apportées par le mineur. Jusqu’alors, c’étaient aux magistrats de prendre ce genre dedécisions. Ça n
ous pose question, ce glissement ». Pour France Vilain, on assiste à une dérive liée à la place que l’on donne à lavictime. « En quoi la victime est-elle compétente pour établir la manière dont il faut traiter celui qui l’a agressé ? En quoi est-elle spécialiste dutraitement social de la délinquance juvénile ? La victime a certainement droit à une place dans la société, mais je ne pense pas que ce soit celle-là.» Mélange des genres, dérive, le Spep de Nivelles ne cache pas son scepticisme quant à la CRG, qu’il qualifie de « médiation dans un cadre judiciaire »,ce qui serait en soi paradoxal, puisque la médiation suppose le libre choix des parties.

Avoir assisté à des CRG en Flandre où la pratique est beaucoup plus répandue et depuis plus longtemps, n’a fait que renforcer les convictions des travailleurs duSpep de Nivelles. « Les mineurs subissent une pression psychologique terrible, ils sont placés dans un processus de culpabilisation, qui fait qu’ils ne peuvent qu’acceptertout ce qu’on leur demande. »

Quand Michel Amand assure que « la CRG pourrait, devrait être une alternative à l’enfermement et au dessaisissement, que c’est une démarche beaucoup pluspositive que celle de punir », France Vilain pose la question : « En quoi une procédure judiciaire classique, devant un juge, serait-elle néfaste ? Doit-on en déduireque les procès ne sont pas équitables ? »

Posés ainsi, les termes du débat font furieusement penser à une autre polémique qui a secoué le monde de l’Aide à la jeunesse, il n’y a pas silongtemps… Ce n’est peut-être pas un hasard, d’ailleurs, si les plus fervents défenseurs de la CRG étaient, aussi, convaincus de la pertinence des stages parentaux.

1. Spep Gacep :
– adresse : bd Devreux, 30 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 30 56 07.
2. Spep Le Radian asbl :
– adresse : rue Marché aux Herbes, 105/21 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 215 16 76.
3. Spep Le Carpe :
– adresse : rue des Raines, 46 à 4800 Verviers
– tél. : 087 31 60 30.
4. Spep Affiliations :
– adresse : av. Eugène Ysaye, 15 à 1070 Anderlecht
– tél. : 02 520 58 94.
5. Spep Star :
– adresse : rue de Bruxelles, 36 à 1400 Nivelles
– tél. : 067 21 87 61.

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