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Inquiétudes sur l'avenir du Service de lutte contre la pauvreté

Le prochain gouvernement fédéral doit revoir l’accord de coopération qui définit les missions du Service de lutte contre la pauvreté. L’occasion de revenir surla question de la participation des personnes en situation de pauvreté.

19-06-2010 Alter Échos n° 297

Le prochain gouvernement fédéral doit revoir l’accord de coopération qui définit les missions du Service de lutte contre la pauvreté. L’occasion de revenir surla question de la participation des personnes en situation de pauvreté.

« Le pire, ce n’est pas de ne rien avoir. Le pire, c’est le sentiment de n’avoir rien à dire. » Cette phrase résume à elle seule les enjeux de laparticipation. En ces temps de politique d’activation, donner la parole à ceux qui subissent la pauvreté de plein fouet apparaît d’autant plus crucial « que ces personnesont le sentiment de devoir sans cesse se justifier », souligne Françoise De Boe, coordinatrice du Service fédéral de lutte contre la pauvreté1. Mais ladémarche est exigeante. « Comment dépasser les constats, les cris, pour faire de l’analyse, réfléchir aux causes ? Comment passer des questionsindividuelles à une réflexion qui anime l’action politique ? »

L’histoire du Service de lutte contre la pauvreté est intimement liée à la création d’un dialogue où les personnes pauvres ont leur mot à dire. Dansles mois à venir, l’accord de coopération entre État fédéral, Communautés et Régions, relatif aux politiques de lutte contre la pauvreté, etqui définit les missions du Service, va connaître une révision plus ou moins importante.

Il faudra attendre la formation d’un nouveau gouvernement pour connaître la suite des opérations, et les acteurs concernés ne souhaitent pas particulièrement s’attardersur les détails d’un dossier dans lequel tout reste encore à négocier. Néanmoins, un certain nombre d’associations de terrain, dont Luttes solidarités travail(LST)2 et ATD Quart-monde au premier chef, ont d’ores et déjà exprimé certaines craintes. Elles s’inquiètent principalement de voir évoluer le Servicevers un centre d’expertise, et que l’organisation de la participation passe trop exclusivement par les réseaux de lutte contre la pauvreté.

Quinze ans de participation

1994 constitue une année charnière dans le dialogue sur la pauvreté. Cette année-là, en effet, est publié le premier rapport général sur lapauvreté en collaboration avec des associations de terrain et des CPAS. Le gouvernement de l’époque l’annonce dans sa déclaration, il veut « créer un dialogue avecles citoyens ». En commandant ce travail, les pouvoirs publics précisent qu’il doit permettre, sur la base de la mobilisation des pauvres eux-mêmes et des intervenants sociaux, des’attaquer plus profondément aux causes structurelles de la précarité. Le Service de lutte contre la pauvreté naît dans la foulée.

« Pour nous, le plus intéressant, au-delà de la mise en application sur le plan politique des recommandations elles-mêmes, était aussi de pérenniser ledialogue établi », se souvient Jacques Fourneau, militant de LST.

Plus d’une décennie après la création du Service, certains participants impliqués dans le dialogue initial continuent à fréquenter leur groupe detravail, remarque Françoise De Boe. Certains sont même présents depuis les premiers jours. « On craignait qu’une lassitude s’installe. Et finalement, les gens continuentà venir. On véhicule toujours cette image que les pauvres ne seraient préoccupés que par leurs soucis au jour le jour. C’est réducteur. »

Un dialogue dans le temps

Le processus de participation ne se construit pas en un jour. « Au sein de LST, les discussions commencent souvent autour de préoccupations partagées. Parfois, des pointscommuns en ressortent et on crée un groupe de parole. Et parfois seulement, il en résultera une parole collective qui débouchera sur une interpellation des politiques, constateJacques Fourneau, militant de LST. Il faut sortir de cette logique qui consiste à dire : un, nous avons un problème. Deux, on fait un micro-trottoir. Trois, on engage un chercheur.Quatre, on écrit un rapport et on prend une décision politique. »

Dans le projet du précédent gouvernement, l’idée de faire évoluer le Service vers un « centre d’expertise » a été évoquée. Leterme n’a pas manqué de faire bondir LST et ATD Quart-monde, qui craignent que l’espace ouvert au dialogue ne se réduise en faveur de discussions entre universitaires et deréunions de coordination. Dit autrement, ils redoutent une technocratisation. Françoise De Boe rassure: « Je n’ai pas du tout le sentiment que l’on va dans cette direction.L’introduction du mot « expertise » fait peur à certains. Mais nous ne l’interprétons pas de cette façon. Pour nous, ce mot est juste une façon de reconnaître lavaleur de notre travail. »

« Nous avons, d’une part, des politiques qui suivent le rythme d’une législature, d’autre part, des associations qui suivent le rythme d’une famille, résume Françoise DeBoe. La difficulté est de combiner les deux et c’est aussi notre rôle. Avec un rapport annuel publié tous les deux ans, il me semble que c’est un bon compromis. » Elle noteaussi que des rythmes différents peuvent coexister au sein du Service. Pour répondre à une question du politique sur le revenu minimum d’intégration, un groupe de travails’est mis en place pour rendre ses conclusions deux petits mois plus tard à peine. À l’extrême inverse, un groupe de travail comme Agora, qui regroupe familles pauvres etprofessionnels de l’Aide à la jeunesse, poursuit ses travaux depuis de longues années. « Ce qui a le mérite de permettre une réflexion approfondie, mais manqueparfois de visibilité », commente Françoise De Boe.

