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Regard critique · Justice sociale

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Jeunes LGBT : un refuge pour se reconstruire

Avec le soutien de la Ville et du CPAS de Liège, la fondation Ihsane Jarfi a ouvert en juin dernier un dispositif d’accueil d’urgence pour les jeunes rejetés par leur famille en raison de leur orientation sexuelle et/ou de leur genre. Une première en Wallonie.

Asleep in the morning. Health Stories - Book Two. 1933.

Avec le soutien de la Ville et du CPAS de Liège, la fondation Ihsane Jarfi a ouvert en juin dernier un dispositif d’accueil d’urgence pour les jeunes rejetés par leur famille en raison de leur orientation sexuelle et/ou de leur genre. Une première en Wallonie.

Le 22 avril 2012, Ihsane Jarfi, jeune homosexuel trentenaire d’origine marocaine, est enlevé en sortant d’une discothèque au centre de Liège. Dix jours plus tard, son corps est découvert sans vie, portant la trace de nombreux sévices, dans un champ. Son meurtre sera le premier à être reconnu comme «homophobe» de l’histoire judiciaire belge. En 2014, son père, Hassan Jarfi, met sur pied la Fondation Ihsane Jarfi, qui collabore depuis avec trois institutions culturelles liégeoises (L’Opéra royal de Wallonie, l’Orchestre philharmonique et le Théâtre de Liège). «Nous organisons des événements annuels qui nous permettent de recueillir des dons que nous redistribuons aux associations qui luttent contre la discrimination et l’homophobie en particulier, mais nous souhaitions avoir un projet propre, qui concrétise nos actions», raconte Hassan Jarfi. En France, le père d’Ihsane a découvert les refuges, ces hébergements d’urgence qui accueillent les jeunes homos en rupture familiale. Depuis une quinzaine d’années, ces habitats de transition sont présents dans toutes les grandes villes de l’Hexagone. En Belgique, seule Bruxelles accueille depuis un peu plus d’un an une structure de ce genre. «Lorsque le jeune se retrouve à la rue, qu’il a l’impression d’avoir perdu son père et sa mère, il est en danger, il pense au suicide. Il peut aussi être victime d’un acte homophobe, tomber dans des problèmes de drogue, de prostitution, poursuit Hassan Jarfi. Le but, c’est évidemment de permettre au jeune de réintégrer sa famille, à terme. Mais pour cela, il faut que la famille puisse s’ouvrir à son orientation sexuelle.»

Un relais indispensable

Le dispositif fonctionne en deux temps. «Nous avons un numéro d’urgence qui permet de réaliser une veille sept jours sur sept et de donner une réponse dans les 24 heures à une demande d’hébergement d’urgence, explique Vincent Bonhomme, administrateur délégué du refuge liégeois. Il s’agit d’un accueil inconditionnel. Pendant ce temps, le CPAS mène une enquête sociale, afin d’objectiver la rupture, de déterminer si on est bien dans un cas d’homophobie ou de transphobie. On réunit alors un comité d’avis pour valider l’accès à l’appartement.» La phase d’urgence permet, dans le meilleur de cas, de «faire baisser la pression et de se rabichocher». Lorsque la demande se révèle justifiée, un appartement dont l’adresse est tenue secrète est mis à disposition pour une durée de maximum six mois, renouvelable une fois. Depuis la fin juin 2019, six jeunes sont déjà entrés en contact avec la fondation: deux par l’intermédiaire d’un service d’aide à la jeunesse, un via le centre PMS d’une école, un autre via un CPAS et deux par le biais de réseaux associatifs. «Cela montre que les services publics eux-mêmes sont démunis. Pour nous, il est donc très important d’être identifié comme un relais», poursuit Vincent Bonhomme.

