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Regard critique · Justice sociale

Gouvernance économique UE : discipline budgétaire 1 – social 0

L’Union européenne lance toutes ses forces dans la bataille contre le déficit budgétaire. Au détriment de la lutte contre la pauvreté et du social engénéral ?

29-10-2010 Alter Échos n° 304

Malgré les efforts de la présidence belge, le social reste le parent faible de la nouvelle gouvernance économique européenne. Alors que l’arsenal communautaire deprévention des déficits budgétaires est en passe de se renforcer considérablement, la lutte contre la pauvreté et les autres politiques sociales restentconfinées au champ de la subsidiarité. Un retour en arrière est même à craindre.

Le déséquilibre ne pouvait être plus flagrant. Au même moment où, lundi 17 octobre à Luxembourg, sous les feux de la presse internationale, les 27 semettaient d’accord pour sanctionner les déficits budgétaires, à Bruxelles, une table ronde sur la pauvreté et l’exclusion ne débouchait, dans un relatif anonymat,que sur des conclusions vagues et peu contraignantes « dans le respect de la subsidiarité ».

Même si son rapport doit encore être coulé dans une forme législative définitive, la « task force Van Rompuy » (composéeessentiellement des ministres des Finances) a acté un renforcement significatif de la discipline budgétaire. Il ne s’agira plus, pour les gouvernements, de seulement maintenir ledéficit sous la barre des 3 % du PIB. Ils devront aussi économiser préventivement pour atteindre leur « objectif à moyen terme », sous peine desanctions financières. Les marges de manœuvre pour redistribuer d’éventuels futurs « fruits de la croissance » s’en trouveront nettement réduites.Pour les pays lourdement endettés, comme la Belgique, les exigences seront plus strictes encore.

Des salaires sous la coupe des Finances

La task force ne s’est pas arrêtée là. Afin de s’attaquer aux causes sous-jacentes des déficits, une « procédure en déséquilibreexcessif » – nouveau fleuron du jargon communautaire – a été inventée. Il s’agira de mettre sous monitoring, de façon précoce, les pays quivoient leur compétitivité s’éroder. Une série d’indicateurs, parmi lesquels la balance des comptes courants et le coût du travail unitaire, est enpréparation. Les salaires seront donc placés sous la surveillance des ministres des Finances, qui pourraient s’inquiéter d’augmentations jugées trop importantes. PourPhilippe Pochet, de l’Institut syndical européen (Etui)1, « il y a un biais dans l’approche qui ne considère les augmentations salariales que quand ellessont considérées comme trop élevées et non quand elles sont trop faibles » comme, par exemple, en Allemagne.

Aux critiques sur sa gauche, le commissaire européen à la manœuvre dans ce dossier, Olli Rehn, rétorque qu’« il n’y a rien de plus anti-social qu’une dettepublique élevée ». On ne peut pas lui donner tort. A près de 90 % en moyenne en Europe, l’endettement public – et les lourdes charges d’intérêtqui en découlent – est une épée de Damoclès sur la tête des générations futures. Mais l’argument ne saurait masquer la faiblesse du volet socialde la nouvelle gouvernance économique européenne.

« Le processus s’approche davantage d’un ajustement mutuel entre des gouvernements (de droite, surtout) souhaitant adopter certaines réformes », estime PhilippePochet. Face à des opinions publiques hostiles, la Commission européenne leur « fournirait un argumentaire complémentaire, une sorte de méthode « OCDE+ » ».Cette approche « a pour conséquence de déséquilibrer les ministres des Affaires sociales et de l’Emploi au niveau national car les ministres del’Économie pourront les court-circuiter en usant les procédures européennes », en conclut le chercheur de l’Institut syndical.

De fait, les nouvelles procédures en déficit excessif, assorties de sanctions financières lourdes (on évoque des dépôts de 0,2 % du PIB, soit environun milliard d’euros pour un pays comme la Belgique) risquent de peser lourd dans les arbitrages budgétaires nationaux. L’Allemagne veut même que les pays où le déficitdérape complètement soient privés de droit de vote au Conseil !

Pas de contraintes pour lutter contre la pauvreté

Certains ministres belges essaient d’inverser la tendance, dans le cadre de la présidence européenne (voir Alter Echos nº 299 : « Gouvernance européenne : un peu desocial s.v.p. ! »). De nombreuses conférences (pauvreté des enfants, services sociaux d’intérêt général, économie sociale, accès aux soins desanté, etc.) ont été organisées depuis le mois de juillet, mais force est de constater le manque de volonté politique pour progresser sur ces sujets au niveaueuropéen. En contraste évident avec les résultats concrets obtenus en matière de rigueur budgétaire.

Une table ronde contre la pauvreté et l’exclusion sociale, qui s’est tenue le 19 octobre sous la présidence du secrétaire d’Etat Philippe Courard (PS)2, suivie d’unConseil des ministres informel, a illustré parfaitement ce déséquilibre. Pas de résultats contraignants en vue ici. Aucune perspective sur l’établissement d’unrevenu minimal européen. « Les États membres se sont accordés pour accroître l’apprentissage mutuel et intensifier les échanges d’expériences et debonnes pratiques dans le domaine de l’aide au revenu adéquat », selon le communiqué final.

La table ronde a également permis d’aborder les aspects sociaux de la stratégie UE 2020, en passe de succéder à la stratégie de Lisbonne. Bien qu’elle fixe pourla première fois un objectif ambitieux de réduction de la pauvreté, la nouvelle approche suscite la méfiance, notamment parce qu’elle réduit le social à laquestion de la pauvreté. Pour le réseau européen anti-pauvreté EAPN3, celle-ci risque même d’être diluée dans les Programmes nationaux deréforme que chaque gouvernement devra présenter à partir de l’an prochain. EAPN craint que ces programmes ne conduisent à l’abandon des Plans d’action nationaux/Inclusion(Panincl) élaborés pour l’instant avec les acteurs du secteur. Or, pour EAPN, la stratégie « ne peut ni être cohérente, ni atteindre les résultatsescomptés sans des plans pluridimensionnels et intégrés, impliquant la participation des différents acteurs nationaux concernés ».

Flou sur la plate-forme contre la pauvreté

Pour l’heure, la Commission n’apporte pas vraiment de réponse à ces préoccupations. Le sort des Plans d’action nationaux/Inclusion sera décidéultérieurement, explique-t-on. L’exécutif de l’Union reste également très flou sur la future plate-forme contre la pauvreté,
attendue en décembre.

« Six mois après la présentation de l’agenda 2020, personne n’est à ce stade capable de définir ce que recouvre l’expression « plate-forme contre lapauvreté », qui constitue pourtant l’une des initiatives phares de l’agenda 2020. S’agit-il d’une MOC (Méthode de coordination ouverte) renforcée ? d’un espace ouvertde discussion ? d’autre chose encore ? », se demande Philippe Pochet.

Il ne fait aucun doute que la Commission aura à cœur de donner du contenu à son initiative phare, afin d’éviter d’être taxée d’ultra-libérale. Maisdans l’état actuel du consensus politique européen – et des finances publiques –, peu de progrès réels sont à attendre sur le front de l’Europe socialedans les prochains mois.

1. Etui :
– adresse : bd du Roi Albert II, 5 bte 4 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 224 04 70
– site : www.etui.org
2. Cabinet de Philippe Courard :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 11
– courriel : courard@minsoc.fed.be
– site : www.courard.be
3. EAPN :
– adresse : square de Meuûs, 18 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 226 58 50
– courriel : team@eapn.eu
– site : www.eapn.org

Eric Walravens

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