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"Feu vert pour des CCT flamandes en matière de formation professionnelle ?"

23-09-2002 Alter Échos n° 127

Renaat Landuyt, le ministre (socialiste) flamand de l’Emploi1, est depuis le début de la législature le porte-drapeau de la volonté flamande d’autonomiser la concertationentre les partenaires sociaux. Il a enfin obtenu une réponse à ses efforts: un avant-projet d’accord de coopération a formalisé le 20 septembre un premier accord politiqueintergouvernemental en la matière.
La Flandre a pris les devants
On se souvient qu’à l’automne 2001, la Flandre avait envisagé de développer son propre système de primes pour soutenir la politique de réduction du temps de travaildu gouvernement fédéral. On avait frôlé la crise politique, et la solution avait été trouvée par une augmentation significative du budgetfédéral consacré à cette politique. Mais le problème a continué à couver en Flandre, sous la pression entre autres du VEV, l’union patronaleflamande.
Ainsi, cette année, le ministre Landuyt a déposé devant son gouvernement un projet de décret2 qui met en place le chaînon manquant pour la régionalisation desconventions collectives de travail: la Flandre promulguera désormais les CCT qui concernent les matières pour lesquelles elle est compétente. À savoir surtout la formationprofessionnelle et la garde des enfants.
En avril, le Conseil d’État donne un avis positif à Landuyt: en substance, les arrêtés qui promulguent les CCT ont le même statut que les autres, et doivent donc dela même façon respecter la répartition des compétences. «Seul les Régions et les Communautés sont compétentes pour donner force obligatoire auxconventions collectives de travail qui touchent leurs matières», conclut la haute juridiction dans son arrêt 31/500/1 d’avril dernier. Elle ajoute même
> que l’exercice d’une compétence par une entité fédérée exclut que le fédéral exerce la même compétence,
> mais que Régions et Communautés doivent se doter de décrets ou ordonnances qui donnent une base légale à cette promulgation (ce que faisait justement laFlandre en soumettant son avant-projet de décret),
> et que les modalités d’organisation de la concertation restent de toute façon entièrement du ressort du fédéral (y compris le fait que ce sont les partenairessociaux qui décident de demander ou non la promulgation au «Roi»).
Les partenaires sociaux flamands (le SERV, le Conseil économique et social flamand) avaient eux aussi remis un avis: quasi unanime sur le principe, mais très mitigé sur lafaisabilité, surtout sur le banc syndical. Le SERV avait aussi suscité une prise de position du Conseil national du travail: ses conclusions sont pratiquement inverses de celles duConseil d’État, à savoir qu’il existe déjà des formes plus ou moins poussées de régionalisation de la concertation sociale (transports publics, non marchand,etc.), et que pour qu’une entité fédérée puisse y donner force obligatoire, il faudrait amender la loi spéciale de 88 définissant les compétencesrégionales et communautaires…, une des pierres d’angle de notre fédéralisme.
Double promulgation?
Sur ces entrefaites, les états-majors des organisations patronales et syndicales (ledit «Groupe des dix») se voyaient informellement fin juin avec les différents ministresde l’Emploi du pays. Rien de précis n’a filtré de leurs échanges, mais il est vraisemblable que c’est là que s’est dessinée la décision politiquecoulée dans l’avant-projet d’accord de coopération du 20 septembre.
Les gouvernements fédéral, communautaires et régionaux y stipulent que «les autorités fédérées compétentes rendent obligatoires lesdispositions des conventions collectives de travail (…) qui concernent des matières régionales ou communautaires, si elles l’estiment nécessaires.»
À peine la ministre Onkelinx3ýavait-elle publié son communiqué annonçant cet accord en insistant sur le fait qu’il ne change rien aux prérogatives dufédéral, le ministre Landuyt lâchait un contre-communiqué virulent contestant cette interprétation. Pour lui, l’accord reconnaît à la Flandre laprérogative exclusive de promulguer les CCT dans les matières communautaires et régionales.
