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Regard critique · Justice sociale

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Diminuer la vulnérabilité des femmes sans-abri

Face au sentiment d’insécurité, les femmes sans-abri sont souvent identifiées comme des personnes faibles. Quelles pistes pour contrer cette vulnérabilité et les sentiments mêlés qui en découlent ?

12-10-2012 Alter Échos n° 347

Face au sentiment d’insécurité, les femmes sans-abri sont souvent identifiées comme des personnes faibles. Existe-il des pistes pour contrer cette vulnérabilité et les sentiments mêlés qui en découlent ?

Jeudi, 15h, à « Fleur du bien », un local réservé aux femmes sans-abri à Charleroi. « Lorsqu’on vit dans la rue, on se sent humilié partout, à la gare, dans les magasins. On se sent tellement petit. On n’ose plus rien faire, on a l’impression qu’il est marqué sur le front qu’on est brisée en mille morceaux », témoigne Nathalie, la quarantaine. Elle fait partie de « Fleur du bien », un projet mis en place par l’asbl « Comme chez Nous »1, pour la promotion de la santé. L’objectif de ce projet : réaliser des activités en laissant de côté les problèmes.

Nathalie est arrivée ici en 2009, conduite par un éducateur de rue. Comme la plupart des femmes en rue, son passé est douloureux. Enfants placés en institution, pas de formation, relation amoureuse instable et parfois violente. En participant à ce groupe, elle a mis fin à la vie solitaire en rue. « On fait des bricolage. Cette fleur de lotus en papier, par exemple, on l’a faite ensemble. Je retrouve de la chaleur humaine ici », explique-t-elle. De fait, sous l’apparence d’activités anodines, la peinture, la cuisine ou encore la coiffure valorisent les compétences de ces femmes. Cette approche active se distingue de celle habituelle qui consiste à raconter ses problèmes.

D’une certaine manière, « Fleur du bien » aide la femme sans-abri à prendre conscience de cette fragilité pour mieux la combattre, comme l’exprime Emmanuel Conde, responsable du projet et exception masculine au groupe féminin. « Les femmes en rue ont parfois un logement mais il souvent insalubre ou d’urgence, précise-t-il. Elle sont vulnérables sous différentes formes. Elles sont honteuses de leur situation et se referment sur elles mêmes en rejetant toute forme d’aide, que ce soit un abri de nuit ou l’intervention d’un éducateur de rue. Aussi, elles s’accrochent à quelque chose qui les rend plus vulnérables. Elles se rendent dépendantes d’un homme, des enfants en institutions, du CPAS. »

Dernier point souligné par notre interlocuteur, un peu plus délicat car sans étude à l’appui : la santé mentale. De très nombreuses femmes à la rue souffrent de symptômes psychiatriques (angoisses, immaturité, etc.) et manquent de bon sens. En plus de valoriser, les activités mises en place à « Fleur du bien » tendent dès lors à dépasser le rôle de victimisation endossés généralement par les femmes. « Karine, une ancienne participante, se plaignait à chaque réunion, raconte Edwige, bénévole. Elle racontait qu’elle se faisait agresser tous les jours. Lors d’une activité, le déclic s’est fait. Le lendemain, après s’être relookée, elle nous a expliqué que dorénavant elle répondait droit dans les yeux aux garçons qui l’ennuieraient. » Ce changement personnel, bien que d’une rapidité peu fréquente, encourage les autres participantes à bouger. En effet, la dynamique fondatrice du projet repose sur l’autogestion. Les bénévoles et le responsable ne sont là que pour donner l’impulsion.

Présente depuis deux ans, Maryline constate son évolution personnelle : « En venant ici, j’ai retrouvé confiance en moi grâce aux autres. Je suis au CPAS et je n’ai jamais travaillé. Aujourd’hui, je vais commencer une formation. Je veux avoir ma place sociale, que mes enfants soient fiers de moi ». Ainsi, pour Maryline mais aussi pour les autres participantes, la volonté de s’en sortir dépasse le simple volet de la sécurité financière et vient surtout du besoin de reconnaissance.

L’écoute avant un logement statutaire

Face au sentiment de précarité, les femmes sans-abri sont généralement plus touchées par le regard de la société que les hommes. Selon Laurent Demoulin, directeur de l’asbl Diogènes2, « elles se sentent plus honteuses de leur situation avec une société qui exige toujours plus d’elles, on leur demande de gérer à tous les niveaux ». Par ailleurs, cette souffrance est d’autant plus importante qu’elle n’est pas neuve. « Beaucoup de femmes ont connu la maltraitance, l’alcool intergénérationnel, l’abus sexuel au cours de leur enfance. Elles éprouvent davantage de difficultés à s’en sortir », reprend-il. Dès lors, les professionnels sociaux miseront sur l’écoute pour entrer en contact avec ces femmes fragiles.

De l’écoute découle un dialogue entre pairs, différent de celui qui peut exister entre professionnel et personne en difficulté. Dans une optique relationnelle, Laurent Demoulin tente de débloquer le cercle vicieux de la vulnérabilité: « La femme sans-abri est seule, n’a pas envie de s’en sortir. En parlant avec elle, on apprend à la connaitre, ce qui va nous permettre d’ouvrir un futur avec elle. » Cette possibilité d’avenir se conçoit dans un réseau social : renouer le contact tant avec la famille ou les amis qu’avec une psychologue ou le CPAS. Une approche qui veut ainsi stimuler « le désir » avec le soutien d’autrui.

Plus la relation s’approfondit, plus elle permet d’adapter l’offre de logement. « Et pour la femme, la première demande cache souvent le vrai problème, précise Laurent Vanhoorebeke, directeur de Strada3, centre d’appui de sans-abri bruxellois. La demande d’un appartement au CPAS peut finalement déboucher sur un habitat solidaire. Plus qu’un toit, une dame peut avoir besoin de contacts. » Ainsi, une solution à la précarité féminine peut être trouvée dans la diversification de l’hébergement plutôt que dans la multiplication de l’offre de logement.

En fin de compte la solution principale pour diminuer la vulnérabilité de la femme sans-abri est à trouver du côté du lien social. L’offre d’un logement ne devient efficace que si elle est accompagnée d’un service social qui considère la femme pour ce qu’elle est. Par la suite, ce lien social pourra s’envisager sur le long terme pour éviter le retour à la rue et pour montrer que les compétences de chacune mènent à une réussite, quel que soit le but.

1. Comme chez nous :
– adresse : rue Léopold 36 C à 6000 Charleroi
– tél.: 071 79 83 51
– courriel : manucccn@gmail.com
– site : http://www.cpascharleroi.be/cpascharleroi/bottinsocial/d409/Comme-chez-nous—le-rebond.html
2. Diogènes:
– adresse : place de Ninove, 10 à 1000 Bruxelles
– tél.: 0476 58 35 07
– courriel : asbldiogenesvzw@hotmail.com
– site : http://diogenes.wikeo.be
3. Strada :
– adresse : av. Louise 183 à 1050 Bruxelles
– tél.: 02 880 86 89
– courriel : lvanhoorebeke@lastrada.irisnet.be
– site : http://www.lstb.be

Sophie Lapy

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