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« Jean-Émile Charlier sur les AITI : regard dans le rétroviseur »

12-04-1999 Alter Échos n° 50

En janvier 98 a été conclu le rapport final d’évaluation des Actions d’insertion par le travail intérimaire 1. Il permet de jeter un regard neuf sur cette initiativecontroversée 2.
De 95 à 97, les AITI avaient déjà été lancées avec l’UPEDI. Elles avaient été imaginées à la fin de la législatureprécédente autour d’Albert Liénard, alors responsable wallon de l’emploi.
De quoi s’agissait-il ? Une version bêta des «Passerelles» actuelles. Les professionnels recrutés pour les AITI travaillaient moins systématiquement, ils avaientsurtout un rôle de placeurs entre les candidats qu’ils sélectionnaient et les agences partenaires, rôle pour lequel ils devaient souvent jouer de leur personne. Les AITI nerecevaient pas directement les chômeurs à sélectionner : ils étaient envoyés par des asbl locales ou des CPAS partenaires.
L’histoire de ces AITI s’est en fait caractérisée par un non décollage. Objectifs trop ambitieux (du type réconcilier le monde du privé et le monde de laformation), mauvaise organisation, manque de soutien par les institutions concernées, déresponsabilisation de nombreux partenaires, un ensemble de causes se sont renforcées pourrendre progressivement la barque ingouvernable. Le tout se cristallisant sur les personnes des coordinateurs locaux des actions.
«L’année 1996 (et) les premiers mois de 1997, écrit Jean-Emile Charlier, FUCaM, évaluateur du dispositif, ont été marqués par des renoncements, desfuites et des démissions qui ont condamné le projet à n’être qu’une caricature de ce qu’il aurait pu être. L’affaiblissement de la position du coordinateur principala contribué à l’effondrement du projet. (…) Bref, ce fut une débâcle.» A travers la succession d’anecdotes qui en constituent la chronique, seuls les deuxcoordinateurs du Hainaut ont mené, sur les trois années prévues, un projet de manière ininterrompue. Le rapport décrit la difficulté de leur position, leslaissant en bout de course «pas loin de penser qu’on s’était servi d’eux quand ils étaient indispensables mais que la volonté d’établir de vraies relations departenariat n’a jamais existé», tant dans le chef des politiques que des partenaires. Ambiance.
Débâcle qui a évidemment retenti sur l’impact du dispositif : sur les 204 candidats concernés dans le Hainaut, à peine la moitié y ont trouvé leurcompte. Pratiquement à l’insu de tous, plusieurs trajectoires se sont dessinées. Une bonne moitié des candidats ne se sont pas vu proposer une seule mission d’intérim; unpetit noyau parmi ceux-ci – ceux qui se sont remotivés dans leur recherche d’emploi – ont trouvé du travail par eux-mêmes, le plus souvent au moyen de candidaturesspontanées auprès d’employeurs.
Du côté de ceux qui ont été pris pour des missions d’intérim, deux situations types se présentent. Soit il s’est agi de quelques missions très courtespar an, pour des travaux du type saisonnier, sans dépasser le seuil conventionnel de 22,5 jours/an. Soit il s’est agi d’une succession de missions aboutissant à un total de joursprestés assez important. Donc, d’un côté des intérimaires ponctuels, d’un autre côté, des intérimaires professionnels.
Etonnamment, la proportion de personnes qui ont obtenu un emploi est plus forte chez les candidats qui n’ont pas participé à des missions d’intérim. Mais de manière moinssurprenante, l’intérim amène plus fréquemment des contrats à durée indéterminée… pour des intérimaires ponctuels.
Le hic se situe en fait dans la manière dont les AITI ont joué sur la sélectivité du marché de l’intérim. Les deux premières années, l’objectifd’amener vers le travail des chômeurs dit «à risque» en créant entre eux et les agences d’intérim un espace aux règles du jeu spécifiques, a,d’après le rapport, été atteint de manière valable. Mais la sélectivité est revenue la dernière année, quand le dispositif battait de l’aile :les candidats retenus pour des missions étaient principalement les moins mal qualifiés, âgés entre 24 et 44 ans, hommes plutôt que femmes, etc.
Donc, typiquement, l’histoire d’une initiative d’insertion qui n’a pas les moyens, de quelque nature, à la hauteur de ses ambitions : les trajectoires du public concerné divergent de cepour quoi le dispositif est formaté et s’agrègent en quelques trajectoires erratiques par rapport à ce qui était prévu a priori. Et forment autant d’ «effetspervers».
Que retiennent les évaluateurs de tout cela ? L’intérim d’insertion doit «s’adosser» à une institution «chaperon» qui l’héberge. Il doitrépartir les responsabilités de manière claire et précise : les travailleurs des différentes agences d’intérim impliquées doivent être dans lecoup, pas seulement l’UPEDI… L’information (sur les profils, les missions) doit circuler plus efficacement : l’intérim travaille à un rythme soutenu. Les objectifs doivent êtreplus pragmatiques. Telles sont les conditions qui semblent devoir permettre à l’intérim d’insertion de jouer réellement «l’intermédiation» en faveur du publicfragilisé auquel il se destine.
Une série d’éléments qui constituent une bonne part des partis pris des nouvelles «Passerelles» du Forem.
La question que le rapport ne tranche pourtant pas, c’est celle de savoir si l’idée de base de l’intérim comme marchepied reste porteuse ou pas : que vaut cette philosophie del’insertion où l’enjeu n’est pas de permettre à des sans-emploi d’accéder à un statut durable, mais de «profiter d’opportunités d’emplois précaires(mais légaux et rémunérés) pour progresser dans leur stratégie de recherche d’emploi» ?
1 Jean-Emile Charlier, «Travail intérimaire et Insertion socioprofessionnelle. Rapport final», FUCaM, rue des Soeurs Noires 2 à 7000 Mons, tél. : 065/35 33 88.
2 Cette dépêche reprend les éléments d’une page rédigée par l’Agence Alter pour l’édition du 6 avril du quotidien «Le Matin».

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