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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Joy-eux An-ni-ver-sai-re le décret…

Vingt ans du décret de la Communauté française relatif à l’Aide à la jeunesse. L’heure d’un bilan critique.

19-03-2011 Alter Échos n° 312
Pexels, mar-newhall

Le décret de la Communauté française relatif à l’Aide à la jeunesse a vingt ans. Vingt ans de beaux principes – droit des jeunes, prédominance du social, suivi dans le milieu de vie, déjudiciarisation, émancipation – qui ne résistent pas toujours à l’épreuve des faits. L’analyse critique de Jacques Fierens, avocat et professeur aux FUNDP1 et à l’ ULg et les extraits d’un colloque organisé par le Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant2 posent quelques balises utiles à la réflexion.

A l’occasion des vingt ans du décret de l’Aide à la jeunesse, vous exprimez des réserves au sujet de l’un des grands principes de ce texte : la déjudiciarisation. Pourquoi ?

Ce qui m’a frappé, c’est qu’il y a vingt ans, la décision de déjudiciariser a été prise sur la base d’un a priori d’évidence, il fallait déjudiciariser, ça n’a pas été beaucoup discuté. Cette idée était déjà présente en 1977 à l’époque du Livre blanc sur la protection de la jeunesse. L’idée de déjudiciariser était une réaction aux excès de tribunaux de la jeunesse et de certains juges. Les placements en institutions étaient trop fréquents et des juges faisaient détenir en prison des mineurs, notamment pour des courtes périodes de quinze jours. Le tribunal avait aussi tendance à se dessaisir trop souvent.

Cette réaction face aux excès des tribunaux a donc été elle aussi excessive ?

Disons qu’on a voulu imposer une dichotomie entre le social et le judiciaire. Comme si les juges ne faisaient pas de social. Vingt ans plus tard, on peut regretter l’absence de transparence du système déjudiciarisé. Surtout lorsque le conseiller de l’aide à la jeunesse intervient. Beaucoup de gens ne comprennent pas la différence entre le juge et le conseiller. Pour eux, le conseiller est un juge. Les accords d’aide entre le conseiller, le jeune et la famille sont souvent de pseudo-accords. Il y a toujours la menace d’une intervention du judiciaire qui plane en cas d’échec de l’aide consentie. Non seulement se sont de faux accords, mais le système déjudiciarisé offre peu de garanties de procédure.

Selon vous, passer devant un juge offre plus de garanties que passer devant un conseiller de l’aide à la jeunesse, alors que ce dernier offre une aide consentie ?

Du côté des conseillers de l’aide à la jeunesse, on pense généralement qu’un avocat est un « emmerdeur ». On n’imagine pas pourquoi un avocat devrait êtreprésent aux côtés de l’enfant ou de ses parents face au conseiller de l’aide à la jeunesse, alors que l’avocat est là pour défendre les droits et que sa présence est garantie face à un juge. Il y a aussi de nombreuses difficultés pour accéder au dossier des familles. Ces garanties sont évidentes devant lejudiciaire. Au fond, c’est l’idée que les enfants puissent avoir des droits propres qui ne passe pas. Enfin, il faut souligner que les nominations des conseillers et directeurs de l’aideà la jeunesse sont politiques. Ils sont nommés par la ministre de l’Aide à la jeunesse. Chez les magistrats, les nominations sont moins politisées depuis lacréation du Conseil supérieur de la justice. Bref, la séparation forcée entre social et judiciaire, la multiplication des acteurs et l’ambiguïté de leursrôles respectifs rendent peu lisible l’action en matière d’Aide à la jeunesse.

Pour vous cette déjudiciarisation est un semi-échec. Mais alors que faut-il faire ?

Je suis clairement partisan d’une rejudiciarisation, même partielle. Il y a eu des excès de la justice, mais fallait-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Beaucoup de choses dysfonctionnent avec le système actuel. Il y a une concurrence entre judiciaire et non-judiciaire, des bagarres sur l’étendue du rôle de directeur face au rôle du juge. Et ces instances ne se parlent pas beaucoup. A l’heure actuelle je pense que les droits fondamentaux des jeunes sont moins bien protégés dans un système déjudiciarisé.

