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Enseignement : le spécial va rouler à l'ordinaire (et inversément)

Le gouvernement de la Communauté française va modifier les différentes législations qui organisent l’enseignement spécial1. Ces nouveautés sontle fruit d’une maturation longue qui a impliqué les différents acteurs concernés, elles devraient être effectives début 2009. Outre un renforcement important desmoyens accordés au spécial, le point fort de la réforme est la stimulation de l’intégration ou le maintien des élèves « à besoinsspécifiques » au sein de l’enseignement ordinaire. Tout en laissant à l’enseignement spécial un rôle pivot.

10-10-2008 Alter Échos n° 260

Le gouvernement de la Communauté française va modifier les différentes législations qui organisent l’enseignement spécial1. Ces nouveautés sontle fruit d’une maturation longue qui a impliqué les différents acteurs concernés, elles devraient être effectives début 2009. Outre un renforcement important desmoyens accordés au spécial, le point fort de la réforme est la stimulation de l’intégration ou le maintien des élèves « à besoinsspécifiques » au sein de l’enseignement ordinaire. Tout en laissant à l’enseignement spécial un rôle pivot.

Depuis 2004, le Conseil supérieur de l’enseignement spécial2 planche sur l’intégration des élèves relevant de cet enseignement spécifique ausein de l’enseignement ordinaire. Un groupe de travail ciblé sur la question, constitué de représentants des différents réseaux d’enseignement mais égalementde la Ligue des droits de l’enfant3 et de représentants de la plate-forme associative de parents d’enfants handicapés, a ainsi été constitué. En octobre2007, s’appuyant sur le travail de ce groupe, le Conseil a rendu public un rapport qui comprenait neuf propositions concrètes afin de radicalement favoriser cetteintégration4. On y proposait, en synthèse :
– un engagement politique fort qui se traduise par des modifications législatives (modification du décret sur l’enseignement spécialisé) ;
– un décloisonnement des structures et des acteurs (entre enseignement ordinaire et spécial, entre parents et professionnels, etc.) ;
– une attention nouvelle aux étudiants à besoins spécifiques au cours de la formation des enseignants, ainsi que dans l’exercice de l’enseignement maternel et celui dusupérieur ;
– la réalisation d’un vade-mecum à destination des intervenants, afin de leur donner des outils pratiques et concrets en vue de promouvoir effectivement l’intégration.
Ce rapport succinct, solidement ficelé et faisant l’objet d’un accord entre les acteurs, a très clairement été la base de la réflexion politique sur le sujet dansles mois qui ont suivi sa divulgation.

L’intégration : le cœur de la réforme

En février 2008, le cabinet de Marie Arena (PS), qui était alors la ministre en charge de l’Enseignement obligatoire en Communauté française, fait ainsi avaliser par legouvernement le principe de la mise en œuvre ultérieure de onze mesures « en faveur des enfants à besoins spécifiques ». Ce catalogue reprenait, dansles grandes lignes, les propositions du Conseil supérieur. Mais il ne s’agissait à ce stade que d’intentions, encore à traduire en dispositions légales. C’est ChristianDupont (PS)5, l’actuel ministre en charge de la compétence, qui s’est chargé de ce travail de transposition. Il a ainsi annoncé à la mi-septembre qu’il mettaiten discussion, sur la table du gouvernement, une série de modifications législatives et administratives en vue d’opérationnaliser les onze mesures annoncées par sonféminin prédécesseur…

« La volonté d’intégrer de plus en plus d’enfants et de jeunes à besoins spécifiques au sein de l’enseignement ordinaire est clairement une ligne de force denotre politique, explique Patrick Baufort, attaché au cabinet du ministre Dupont. » Ceci dit, même si la Communauté française semble relativement en retardà ce niveau, en comparant par exemple à la France ou à l’Italie, où des mesures drastiques d’intégration dans l’enseignement ordinaire ont été prises,il semble hors de question d’utiliser la contrainte chez nous. « Il n’y aura pas, en Communauté française, d’obligation d’accueil d’enfants à besoinsspécifiques au sein d’écoles ordinaires, confirme Patrick Baufort. Mais par contre, nous avons bel et bien voulu ouvrir les portes de l’intégration, la rendre réellementpossible dans le maximum de cas et supprimer les freins qui existent dans les législations actuelles. Ainsi, par exemple, nous allons supprimer l’obligation d’éducation physique pourles élèves qui sont inscrits dans l’enseignement spécial de type 5 (des enfants qui souffrent de maladies lourdes) et sont intégrés dans l’enseignement ordinaire.Plus fondamentalement, nous allons aussi modifier le décret « missions » afin que chaque école de l’enseignement ordinaire soit maintenant obligée de stipuler dans son projetd’établissement ce qu’elle fait afin de favoriser l’intégration des élèves à besoins spécifiques en son sein, qu’il s’agisse de choix pédagogiques oud’actions prioritaires. Toutes les écoles vont donc devoir, à tout le moins, réfléchir à la question de l’intégration, ce qui est un préalableà son effectivité. »

