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Regard critique · Justice sociale

Des familles accueillent pour un séjour limité des enfants en situation de danger dans leur propre famille. Une solution temporaire – gérée par l’AFU pour «accueil familial d’urgence» – avant de trouver une solution à plus long terme pour l’enfant.

Isabelle ouvre la porte de sa maison avec un grand sourire. «Bienvenue Tom (nom d’emprunt)», lance-t-elle en conduisant le petit garçon, son sac Spiderman bien vissé sur le dos, dans la salle à manger. Elle l’installe à la table et lui sert des fraises qu’il mange avec appétit tout en réclamant la balançoire qu’il a directement repérée. «On ira juste après», lui explique-t-elle de sa voix douce. Elle doit d’abord discuter avec Manon Boucq et Loredana Carru, les deux intervenantes familiales de l’AFU qui ont conduit Tom en famille d’accueil. Ce service – basé à Nivelles et La Louvière – a pour mission de trouver des familles pour une aide temporaire. L’accueil est mandaté obligatoirement par le service d’aide à la jeunesse, le service de protection judiciaire ou le tribunal de la jeunesse. L’objectif est de mettre à l’abri des enfants et nourrissons confrontés à une situation de danger et de crise dans leur propre famille – ou suite à une hospitalisation sociale –, le temps de permettre à l’autorité mandante (conseiller de l’aide à la jeunesse, directeur de l’aide à la jeunesse ou juge de la jeunesse) de faire la lumière sur la situation et d’envisager une solution pérenne. Quand on parle de crise, il peut s’agit de maltraitance de négligence, de problèmes psychologiques des parents… Chaque année, entre 150 et 200 enfants sont pris en charge par l’asbl. On compte environ 30 familles d’accueil par antenne alors que le service reçoit environ 500 demandes.

Tom, 5 ans, est arrivé quelques heures plus tôt dans leur bureau de La Louvière, après avoir déjà passé 45 jours dans une famille d’un autre service. Manon et Loredana ont pris le temps de lui expliquer où il allait poser ses valises pendant un gros mois et demi. À Isabelle, elles donnent des informations utiles sur l’enfant comme son alimentation, ses éventuels soucis de santé, un suivi médical et le jour de visite à sa maman, sa situation. Une petite demi-heure plus tard, elles laissent Tom dans sa nouvelle famille de transition.

Spécialistes des bébés

Isabelle et Xavier ont décidé de devenir famille d’accueil il y a dix ans, «moment où le dernier de leurs cinq enfants a quitté le domicile». «On avait du temps qui se libérait, c’était pratiquement une évidence de devenir une famille d’accueil, d’autant qu’on savait qu’il en manquait», explique Xavier, qui travaille par ailleurs dans le milieu de l’aide à la jeunesse.

Ils ne se lancent pas tout de suite dans l’accueil d’urgence. Plusieurs options s’offrent à l’époque au couple: l’accueil à long terme, ou à court terme, de trois, six ou neuf mois. Ils optent pour la deuxième. «On ne voulait pas devenir famille d’accueil à long terme pour garder du temps pour notre famille, et l’idée n’était pas de remplacer nos enfants par d’autres», soulignent-ils. Le couple entame une procédure de sélection, basée principalement sur leurs motivations et «relativement simple» dans leur souvenir et se lance dans l’aventure. Sept enfants ont séjourné dans leur grande maison de campagne, entre trois semaines et dix mois.

Une fois qu’on nous téléphone, on accueille déjà!

Après un déménagement à Marchiennes, Isabelle et Xavier décident de se tourner vers l’accueil d’urgence. La période durant laquelle l’enfant reste chez eux est de 45 jours. Les enfants qui arrivent dans leur maison ont entre 0 et 10 ans, une tranche d’âge que les familles d’accueil fixent elles-mêmes. Elles peuvent recevoir un appel à tout moment, mais sont libres d’accepter ou de refuser. En moyenne, Isabelle et Xavier accueillent trois enfants par an. Ils reçoivent un défraiement de 15 euros par jour, pour subvenir aux besoins des enfants en accueil. «On est les spécialistes des bébés», confient les parents d’accueil, qui, du haut de leurs 60 ans, gardent l’énergie de se lever la nuit pour calmer les pleurs des nourrissons.

