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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Existe-t-il des réfugiés européens ?

Les Roms ont peu d’espoir de voir leur demande d’asile reconnue quand ils viennent de l’UE. Des discriminations existent pourtant au sein de l’Europe.

25-09-2011 Alter Échos n° 323

Plusieurs familles tchèques et slovaques se trouvaient parmi les demandeurs d’asile qui ont dormi à la rue, faute de place d’accueil dans le réseau de Fedasil. Ces Roms sedisent victimes de violences dans leur pays. En tant que ressortissants de l’UE, leurs chances d’obtenir un statut de protection semblent toutefois bien maigres.

Pas plus tard que ce mardi matin, des familles roms ont été expulsées de la gare du Nord où elles avaient trouvé refuge faute de pouvoir être accueilliesdans le réseau de Fedasil. En juin dernier, une soixantaine de Roms de nationalité slovaque et tchèque se trouvait dans la même situation. Comme tant d’autres demandeursd’asile non désignés, ils s’étaient installés dans le parc Maximilien devant l’Office des étrangers, puis à la gare du Nord, avant de s’en faireexpulser. Aujourd’hui, ils vivent dans des conditions délétères dans un ancien studio de télévision de la chaîne AB3 à Ixelles. Un squat qu’ils devrontquitter d’ici à la fin du mois. « La plupart sont demandeurs d’asile. Ils racontent avoir subi des violences de la part de skinheads. Ils disent aussi qu’ils ne peuvent pas se plaindredans leur pays car la police, quand elle n’est pas complice, ne fait rien pour eux », explique Caroline Intrand, juriste au Ciré1. Tous ont étédéboutés !

Depuis l’entrée de la Tchéquie, de la Slovaquie, de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Hongrie dans l’Union européenne, pas un seul ressortissant de ces pays n’a obtenu lestatut de réfugié ni même celui de protection subsidiaire2. Seule une décision positive a été prise concernant un demandeur d’asile polonais en2004, date d’entrée de ce pays dans l’Union. Des chiffres interpellants, bien que les ressortissants européens ne constituent qu’une toute petite partie des demandeurs d’asile quifrappent à nos portes3. « Dans la pratique, la protection subsidiaire est plus facilement accordée à des extra-Européens. Beaucoup de Roms originairesd’États membres pourraient pourtant se prévaloir de cette protection étant donné les discriminations dont ils sont victimes chez eux », déclaraitl’avocate Drita Dushaj lors d’un colloque aux Facultés universitaires de Namur en avril dernier (lire Alter Echos n° 314 du 28 avril 2011 : « Ceci n’est pas un Rom discriminé »).

Un droit d’accueil très théorique

Comme n’importe quel étranger introduisant une demande d’asile sur notre territoire, les ressortissants européens ont théoriquement droit à une aide matérielleen vertu de la loi du 12 janvier 2007. En théorie seulement. « Le droit à l’accueil dépend du traitement réservé à la demande d’asile. Or celle-ci esttraitée en priorité en moins d’un mois au total par l’Office des étrangers et le CGRA [NDRL depuis juin 2007, une procédure d’asile accélérée aété mise en place pour les ressortissants européens, elle leur permet d’introduire un recours sur la forme mais plus sur le fond]. Et cela aboutit toujours à unedécision de non-prise en considération de la demande d’asile, ce qui met fin au droit à l’accueil », déclare-t-on chez Fedasil. Traduisez : vu que leursdossiers sont examinés rapidement et que l’on sait bien qu’ils seront de toute façon refoulés, c’est la dernière des priorités dans le contexte actuel de crised’accueil !

La discrimination continue

Faut-il conclure qu’il y aurait une certaine frilosité, pour ne pas dire une censure, devant l’idée d’accorder un statut de protection à un ressortissant d’unÉtat membre ? Tant au cabinet de Melchior Wathelet qu’au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), on insiste sur l’indépendance desinstitutions d’asile. « Le CGRA est indépendant de la prise de décision politique. Les dossiers sont traités au cas par cas. Et si des éléments suffisantspermettent de démontrer qu’un Roumain ou qu’un Bulgare est victime de persécution dans son pays, il n’y a aucune raison de ne pas lui accorder la protection », commenteDamien Dermaux, attaché de presse au CGRA. Et de suggérer que si aucun Rom européen n’a obtenu de protection, « c’est sans doute parce que ces pays on dû fournir uncertain nombre de garanties quant au respect des minorités pour intégrer l’Union européenne. »