Ligne droite

Autre mesure confirmée dans les textes actuellement en discussion, la suppression de l’obligation de fréquentation effective de l’enseignement spécialisé en vue d’uneinscription dans celui-ci. Auparavant, un élève devait fréquenter physiquement une école spéciale pendant trois mois avant de pouvoir éventuellementêtre réintégré dans l’enseignement ordinaire et continuer à bénéficier du suivi du spécial. Dorénavant, ce ne sera plus le cas :l’élève restera dans son école ordinaire mais pourra être inscrit simultanément dans le spécial et bénéficier du soutien de ce dernier.Jean-François Delsarte, qui est Secrétaire général adjoint de la Fedefoc (la Fédération de l’enseignement fondamental catholique)6 et qui acoordonné le groupe de travail « intégration » au sein du Conseil supérieur de l’enseignement spécial, nous livre un exemple d’application de cettemesure précise : « Prenons un enfant autiste ou souffrant d’un trouble du comportement dans une classe ordinaire, en début d’enseignement primaire. L’instit’ aurait bienbesoin d’un soutien pour faire face à la situation et assurer au mieux la scolarité de l’ensemble la classe, y compris de cet enfant « spécial ». Nous connaissons par ailleurs lesbienfaits de poursuivre autant que possible la scolarité de cet enfant dans l’enseignement ordinaire. Auparavant, afin d’ouvrir l’accès à l’aide et à l’expertise del’enseignement spécial, l’enfant « à problèmes » aurait dû être scolarisé intégralement pendant au moins 3 mois dans une école spéciale,avec d’autres élèves en difficultés. Et ce, avant de pouvoir réintégrer, partiellement ou totalement, l’enseignement ordinaire. Un détour stupide…Avec la nouvelle législation, l’enfant pourra directement rester dans l’enseignement ordinaire pour sa scolarité effec
tive, tout en étant par ailleurs inscrit dans l’enseignementspécial et en pouvant ainsi bénéficier du suivi spécifique de cet enseignement. »

Par ailleurs, la Communauté va également augmenter son soutien à des pratiques d’intégration ou de maintien, au sein de classes de l’enseignement ordinaire, de groupesde sept ou huit élèves qui viennent du spécial ou qui allaient être orientés dans le spécial. Des expériences pilotes avec de telles classes« mixtes », dans lesquelles l’enseignant habituel est accompagné par un enseignant du spécial, existent depuis septembre 2007 dans l’enseignement primaire (voirAÉchos n° 248, « Faut-il supprimer l’enseignement de type 8 ?« ). On compte une dizaine d’expériences actives à l’heure actuelle. L’évaluation étantpositive et le coût pour la Communauté étant nul, ce projet sera étendu.

De son côté, comme prévu dans son propre avis de 2007, le Conseil supérieur de l’enseignement spécial travaille à un vade-mecum pour aider àl’intégration. L’outil s’adressera aux enseignants et aux parents. Il sera diffusé dans les prochains mois, en tout cas via le site enseignement.be7.

« Une deuxième vie pour le spécial »

« À première vue, pour les non-initiés, on pourrait croire que la promotion de l’intégration est quelque chose qui se fait « contre » l’enseignementspécial ou qui vise à le vider de sa substance. Mais ce n’est définitivement pas le cas, précise Jean-François Delsarte. J’ai même tendance à croireque c’est peut-être une nouvelle vie qui s’ouvre pour le spécial. Ce que le Conseil supérieur a surtout voulu promouvoir, c’est une sortie des logiques de « défense » desstructures et un décloisonnement. Mais concernant les élèves à besoins spécifiques, il est de toute façon clair que l’enseignement spécial est etrestera le partenaire privilégié, même si la scolarité se déroule de plus en plus au sein de l’enseignement ordinaire ». Le gouvernement a en effetprévu que les mesures de soutien à l’intégration ne s’activent qu’en cas d’inscription de l’élève dans le spécial et c’est bien l’enseignement spécialqui prodigue les aides spécifiques à l’élève « à problèmes », même si celui-ci poursuit sa scolarité dans l’enseignementordinaire.

Comme le souligne encore Patrick Baufort, du cabinet Dupont, « chaque intégration d’un élève à difficulté correspond à un projetspécifique où l’élève, les parents, l’école spéciale, l’école ordinaire et les PMS doivent s’entendre ; il n’y a pas d’intégration « sur mesure »et pas de parcours obligé. » L’expertise des professionnels de l’enseignement spécial étant bien entendu un éléments pivot de la construction de chacundes projets d’intégration.