«Nous avons un numéro d’urgence qui permet de réaliser une veille sept jours sur sept et de donner une réponse dans les 24 heures à une demande d’hébergement d’urgence.» Vincent Bonhomme, administrateur délégué du refuge liégeois

C’est Kate, une jeune transgenre de 18 ans, qui occupe aujourd’hui l’appartement de la Fondation Ihsane Jarfi. Née dans une famille turque des alentours de Liège, celle qui s’appelait Mourat s’est toujours sentie fille. «J’ai toujours été très efféminée. Enfant, j’aimais déjà les robes de princesse, le vernis, le maquillage. Ma mère ne l’a jamais accepté: elle me frappait. Quand je disais que je voulais être une femme, elle me répondait que Dieu maudit ceux qui changent de sexe. À l’école, j’étais totalement rejetée. J’ai pensé au suicide», confie-t-elle. L’année dernière, alors que Kate subit une fois de plus les brimades des autres élèves au cours de gym, un professeur alerte le proviseur et la préfète. Kate est alors présentée à la psychologue du centre PMS. «Là, on m’a dit pour la première fois: ‘Je vais t’aider.’ C’était tout à fait inattendu. J’ai pris contact avec une assistante sociale, j’ai fait des démarches auprès du CPAS.» Kate intégrera finalement l’hébergement d’urgence de la Fondation Ihsane Jarfi, puis l’appartement dont elle est la première occupante.

Le poids du groupe

Très isolée, Kate a aujourd’hui arrêté l’école et s’apprête à commencer une formation. «Je suis seule toute la journée mais au moins je ne vis plus dans la violence. Je dois essayer de me constituer un nouveau réseau», explique celle qui dit n’avoir aucun espoir de voir sa famille changer d’attitude. «Ma mère pense que j’irai en enfer parce que je me sens femme. Elle vit dans la peur de Dieu. Mais elle a aussi peur du regard des autres, des voisins, de la famille. Quand nous retournions en vacances en Turquie, un de mes oncles disait qu’il allait me tuer. Après mon départ, des gens sont venus frapper à la porte de mes parents pour leur dire qu’ils les soutenaient, qu’ils les aideraient à me remettre dans le droit de chemin, qu’ils connaissaient des gens à Bruxelles qui pouvaient les aider», raconte-t-elle. Hassan Jarfi ne connaît que trop bien ces mécanismes d’assujettissement au regard de l’autre: «Les stéréotypes ne fonctionnent pas seuls: ils fonctionnent en groupe.»

«Ma mère pense que j’irai en enfer parce que je me sens femme. Elle vit dans la peur de Dieu.» Kate, jeune transgenre

Pour Dimitri Verdonck, bénévole et cofondateur de l’asbl Le Refuge Bruxelles, on aurait pourtant tort de résumer les conflits familiaux que rencontrent les jeunes LGTB à la question communautaire et religieuse. «En un an, nous avons accueilli 17 jeunes et nous en avons accompagné 26. Les jeunes d’origine musulmane ne sont pas la majorité. Certains viennent de milieux catholiques. Et d’autres sont rejetés par leur famille pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la religion.» Quelles que soient les causes de la rupture, les refuges bruxellois et liégeois répondent aujourd’hui à un réel besoin. «Avant, beaucoup de Belges se retrouvaient dans les refuges français, généralement à proximité de la frontière. Idéalement, il en faudrait sur tout le territoire, car, pour certains jeunes, venir vivre à Bruxelles est un obstacle.»

Prochainement, une Fédération européenne des refuges devrait voir le jour. Elle devrait permettre l’échange de bonnes pratiques, y compris pour des problématiques spécifiques comme l’accueil des demandeurs d’asile homosexuels ou transgenres. «En France, ils représentent 50% du public des refuges. Mais pour répondre à leur demande, nous devons avoir une approche adaptée, car l’accompagnement administratif et le calendrier ne sont pas les mêmes», précise Dimitri Verdonck. Un relais politique est aussi espéré de la part des refuges liégeois et bruxellois. «Nous espérons que le ministère de l’Égalité des chances s’emparera du dossier», conclut Vincent Bonhomme. Car, aujourd’hui, être homosexuel ou transgenre reste un danger, qui demande assistance et protection.

Julie Luong

Julie Luong

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