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Regard critique · Justice sociale

Enceintes et sans toit

À Bruxelles comme en Wallonie, on trouve parmi le public des structures d’hébergement des femmes enceintes ou venant tout juste d’accoucher. Qui sont-elles ? Quellesproblématiques rencontrent-elles ?

14-02-2010 Alter Échos n° 289

À Bruxelles comme en Wallonie, on trouve parmi le public des structures d’hébergement des femmes enceintes ou venant tout juste d’accoucher. Qui sont-elles ? Quellesproblématiques rencontrent-elles ? Petit tour d’horizon avec quelques acteurs de terrain.

Emmanuel Condé est en charge d’un projet de promotion de la santé au sein de l’asbl Comme chez Nous1, centre d’accueil de jour pour personnes sans-abri à Charleroi.Au cours des dernières années, il a été alerté par le nombre de femmes enceintes qui fréquentent le centre d’accueil : entre 15 et 19 cas sur unecentaine de femmes par an. De Charleroi, direction Bruxelles, à l’hôpital Saint-Pierre. Ici des femmes enceintes ou sur le point d’accoucher et sans logement arriventrégulièrement. Pas de chiffres précis, mais c’est de l’ordre d’une fois par semaine. Pour toutes ces femmes, le besoin premier, c’est évidemment de trouver un toit. Maisau-delà de cette demande à traiter en urgence, se posent les questions du suivi médical de la grossesse et de la relation mère-enfant qui s’installera aprèsl’accouchement.

De plus en plus de grossesses chez les ados

À Bruxelles, les femmes enceintes qui se retrouvent à la rue ont souvent été victimes d’un mariage qui tourne mal ou de violences intrafamiliales. Ou alors il s’agit defemmes sans-papiers ou avec des statuts administratifs très précaires. Les maisons d’accueil reçoivent notamment de plus en plus de demandes d’admission de la part de femmesarrivées récemment d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne pour des raisons économiques, de regroupement familial ou liées à des situations de guerre. «Nous recevons des appels des hôpitaux pour trouver un logement à ces femmes. Le problème c’est que le réseau est saturé, car les temps d’accueil sont de plus en pluslongs », explique Anne Devresse, directrice de la Maison rue Verte2.

Autre constat, l’augmentation du nombre de demandes d’admission dans les maisons d’accueil provenant de mineures enceintes. C’est le cas à Bruxelles comme en Wallonie. Pour AgnèsCrabbe, directrice de la maison d’accueil Chèvrefeuille3, cette augmentation s’expliquerait par une forte augmentation du nombre de grossesses chez les adolescentes. « Cesjeunes filles sont placées chez nous par le SAJ (Service d’aide à la jeunesse) ou le tribunal de la jeunesse, car elles ont des problèmes familiaux, explique Agnès Crabbe.Dans des cas plus rares, ce sont les parents qui font la démarche de nous les amener. Les jeunes filles se protègent moins qu’auparavant des MST et des grossesses : il y a eu unmoment une certaine phobie dans la population liée à la peur du sida. Mais cela a un peu disparu. »

Une urgence : trouver un toit !

Ina est actuellement logée à la Maison rue Verte, à Saint-Josse. Depuis sa grossesse, elle crapahute de structure d’accueil en logement précaire et inversement :« Quand j’étais enceinte, j’ai été au Casu [ndlr : Samu social] puis dans une maison d’accueil d’urgence. Tout un travail social a été mis en route pour quej’aie les papiers nécessaires pour pouvoir entrer dans un logement privé, car j’avais un droit de séjour provisoire. Après la naissance, j’ai habité quelques moisdans un appartement. Quand mon petit garçon a eu trois, quatre mois, je me suis retrouvée à nouveau au Casu. Mais ce n’était pas équipé, je ne pouvais pasfacilement laver mon bébé, je ne pouvais pas y rester durant la journée. » Sans parler des conditions d’hygiène peu acceptables pour un nourrisson. « Jepassais la journée chez des amis ou dans un snack. J’ai ensuite atterri chez Fedasil, puis chez une amie, avant d’arriver à la Maison rue Verte », raconte-t-elle.

Begoña Cainas et Anne-Cécile Noël, du service social de l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles s’emploient, au jour le jour, à trouver des solutions pourorienter ces femmes vers un hébergement. Les scénarios sont fonction des profils rencontrés. Mais quelles que soient les situations, le manque de logements, mêmetransitoires, est criant.

Quand les femmes ne sont pas en situation illégale, elles sont orientées vers les maisons d’accueil pour femmes. Mais le réseau est souvent saturé car les sorties sontde plus en plus difficiles, inaccessibilité du logement oblige. Les demandeuses d’asile avec des enfants sont orientées vers les centres fédéraux de Fedasil. Pleins, euxaussi. Actuellement, avec l’augmentation du nombre de demandes d’asile, des femmes sont logées avec leurs bébés dans des hôtels, dans des conditions de vie qu’ondevine pas évidentes surtout après un accouchement. Dans certains cas extrêmes, on a recours à des hospitalisations sociales. Quant aux patientes sans-papiers, elles vontséjourner chez des compatriotes, au Samu social ou encore au centre d’accueil d’urgence Ariane. Le couvent des Sœurs de Mère Thérésa, àSaint-Gilles, en accueille aussi quelques-unes. Mais il s’agit là de réponses précaires ou relevant de la charité, les solutions structurelles faisantdéfaut.