La Communauté française n’a pas prévu, à ce stade, de budget spécifique pour promouvoir l’intégration. La mise en œuvre des mesures ne semble pasnécessiter de moyens structurels supplémentaires : les élèves intégrés auraient de toute façon été inscrits dans le spécialet auraient engendré des coûts à ce niveau. Une évaluation sera cependant opérée quelques mois après le début de la mise en œuvre, nefût-ce que pour mesurer les impacts quantitatifs des nouvelles mesures. Il n’est pas exclu de prime abord que les nouveautés engendrent un appel d’air.

Et en dehors de l’intégration…

Outre la promotion de l’intégration, le ministre souhaite aussi améliorer l’accueil au sein de l’enseignement spécialisé. Sont ainsi annoncés pour début2009 dans les écoles du spécial : 130 enseignants supplémentaires (une augmentation de 2 % du cadre pour toutes les écoles), ainsi que 43 éducateurs pour lespécialisé de type 3 (élèves atteints de troubles du comportement ou de la personnalité). Un effort équivalent à plus de 6 millions d’euros. PourClément Bauduin , secrétaire régional Namur de la CSC-Enseignement8, ces nouveaux moyens sont toujours bons à prendre « mais ils ne font que compenser unretard criant puisque, par exemple, la norme d’encadrement actuelle pour l’enseignement spécial est la même que dans l’enseignement ordinaire ; or vu le public visé, il estévident qu’il faut plus d’éducateurs pour les encadrer… De plus, nous demandons aussi une augmentation du cadre concernant le personnel paramédical, qui occupe unefonction stratégique dans le spécial et pour lesquels rien n’est prévu à ce stade. »

Le gouvernement prévoit aussi d’étendre le champ d’action de l’enseignement spécial puisque, dorénavant, les portes de celui-ci vont officiellement s’ouvrir auxélèves autistes, aux élèves souffrant de dysphasie et d’aphasie (troubles de la compréhension et/ou de l’expression, qui peuvent être aigus), ainsiqu’à ceux qui souffrent d’un polyhandicap (retard mental associé à un handicap moteur d’origine cérébrale). En fait, ce type d’élèves étaitbien souvent déjà accueilli dans le spécial mais « informellement », sans qu’il n’y ait une base légale pour le faire. Ce vide juridique vaêtre comblé.

Globalement, 2009 annonce donc le renforcement et le début d’une certaine mutation de l’enseignement spécial en Communauté française. Les textes actuellement sur latable du gouvernement sont en phase finale de négociation avec les pouvoirs organisateurs et les syndicats, au moment d’écrire ces lignes. De petits ajustements semblent encore devoirêtre effectués, notamment concernant les frais de déplacement des enseignants du spécial ; ces derniers seront amenés à travailler de plus en plus demanière décentralisée et donc à se déplacer, alors qu’aucun système de défraiement des déplacements n’est encore prévu…

1. Pour rappel, l’enseignement spécial organisé par la Communauté française est arbitrairement découpé en 8 types, censés couvrir tous les spectresdes élèves « à besoins spécifiques ». Il concerne ainsi, globalement : les élèves à déficience mentale (avec différentsdegrés de déficience), les élèves qui souffrent de troubles du comportement et de troubles de l’apprentissage, les élèves à la vue ou l’ouïedéficiente, les élèves qui souffrent de d’infirmité motrice cérébral
e ainsi que les élèves gravement malades ou en convalescence. Au total,32 000 enfants et jeunes sont inscrits dans cet enseignement en Communauté française.

2. Conseil supérieur de l’enseignement spécialisé :
– adresse : rue A. Lavallée, 1 (Bureau 2F244) à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 690 84 04
– courriel : cses@cfwb.be
3. La Ligue des droits de l’enfant :
– adresse : Hunderenveld, 705 à 1082 Bruxelles
– tél. : 02 465 98 92
– courriel : liguedroitsenfant@skynet.be
– site: www.ligue-enfants.be/
4. Avis n° 127 du Conseil supérieur de l’enseignement spécial sur l’intégration des élèves à besoins spécifiques.
Téléchargeable sur www.enseignement.be/index.php?page=24410&navi=1926
5. Cabinet de Christian Dupont, ministre de l’Enseignement obligatoire de la Communauté française :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 227 33 11
– courriel : christian.dupont@cfwb.be
– site : www.christiandupont.be
6. Fedefoc :
– adresse : av. Mounier, 100 à 1200 Bruxelles
– tél. : 02 256 71 26
– courriel : fedefoc@segec.be
– site : www.segec.be/FedEFoC
7. www.enseignement.be
8. CSC-Enseignement Namur :
– adresse : place l’Ilon, 17 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 40 15
– courriel : cbauduin@acv-csc.be

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