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JDI : Santé et populations précarisées

On le sait – l’adage populaire traverse les décennies ! – mieux vaut être riche et en bonne santé que pauvre et malade. Pour nous le rappeler, différentsintervenants rappelleront tour à tour quelques grandes statistiques européennes : les conséquences sur la santé de l’accumulation de contrats précaires enItalie, l’insuffisante accessibilité en France d’un vaccin contre l’une des formes les plus répandues de cancer chez les femmes, celui du col de l’utérus, avantde terminer par une enquête des Mutualités chrétiennes sur l’accessibilité des médicaments, laquelle confirme – si besoin en était – ceconstat : la pauvreté nuit gravement à la santé.

03-11-2008 Alter Échos n° 261

On le sait – l’adage populaire traverse les décennies ! – mieux vaut être riche et en bonne santé que pauvre et malade. Pour nous le rappeler, différentsintervenants rappelleront tour à tour quelques grandes statistiques européennes : les conséquences sur la santé de l’accumulation de contrats précaires enItalie, l’insuffisante accessibilité en France d’un vaccin contre l’une des formes les plus répandues de cancer chez les femmes, celui du col de l’utérus, avantde terminer par une enquête des Mutualités chrétiennes sur l’accessibilité des médicaments, laquelle confirme – si besoin en était – ceconstat : la pauvreté nuit gravement à la santé.

En guise d’introduction, Alain Coheur, directeur des affaires européennes et internationales de l’Union nationale des mutualités socialistes, a livré quelqueschiffres interpellants. Ainsi, en 2004, 16 % des citoyens de l’Europe des 25 vivaient en deçà du seuil de pauvreté (fixé à 60 % du revenu national moyen). Leschiffres oscillaient entre 9 et 10 % (Suède et République tchèque) et 21% (Lituanie et Pologne). Les enfants sont souvent plus exposés à la pauvreté que lereste de la population (19 % pour l’Europe des 25 en 2004). Cela vaut pour la plupart des États membres, exception faite des pays nordiques, de la Grèce et de Chypre.

En 2006, près de 10 % des citoyens adultes de l’Europe des 25 en âge de travailler vivaient dans des ménages exclusivement composés de personnes sans emploi.Même le travail ne prémunit plus toujours contre la pauvreté. En 2004, 8 % des citoyens de l’Europe des 25 âgés de 18 ans et plus et occupant un emploi vivaienten deçà du seuil de pauvreté, faisant apparaître une nouvelle catégorie sociale : les « working poors». Les chiffres oscillaient entre 5 % oumoins (République tchèque, Allemagne, pays nordiques et Belgique) à 13 ou 14 % (Grèce, Pologne et Portugal).

Les individus ayant les revenus les plus bas sont ainsi plus nombreux à ne pas avoir consulté de médecin généraliste au cours de l’année.C’est le cas de 21 % des moins de 50 ans contre 17 % pour le reste de la population. Pour les consultations de spécialistes, généralement plus chères, la contraintefinancière joue un rôle important et les plus pauvres y ont moins recours. Ils fréquentent davantage les hôpitaux.

Les soins dentaires sont les plus reportés

Certaines pathologies sont plus répandues chez les personnes ayant des bas revenus. C’est le cas particulier des maladies de l’appareil digestif. Ainsi 20 % d’entre ellessouffrent d’une pathologie de l’appareil digestif contre 17 % du reste de la population. Parmi les pathologies, les caries dentaires sont les plus fréquentes, 11 % contre 6 %.Après 50 ans, viennent s’ajouter les maladies de l’appareil circulatoire (48 % conte 44 %) comme les rhumatismes, les varices mais aussi les maladies ostéo-articulaires, (43% conte 40 %) comme l’arthrose ou les maux de dos.

Chez les enfants, on retrouve une forte prévalence des problèmes des dents. Non seulement les enfants des ménages les plus modestes sont moins nombreux àbénéficier d’un suivi en orthodontie (6 % contre 10 %), mais ils ont également plus de caries (6 % contre 2 %). Chez les enfants les plus pauvres, l’asthme estégalement plus fréquent que dans le reste de la population (6 % contre 4 %). Les enfants des ménages à bas revenus sont plus nombreux à n’avoir pasconsulté de médecin généraliste au cours de l’année précédente (20 % contre 16 %). La différence est encore plus grande pour lesmédecins spécialistes auxquels 58 % des enfants n’ont pas eu recours lors des 12 derniers mois, contre 41 % des autres enfants.
Enfin en matière de prévention, quelques chiffres : parmi les femmes de 40 ans et plus appartenant à des ménages modestes, 34 % n’ont jamais réalisé demammographie contre 19 % des autres femmes de plus de 40 ans. Il en est de même pour les frottis gynécologiques : 12 % des femmes appartenant à un ménage modeste et ayantentre 20 et 70 ans n’en ont jamais réalisé.
« Dans un tel contexte, souligne Alain Coheur, il est important de continuer à investir dans les services sociaux non seulement en tant que fournisseurs d’emplois de qualitémais parce qu’ils répondent aux besoins de nos sociétés et sont des acteurs essentiels dans la lutte contre la pauvreté et la précarité. » Et deplaider pour disposer de plus d’indicateurs au niveau européen concernant la précarité et l’accès aux soins de santé.