Parmi les grands objectifs du décret, il y avait aussi la « désinstitutionnalisation »…

Oui, un principe dont je partage l’objectif. L’idée était d’éviter les placements en institutions, parfois inhumaines. Dans certaines il y avait eu, dans les années soixante-septante des pratiques proches de la torture que Jules Brunin dénonçait dans L’Enfer des gosses. Il était plus que nécessaire de proposer autre chose.

Cela étant dit, on peut regretter une contradiction entre les principes et la politique menée qui révèle parfois une réaction sur le coup à des pressions médiatiques. On annonce la création de cinq cents places institutionnelles supplémentaires, la Communauté s’investit dans les prisons pour jeunes et dans les sections fermées d’IPPJ ou les centres fédéraux. La Communauté n’a pas toujours le choix de ses interventions dans un monde éclaté entre compétences fédérales et communautaires, mais on n’entend plus l’affirmation de la priorité au milieu de vie et les questions que pose l’inefficacité de beaucoup de placements.

Surtout que certains placements posent problème…

Oui, il y a notamment une recrudescence de placements pour raisons de pauvreté, ce qui est évidemment inquiétant. Bien sûr, la motivation officielle du placement n’est jamais explicitement les conditions sociales, économiques ou culturelles dans lesquelles vivent les familles qui sont touchées par les placements. Mais j’entends quetous les observateurs sont d’accord sur ce point : la séparation imposée entre parents d’origine et enfants concerne massivement les pauvres de plus en plus pauvres etnon les riches de plus en plus en riches. Comme si être un parent acceptable dépendait en fait des moyens que l’on possède pour élever ses enfants…
Enfin, j’espère que le travail des services d’aide en milieu ouvert (AMO) contribue à la prévention, à empêcher des placements ou les mesures d’aide. Mais ce travail est très difficile à évaluer en termes quantitatifs.

La désinstitutionnalisation a aussi abouti à l’augmentation spectaculaire du nombre de services agréés par l’aide à la jeunesse…

Plus que le nombre de services, c’est le surinvestissement dans les familles d’accueil qui pose parfois problème, surtout lorsqu’on le lie à l’encouragement à des projets d’adoption. Normalement et juridiquement, le but d’un placement en famille d’accueil est le retour en famille, mais ce n’est pas dit assez clairement. Et en réalité on peut aboutir à des demandes d’adoption. Du coup les familles se retrouvent en concurrence et c’est très dur pour tout le monde.

Enfin, on énonce dans le décret le principe des « droits des jeunes » et non des « droits de l’enfant », à quoi cela est-i
ldû ?

Certaines mesures de l’aide à la jeunesse peuvent être prises jusqu’à l’âge de vingt ans. Dès lors, la réalité de ce décret concernait aussi de jeunes majeurs. En choisissant de ne pas évoquer les droits de l’enfant on veut faire du jeune une sorte de « mini-adulte », peut-être inconsciemment.

Je suis favorable à l’affirmation des droits de l’enfant ou des jeunes mais cette idée n’est toujours pas acceptée par l’ensemble des professionnels. Et ça n’évolue pas. Je constate que les droits de l’enfant ne sont quasiment jamais invoqués pour eux-mêmes, ou très peu. Il y a une certaine réticence à prendreles situations sous l’angle des droits fondamentaux, les gens pensent « mais ça déresponsabilise les enfants », ou « ça en fait des enfants-rois », ouencore « et les devoirs dans tout ça ? ». Mais les droits signifient la prise en compte, par le monde des adultes, de la dignité et de la demande de respect des enfants.

Je pense qu’il y a une ambiguïté à ce sujet. On suppose souvent que les droits poussent à revendiquer l’autonomie, voire l’opposition, notamment face aux institutions ou à l’Etat. Mais là, on parle des droits d’adultes, les droits de l’enfant sont différents dans leur nature. Pour faire passer cette idée, il faut au moins enseigner les droits de l’enfant à l’école. Mais ça ne suffirait pas. Car quand on est exclu de la société alors les droits ne servent pas à grand chose. Il faut d’abord inclure véritablement les enfants et les jeunes dans la société, alors les droits changeront leur vie. Il faut que les jeunes aient des raisons de croire, par expérience,qu’ils sont des sujets de droit.

Vingt ans, l’âge des bilans

Anniversaire, célébration, réflexions. Le décret de la Communauté française relatif à l’Aide à la jeunesse fêtait ses vingt ans, le 4 mars dernier. Vingt ans, le moment des bilans. Le Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant s’est donc lancé dans un exercice difficile : organiser un colloque qui dresserait les grandes lignes de ces vingt dernières années tout en esquissant quelques perspectives.