Dans tous les cas, c’est l’urgence du logement qui prend le pas sur la grossesse. Stéphanie, logée à la Maison rue Verte : « Quand on est enceinte etqu’on n’a pas de logement, on pense plus au logement qu’au bébé. On oublie qu’on est enceinte, le logement, ça nous travaille tout le temps. »

Le suivi médical de la grossesse

Les femmes enceintes qui fréquentent l’asbl Comme chez Nous cumulent souvent différents problèmes de santé : toxicomanie, handicap, mais surtout desproblèmes de santé mentale. « Ce sont souvent des grossesses à risque, explique Emmanuel Condé. Et la grossesse s’intègre naturellement dans leurmanière de vivre, qui ne change pas d’un iota. » Plus généralement, les problèmes touchant au suivi médical de la grossesse sont plutôtfinanciers. Agnès Crabbe : « La population en maison d’accueil a de plus en plus de problèmes de dettes, ce qui a des impacts sur les besoins primaires de logement,d’alimentation et de santé. Les femmes ont de plus en plus de difficultés à prendre en charge les frais médicaux et parfois ne se soignent pas. Cela pose aussiproblème pour l’achat du lait en poudre. Il y a un suivi médical des grossesses gratuit via les consultations ONE et l’on pousse vers un suivi en maison médicale. Sinon,c’est souvent au coup par coup aux urgences et les problèmes ne sont traités qu’aux moments de crise. »

Si les modalités d’un suivi médical démocratique existent, inscrire ce suivi dans la durée relève parfois du parcours du combattant pour des raisonsadministratives. « Les femmes ont besoin d’un réquisitoire pour chacune des démarches médicales effectuées. Ici, on essaye
que les mamans gardent les liensavec les services médicaux qu’elles connaissaient auparavant. La difficulté, c’est que les CPAS ont souvent une convention avec un hôpital et l’octroi d’unsoutien financier pour les frais médicaux empêche le choix des intervenants », précise Anne Devresse. Et c’est la même chose pour les pharmacies,conventionnées elles aussi. « Pour les médicaments, comme pour le lait, les femmes doivent souvent courir jusqu’à leur ancien domicile, or tout le monde sait combien lesdéplacements sont parfois difficiles avec un bébé… »

Les débuts parfois chaotiques d’une relation mère-enfant

Favoriser le développement d’une relation épanouie entre une mère et son enfant dans un contexte de grande précarité, l’enjeu est de taille.C’est une des vocations des centres d’hébergement de type familial. « L’objectif pour nous est que les femmes enceintes aient un endroit à elles où ellessont en paix, afin qu’elles puissent se consacrer à l’arrivée de leur bébé. Le temps de séjour prévu est suspendu pendant trois mois, c’estune parenthèse avec le bébé après la naissance, pour prendre le temps de se connaître, commente Anne Devresse. Autour de l’accouchement, on essaye de limiter lestress lié au fait qu’elles n’ont pas de logement durable. On a aussi une crèche qui permet de prendre le temps de faire toutes les démarches nécessaires. »

« Le lien mère-enfant, c’est une question d’autant plus inquiétante que la grossesse se termine la plupart du temps par une séparation, pour une protection de l’enfant,ce qui augmente encore la souffrance affective de ces femmes », s’inquiète Emmanuel Condé. 60 % des femmes qui passent par l’asbl Comme chez Nous ont un enfantet, parmi elles, 80 % ont un enfant placé. « Or cette séparation a des impacts importants et est un facteur déterminant au niveau de la sortie ou au contraire del’enfoncement dans la précarité. »

Difficultés à prendre en charge leur quotidien ou difficultés dans leurs relations avec leur enfant… Pour Emmanuel Condé, les problèmes de santémentale des femmes qui fréquentent les structures d’hébergement sont préoccupants. Même s’ils sont loin d’être systématiques. AgnèsCrabbe relève d’ailleurs un déficit dans les possibilités de suivi à domicile après la sortie des maisons d’accueil. « Il manque un suivi beaucoupplus solide à domicile, un suivi quasi quotidien… Mais il n’y a pas de solution pour cela. Il existe bien des appartements thérapeutiques, mais il y en a beaucoup trop peu. Or,parfois, se cumulent des problématiques de logement, administratives, psychiques et de relations mère-enfant… »

1. Comme chez Nous asbl :
– adresse : rue Léopold, 36 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 30 23 69.
2. Maison rue Verte asbl :
– adresse : rue verte, 42 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 223 56 47.
3. Chèvrefeuille asbl :
– adresse : rue Lesbroussart, 104 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 648 17 78.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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