Certes, les cas les plus extrêmes comme la stérilisation forcée de femmes roms tendent heureusement à disparaître. « Mais si les systèmes changent,les mentalités, elles, n’ont pas évolué », observe Caroline Intrand, du Ciré. Ce ne sont pas les rapports officiels sur le sujet qui manquent. Dans une analysepubliée le 15 septembre 2009 sur la République tchèque, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)4 s’inquiètede la montée des propos haineux contre les Roms dans les débats publics et de la multiplication des manifestations de groupes d’extrême droite. « Les manifestationsrépétées de groupes d’extrême droite ont conduit à une intensification des tensions, voire à des actes violents. L’ECRI est profondémentpréoccupée par l’attitude agressive envers les Roms affichée par un parti politique en particulier, qui soutiendrait des groupes néonazis dont les actes semblentviser délibérément à intimider la communauté », peut-on y lire. Plus récemment, en octobre 2010, Amnesty International publiait une analyse sur laviolation des droits fondamentaux des Roms en Europe5. Discrimination en matière de santé, d’emploi, de logement… l’analyse n’est pas piquée des vers !

Les familles qui ont été expulsées ce mardi de la gare du Nord ne sont pas les premières à venir grossir les rangs des demandeurs d’asile contraints de poserleur matelas devant l’Office des étrangers. Ni les dernières, on peut le craindre. Face à cette situation inquiétante, le Ciré en appelle non seulement à ceque des solutions soient recherchées au niveau belge, mais également à l’échelon européen, comme déclaré dans ce communiqué : « l’urgencede la situation de ces familles demande de sortir de l’ornière du bricolage à court terme. Elle demande un véritable courage politique. Celui d’agir concrètement auniveau belge. Celui de sommer les États membres de l’Union européenne (UE) de faire de même. Et celui de dénoncer les États européens qui laissentperdurer sur leur territoire des situations d’apartheid. »

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« La crise de l’accueil s’annonce pire cet hiver ! »

Les Irakiens du squat de Jette, les Afghans d’Ixelles, les Roumains de la gare du Nord, les Tchèques et les Slovaques du Polygone… Les histoires se répètent et seressemblent. Après une brève « accalmie », la crise de l’accueil semble repartie de plus belle. Depuis le début de l’année, près de 2 000demandeurs d’asile n’ont pas obtenu de place dans le réseau d’accueil de Fedasil. Auquel viennent s’ajouter, selon le Ciré, environ 150 personnes chaque semaine.

L’hiver passé, le secrétaire d’Etat à l’Intégration sociale, Philippe Courard (PS), avait pris une série de mesures pour calmer la situation. Du personnel aété engagé pour renforcer les instances d’asile et des places d’urgence ont été ouvertes dans des casernes aux quatre coins du pays. Ce qui a permis, grosso modo,de tenir jusqu’à la mi-avril. Ce 20 juillet, Philippe Courard a annoncé que ces mesures seront prolongées pour éviter un drame humanitaire alors que l’hiver approche.Seront-elles suffisantes, sachant par ailleurs que les demandes d’asile sont en augmentation par rapport à 2010 ? Pour la directrice adjointe du Ciré, la réponse estclairement négative. « La crise de cet hiver s’annonce pire que les précédentes », s’inquiète Malou Gay. Le personnel engagé dans les instances d’asiledoit permettre de gérer les nouvelles demandes, pas l’arriéré qui s’élève à presque 9 000 dossiers ! Quant aux casernes, le système amontré ses limites. Les 2 500 places d’urgence ouvertes jusqu’en 2011 devront finalement être maintenues jusqu’à la fin 2012. « Mais on ne peut pas ouvrir des centrestout le temps, ce n’est pas possible du point de vue de la gestion et des contacts humains », admet Johan Vandenbussche, chef de cabinet adjoint de Philippe Courard.

1. Ciré :
– adresse : rue du Vivier, 80/82 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 629 77 10
– courriel : cire@cire.be
– site : www.cire.be
2. Depuis 2000, trois décisions de reconnaissance du statut de réfugié ont été prises pour la Slovaquie (en 2003), deux pour la Bulgarie (en 2004), dix-neuf pour laRoumanie (dont la dernière en 2006).
3. Les Bulgares, les Hongrois, les Roumains, les Slovaques et les Tchèques représentent 241 demandes en 2010, 650 en 2009, 150 en 2008 et 652 en 2007.
4. Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, Council of Europe F-67075 Strasbourg Cedex
– tél. : 00 33 3 88 41 29 64 courriel : combat.racism@coe.int
– site : www.coe.int/ecri
5. Amnesty International :
– adresse : rue Berckmans, 9 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 538 81 77
– courriel : aibf@amnesty.be
– site : www.amnestyinternational.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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