«Faire de l’accueil, c’est rien», explique Isabelle, devant un Xavier plus dubitatif. «Le plus difficile, c’est pour la vie extérieure, aller voir des amis, prendre le train», poursuit-elle. Avec les années, ils ont développé un réseau: les crèches de la commune sont au courant qu’ils sont parents d’accueil, comme l’école, ce qui facilite l’arrivée des enfants en cours d’année. Les voisins et les amis donnent des jouets et des vêtements. La médecin de famille ne fait jamais payer les consultations pour l’enfant. Aussi, les intervenantes familiales sont présentes pour les familles. Elles leur rendent visite une fois par semaine et ont des contacts téléphoniques réguliers.

Lourdeur institutionnelle

S’ils ont déjà pensé arrêter, ce n’est pas pour la charge que les enfants représentent. Mais à cause de la lourdeur et la lenteur institutionnelle. «Entre l’appel et l’arrivée, il peut s’écouler plusieurs jours. L’accueil précédent concernait une petite fille de 4 mois qui était à l’hôpital. Il a fallu cinq jours pour qu’elle arrive après avoir obtenu tous les accords. C’est énorme pour un nourrisson. Nous, nous étions prêts! Une fois qu’on nous téléphone, on accueille déjà», confie Isabelle. «Le Service et la famille d’accueil sont bien conscients que le temps de l’enfant et le temps des adultes sont différents, mais le système dans lequel ils interviennent peut être décalé de cette réalité», observent aussi les intervenantes familiales. Xavier et Isabelle n’hésitent pas non plus à «s’imposer face à l’institution» pour l’avenir de l’enfant. «On passe des coups de fil pour voir quelles solutions se dessinent après le séjour chez nous», poursuit Xavier.

«Les enfants oublient, Nous ne sommes qu’un passage pour eux.»

Récemment, le couple a découvert une nouvelle facette de l’accueil: l’apparentement. Deux enfants de passage chez eux sont partis vers une famille d’accueil à long terme. Pour faire connaissance au préalable, les familles ont passé du temps avec Xavier et Isabelle à leur domicile. «Dans le premier cas, le papa venait prendre un verre, discuter et observer le bébé, c’était sympa, explique Xavier. La deuxième expérience a été plus compliquée. La famille nombreuse venait toute la journée chez nous. Il a fallu s’adapter.» Et Isabelle d’ajouter: «Là, je me suis dit, on nous demande quand même des trucs pas banals…»

«Les départs ne sont jamais faciles», ils sont tous les deux d’accord. «On prend plus de recul avec le temps. On gère cela de façon plus professionnelle qu’avant. On est plus distant, même dans les mots», explique Isabelle, qui se souvient quand même avec émotion avoir souffert de la séparation d’un nouveau-né qu’elle portait sans discontinuer dans les bras. L’AFU préconise de ne pas poursuivre la relation avec l’enfant accueilli. «Une bonne chose», pour Isabelle et Xavier: «On ne peut pas accumuler. Et puis les enfants oublient. Nous ne sommes qu’un passage pour eux et nous espérons évidemment que l’enfant puisse retourner dans sa famille ou dans une famille d’accueil à long terme.» C’est aussi le retour en famille qui est privilégié par l’AFU. En moyenne, la moitié des enfants pris en charge sont réintégrés dans leur famille, proche ou élargie, après l’accueil d’urgence.

En savoir plus

«L’accueil familial d’urgence. Un soutien aux familles bousculées», Focales n°15, mai 2015, Pascale Meunier.

Manon Legrand

Manon Legrand

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