Il y a donc un malentendu manifeste sur la formule de l’accord «Sans préjudice de l’application de l’article 28 de la loi du 5 décembre 1968 qui donne pouvoir au Roi de rendreobligatoires les conventions collectives de travail». «Le Roi», comme terme de droit administratif, signifie-t-il «l’exécutif compétent» –c’est-à-dire les Communautés et les Régions pour les matières qui les concernent, comme l’indique le Conseil d’État? –, ou plutôt le gouvernementfédéral au sens strict?
ûoujours dans l’après-midi du 20 septembre, un communiqué de Jean-Claude Van Cauwenberghe en rajoutait une couche. Le premier wallon se réjouit de l’accord etprécise qu’il ne souhaite pas, par souci de simplification administrative, que le gouvernement wallon use de cette nouvelle prérogative de «double validation».
La polémique est de fait bien plus que sémantique. On peut surtout en conclure à l’heure qu’il est qu’elle tend à donner crédit aux différentes mises engarde sur la portée comme sur la faisabilité des «CCT flamandes». On relèvera entre autres:
> le fait que, suivant les termes de l’accord, les fonds de sécurité d’existence restent explicitement et intégralement du ressort du fédéral, alors que ce sonteux qui financent, voire mettent en œuvre les initiatives sectorielles en matière de formation professionnelle, que la CCT qui organise ces formations soit «régionale»ou «fédérale»;
> les risques de complexification de l’environnement réglementaire auxquels sont confrontées les entreprises si l’interprétation de la «double validation»prévaut;
> et l’épineuse question de Bruxelles, où en matière de formation en particulier, il pourrait devenir pratiquement impossible de savoir à quelle norme se rapporter.
Quel agenda?
Il reste aussi à comprendre plus clairement du côté francophone du pays pourquoi ce dossier revêt une telle importance politique en Flandre. Surtout si effectivement desformes de régionalisation plus poussée de la concertation sociale sont déjà possibles à cadre institutionnel inchangé. Certes des questions symboliques sonten jeu, et les régions affichent de façon générale une volonté de développer leur propre «modèle social», mais les observateurs que nousavons pu contacter pointent au moins deux hypothèses complémentaires à moyen terme.
> Les régions ont pris depuis une dizaine d’annéeS l’habitude d’adopter des déclarations et des plans d’action tripartites, avec les partenaires sociaux. Les mettre enœuvre au moyen
de CCT régionales permettraient de donner plus de légitimité et plus d’efficacité à ce type de démarches.
> Le fait que le ministre Landuyt évoque la garde des enfants dans sa communication n’est sans doute pas anodin. En effet, le Fesc, le Fonds (fédéral) des équipementset services collectifs, a vu son financement bloqué il y a quelques années, aussi pour des questions à caractère communautaire. Or, les prélèvements sur lamasse salariale qui le financent ne relèvent pas à proprement parler de la Sécu (ils y sont «assimilés»). La gestion paritaire du Fesc en matière degarde d’enfants pourrait donc être, à la suite de l’accord de coopération du 20 septembre, organisée sur la base communautaire. Une possibilité à mettre enparallèle avec le fait que nombre de responsables flamands penchent pour une organisation mieux coordonnée et mieux financée – Communauté flamande plusprélèvements obligatoires sur les salaires des travailleurs flamands – de l’accueil de l’enfance et verraient bien la Flandre se retirer du Fesc? Si cette hypothèse sevérifiait et que l’interprétation de l’accord prônée par la Flandre prévalait, le fédéral n’aurait pas les moyens juridiques de s’opposer à untel projet.
De quoi remettre de l’eau au moulin des syndicats et de tous ceux qui craignent que les «CCT flamandes» deviennent un cheval de Troie pour une régionalisation de laSécurité sociale et pour une dualisation de la formation des salaires? Prochain round lors de la négociation finale – toute proche – du nouvel accordinterprofessionnel.
1 Cabinet du ministre de l’Emploi et du Tourisme: rue Marché-aux-Charbons 35 à 1000 Bruxelles, tél.: 02 553 25 11, fax: 02 553 25 05.
2 Voir sur le site Web du Parlement flamand: http://www.vlaamsparlement.be/p3app/jsppages/ queryDetail.jsp?pQueryId=2036
3 Cab.: rue du Commerce 78-80 à 1040 Bruxelles, tél.: 02 233 51 11, fax: 02 233 44 88.

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