Autant dire que la journée fut dense, car le dispositif créé en Communauté française il y a vingt ans était tout à fait innovant. Pour venir enaide aux enfants en danger ou en difficulté, l’idée était d’en finir avec les excès du passé. Trop de placements forcés dans des homes inhumains, trop de place accordée au juge, trop peu à l’encadrement social des enfants et de leurs familles. En 1991, les valeurs qui prédominent sont au contraire axées autour de l’approche sociale, la prévention et la « désinstitutionnalisation » – l’aide en milieu de vie est privilégiée. Les droits des jeunes sont consacrés comme clé de voute de ce système où règne en maître de l’aide consentie le conseiller de l’aide à la jeunesse. L’Aide à la jeunesse est « complémentaire et supplétive », le conseiller doit donc s’échiner à trouver prioritairement des solutions auprès de services de «première ligne » (du type CPAS), laissant augurer les nombreux jeux de ping-pong entre administrations… qui perdurent vingt ans après.

Enfin, dernier grand principe du décret : la déjudiciarisation. Le pouvoir du judiciaire est strictement limité à l’aide contrainte en cas de danger grave ou de refus de collaboration des familles dans le cadre de l’aide consentie. Le juge reste bien évidemment compétent dans le cadre de faits qualifiés infraction. Le directeur de l’Aide à la jeunesse sera chargé de l’application des décisions du juge. On réalise qu’en vingt ans, la place de chacun reste encore et toujours à définir.

Certes, ces grands principes qui sous-tendent l’action de la Communauté française sont presque unanimement salués par le secteur. Mais les problèmes sont très nombreux : saturation des services, multiplication des places fermées, illisibilité du secteur par les bénéficiaires due au grand nombre de services, renvois de balleentre secteurs, placements pour raisons de pauvreté etc.

D’où la question suivante : « Les enfants sont-ils mieux protégés aujourd’hui? » Une question à laquelle tenta de répondre Benoît VanKeirsbilck, co-président du Cide et dont nous publions quelques extraits de l’intervention:

« La pauvreté reste toujours endémique et les familles pauvres craignent autant qu’avant qu’on leur retire leur enfant (…)

Si les services d’aide à la jeunesse (SAJ) se disent débordés, n’est-ce pas le signe que certaines des priorités du décret, la subsidiarité et la complémentarité, n’ont pas pu être rencontrées ? (…) Les SAJ semblent avoir une force d’attraction importante et une faible capacité à mobiliser les services démissionnaires (…)

La réforme des services a eu des effets importants tels que le démantèlement des grosses institutions d’hébergement et la transformation d’un certain nombre de lits en accompagnement dans le milieu de vie. Mais peut-on dire aujourd’hui que le système est cohérent ? Les jeunes et les familles s’y retrouvent-ils dans le nombre et la variété d’institutions ? L’hyperspécialisation (…) ne provoque-t-elle pas au contraire plus de renvois d’un service à l’autre ?(…)

Si la volonté est bien de privilégier la négociation et l’intervention volontaire (…) de nombreuses familles gardent l’impression qu’elles n’ont pas eu le choix (sous peine d’une judiciarisation) et le retrait du milieu familial reste très fréquent. Pire, on sent poindre un retour en force d’un discours « pro-placement ». (…)

La difficulté de placer le jeune et sa famille au centre de l’intervention, est bien présente. L’accès aux dossiers, l’obtention d’une copie du rapport social les concernant,l’assistance par une personne de son choix… restent des questions difficiles. (…)

Une autre évolution notable à côté de laquelle il n’est pas possible de passer, c’est l’augmentation exponentielle du recours à l’enfermement des jeunessoupçonnés ou convaincus d’avoir commis des faits qualifiés infraction. (…)

La complainte des moyens est éternelle, chacun ayant de bons motifs de se plaindre. Mais c’est une mauvaise manière de poser le problème (…); la vraie question c’est lechoix politique qui sous-tend l’affectation des moyens. »

 

1. Jacques Fierens, facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur, rue de Bruxelles, 61 à 5000 Namur
– tél. : 081 724 797
– site : www.fundp.ac.be
2. Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant :
– adresse : place Montesquieu, 2 à 1348 Louvain-La-Neuve
– tél. : 010 47 46 72
– site : www.lecide.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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