La place des réseaux

Un autre sujet qui fâche, c’est la place qu’occuperaient les différents réseaux de lutte contre la pauvreté dans la nouvelle mouture de la commission d’accompagnement duService. Cette instance regroupe à la fois des représentants des interlocuteurs sociaux, des organismes assureurs, des sections aide sociale des villes et des organisations danslesquelles se rassemblent les personnes pauvres. La place de ces organisations passerait de cinq à six. Sur ces six sièges, quatre seraient attribués aux réseaux de luttecontre la pauvreté. Certaines associations de terrain, qui ont pris pour habitude de se désigner sous le titre informel du « collectif », craignent d’être ainsiminorisées. « Le politique préfère avoir un interlocuteur unique, comme un réseau, parce que c’est plus simple que de consulter la base », analyseJacques Fourneau.

En tant qu’association militante de terrain, LST s’interroge sur la liberté de parole dont bénéficient les personnes pauvres dans ces réseaux. « Dans cesréseaux, on trouve, par exemple, des maisons d’accueil. Est-ce que les gens vont parler de la même façon s’ils f
ont face à des travailleurs dont ils dépendentpar ailleurs ? Chez LST, on ne donne ni pain, ni colis, juste une table pour parler. »

Malgré cette critique acide, LST ne prétend pas que sa vision soit la seule qui vaille. « Notre problème n’est pas que notre vision diffère de celle desréseaux. Cela fait partie de la démocratie. Notre revendication, c’est que cette diversité des points de vue et des idéologies soit représentéeéquitablement au sein du Service. »

Réseaux de réseaux

Christine Mahy est présidente du réseau wallon de lutte contre la pauvreté (dont faisaient partie LST et ATD Quart-monde dans le temps)3. Elle ne souhaite paspolémiquer sur le futur du Service, mais nous apporte son éclairage sur les réseaux, leur origine, leur philosophie.

Tout d’abord, tient-elle à rappeler, les réseaux sont nés d’une initiative du terrain, de la volonté d’associations estimant avoir plus de poids en s’alliant pourdéfendre une cause commune. Après les Wallons, ce fut au tour des associations flamandes, puis bruxelloises de se structurer en réseaux avec le Vlaams Netwerk van verenigingenwaar armen het woord nemen, d’une part, le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté, d’autre part. Du local au global, les réseaux régionaux s’insèrentà leur tour dans un réseau national (BAPN), qui s’intègre dans un réseau européen (EAPN).

En fonction des réalités de terrains et des contextes institutionnels, chaque réseau prend une forme différente. Cette diversité se prolonge naturellement ausein des réseaux eux-mêmes. Ainsi, une structure comme le réseau wallon fédère aussi bien des mouvements d’éducation permanente, des centres d’alpha,des entreprises de formation par le travail, des maisons de quartier, etc. Mais, insiste Christine Mahy, tous partagent deux préoccupations identiques : permettre la participation active despersonnes en situation de pauvreté et faire évoluer les politiques de façon structurelle. Plus précisément, « il s’agit non seulement de donner la parole auxpersonnes pauvres, mais aussi de la mettre en interrelation avec les autres acteurs, les travailleurs sociaux, les administrations, les politiques. » Ce qui doit permettre « de mettre enplace des politiques qui ne se contentent pas de gérer le problème, mais qui changent les choses. »

Pour Christine Mahy, les résultats sont encourageants. « La participation est de plus en plus importante, y compris au niveau de la prise de décision », note-t-elle,prenant l’exemple d’un groupe de travail sur l’habitat dans les campings qui a réuni cent septante personnes, dont deux tiers de résidents.

« Mais les réseaux ne prétendent pas être exclusifs, la parole des pauvres n’appartient à personne. On doit être modeste et se mettre avant tout au servicedes personnes qui vivent dans la pauvreté. » Voilà qui mettra tout le monde d’accord.

1. Service lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale :
– adresse : rue Royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 31 73
– courriel : luttepauvrete@cntr.be
– site : www.luttepauvrete.be

2. Luttes solidarités travail :
– adresse : rue Pépin, 27 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 15 12
– courriel : contact@mouvement-LST.org
– site : www.mouvement-lst.org
Le cahier Labiso 54 a été consacré au travailde LST.

3. Réseau wallon de lutte contre la pauvreté :
– adresse : rue Relis Namurwès, 1 à 5000 Namur
– tél. : 081 31 21 17
– courriel : rwlp@skynet.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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