En écho liégeois, Brigitte Lekien, responsable du Relais santé du CPAS de Liège confirme les pathologies décrites : « Pour les sans-papiers, nousconstatons souvent des maladies chroniques, des diabètes, le HIV, le cancer, les gastriques, l’hépatite. Un quart de nos patients sans-papiers viennent pour des radiospulmonaires. Pour la population « autochtone », ce sont plutôt des problèmes hématologiques, cardiaques et pulmonaires. Sans compter les problèmes de santé mentale ennombre chez les personnes les plus précarisées. »

Accessibilité des médicaments ? Peut mieux faire

L’accès insuffisant aux médicaments est un constat récurrent, pour preuve les études effectuées sur le sujet mais aussi le témoignage de pharmaciensracontant que de nombreux clients ne demandent plus que les médicaments les plus indispensables de la prescription de leur médecin, voire reportent leur traitement. Alors que,paradoxalement, les avancées scientifiques ainsi que les moyens investis pour des innovations pharmaceutiques n’ont jamais été aussi importants et de nouveauxmédicaments sont sans cesse créés. Mais qu’en est-il de l’accès de ces médicaments pour certaines catégories de la population ? Jean-Louis Imbs,professeur de pharmacologie à la Faculté de médecine de Strasbourg, s’est penché sur le cas particulier du vaccin contre le papillomavirus, plus connu sous le nom decancer de l’utérus. En Europe, on compte 33 500 cas de cancer du col de l’utérus et plus de 15 000 décès par an. C’est le second cancer en nombre dedécès chez la jeune femme (15-44 ans). Deux vaccins existent actuellement sur le marché, efficaces à 70 % (un frottis reste donc nécessaire pour dépister).« En France, explique Jean-Louis Imbs, il est remboursé par la sécurité sociale à 65 % pour les jeunes filles de 14 ans et lorsqu’il est administréentre 15 et 23 ans. Son coût : 406 euros. Ce qui signifie que les 35 % restant à payer sont encore un obstacle financier non négligeable qui fait que nombre de jeunes filles nepeuvent se payer ce vaccin pourtant efficace. Sans compter les autres catégories d’&ac
irc;ge pour lesquelles il n’existe aucun remboursement. Et ici, je ne parle même pas despays du Sud où se concentrent plus de 80 % des décès dûs à ce cancer. Là, aucune intervention n’est prévue. »

En Belgique, l’accès aux médicaments n’est pas encore, loin s’en faut, optimal même si par rapport à d’autres pays européens, nous sommesplutôt bien lotis. « Ainsi, en 2006, les remboursements pour les prestations pharmaceutiques se sont élevés à 3,304 milliards d’euros, soit 18,6 % del’ensemble des prestations de l’assurance maladie, explique Hervé Avalosse, chargé d’études au service recherche et développement de la Mutualitéchrétienne. Les tickets modérateurs restant à charge des patients représentent quant à eux 0,548 milliard d’euros. Les médicaments non remboursablesqu’on appelle les médicaments D représentent, pour les soins ambulatoires, 1,15 milliard d’euros et, pour les soins hospitaliers, environ 50 millions d’euros. Lesmédicaments A (les médicaments à intérêt vital, comme par exemple l’insuline) sont complètement remboursés. Pour les médicaments B, leticket modérateur est de 25 % pour un assuré ordinaire et de 15 % pour un bénéficiaire de l’intervention majorée (BIM). Pour les médicaments C, leticket modérateur est de 50 % pour l’assuré ordinaire comme pour le BIM, avec un plafonnement du ticket modérateur. »

Le statut Omnio insuffisamment utilisé

Selon l’enquête de la mutualité chrétienne, effectuée en 2006 auprès de 600 bénéficiaires du forfait de soins (population plutôtâgée avec problème de dépendance), la moyenne des frais de santé, hors assurance maladie, se montait à 1 752 euros/an avec parmi les frais les plusimportants, l’aide à domicile : 617 euros (35 %), les médicaments D : 310 euros (18 %), les frais de transport : 299 euros (17 %), le matériel de soins : 210 euros (12 %).28 % des répondants ont déclaré être obligés de renoncer ou de reporter des soins (en premiers viennent l’achat de lunettes, le dentiste et le kiné). En2004, selon l’enquête santé des Belges, c’était 10 % de ménages qui devaient reporter des soins pour des raisons financières.

Parmi les solutions à ce problème d’accès aux médicaments, Hervé Avalosse reprend une piste avancée par les mutualités belges : octroyerl’intervention majorée (statut Omnio) aux ménages disposant de faibles revenus. Le plafond annuel 2007 pour les revenus bruts imposables considéré est de 13 544euros pour un isolé + 2 507 euros par personne à charge. « D’après les estimations, le statut Omnio est susceptible de concerner 780 000 nouveauxbénéficiaires dans l’ensemble du pays. Pour l’instant (septembre 2008), à la Mutualité chrétienne (45 % des assurés sociaux), 20 338ménages, soit 50 544 personnes ont reçu le statut Omnio. On est très loin d’avoir atteint tout le monde… Il est vrai que la procédure est assez lourde mais ilil existe des projets de simplification administrative. »

Parmi les autres pistes, celle, connue, du médicament générique. Du fait de la concurrence des génériques, les firmes pharmaceutiques ont étéincitées à diminuer le prix public des médicaments originaux. « Depuis octobre 2005, explique Hervé Avalosse, la prescription doit être libellée en DCI(code international des médicaments), ce qui permet au pharmacien de fournir le médicament le moins cher. Depuis avril 2006 également, il y a fixation d’un pourcentageminimum de médicaments « bon marché » que chaque médecin doit prescrire. Exemple : 27 % pour les médicaments génériques. Mais le générique doitencore être plus favorisé. Selon une étude du Crioc de 2008; les consommateurs issus des populations moins favorisées déclarent moins souvent connaître lesmédicaments génériques et perçoivent ceux-ci plus négativement. L’enquête des mutualités a révélé de son côtéqu’il n’y avait pas de différences entre classes sociales par rapport à l’utilisation des médicaments génériques, alors qu’on ce seraitattendu qu’il soit plus utilisé chez les bas revenus. En projet aussi, l’intégration dans le maximum à facturer du ticket modérateur du vaccin contre la grippeet l’intégration de certains médicaments D (dont l’utilisation est liée à une affection chronique). Pour y arriver, un système d’enregistrement desmédicaments D sera mis progressivement en place via Pharmanet. « Un projet de longue haleine, plus de 15 ans maintenant, car il faut faire face à l’hostilité del’industrie pharmaceutique qui ne souhaite pas que l’Inami connaisse le volume des médicaments prescrits. » Enfin, dernière chose toujours bonne à savoir, ilexiste un fonds de solidarité pour le remboursement de médicaments (pour des maladies rares) qui ont prouvé leur efficacité mais ne sont pas encore dans la nomenclaturedes médicaments remboursés.

ENCADRE

Les conséquences de la précarité sur la santé

Pour parler des conséquences de la précarité sur la santé, Jean-Michel Vidal, professeur associé au département d’anthropologie del’Université de Montréal, a passé en revue différents auteurs qui, chacun à leur manière, ont tenté de réfléchir et de comprendrele monde contemporain dans son rapport à la santé et/ou aux services sociaux. D’abord Michel Foucault et la notion de bio-pouvoir, notion par laquelle on dissocie le malade de soncorps : la maladie devient une entité isolable, qu’on peut nommer de l’extérieur. On renie les savoirs populaires et endogènes, on classifie les maladies. Lesindividus deviennent objets de surveillance et non plus de connaissance. Il faut les faire entrer dans le moule du « sain », du « bien ». Le bio-médical devient lebio-pouvoir et un véritable projet politique qui s’étend sur toute la société. Il évoque également Arthur Kleinman et le concept de Souffrance socialepour terminer par Robert Castel, Guillaume Leblanc et Gilles Bibeau, sur les rapports entre l’État de droit (protections civiles) et l’État social (protections sociales), lenormal et le pathologique.

Le travail n’est pas la santé

Roseline Ricco, chercheuse en sociologie à l’université de Rome, quant à elle, évoquera non sans humour, les conséquences du travail sur la santé endressant un portrait des travailleurs précaires italiens. Et apparemment, en Italie, la précarité professionnelle on connaît : le contrat à projets, ce que nousappelons
chez nous le CDD, se généralise. Comme conséquences de cette instabilité, stress, maladies cardiovasculaires (infarctus, etc.), migraines chroniques, syndromes dedépression, manque d’activité physique et malnutrition : risque d’obésité, diabète, baisse de l’estime de soi, maladies du sommeil, maladiesparticulières spécifiques au milieu du travail, gastrites. Parmi ces travailleurs précaires, on retrouve beaucoup de jeunes peu qualifiés mais aussi hautementqualifiés, leurs pathologies, liées au travail : infertilité, overdose de travail, augmentation des accidents sur les lieux de travail, « morti bianche » (mortsur les lieux de travail), alcoolisme, comportements de dépendance, etc. Parmi les autres catégories de population à haute précarité professionnelle citéespar Roseline Ricco, les femmes et les mamans, les plus de 40 ans et les immigrés. Tous développent des pathologies particulières mais aussi communes. « Des lois existentpourtant pour assurer un minimum de soins, notamment pour les immigrés, mais ceux-ci n’en sont pas informés », déplore la chercheuse.

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