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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Des toilettes genrées aux WC mixtes, il n’y a qu’un pot

À l’école, les toilettes genrées restent la norme, mais, selon plusieurs acteurs de l’enseignement, outre que la mixité pourrait rendre ces lieux d’aisance plus accueillants, elle pourrait surtout limiter les constructions genrées, voire le harcèlement au petit coin.

Marie-Flore Pirmez 23-10-2023 Alter Échos n° 513
(c) CC0 Public Domain

En Belgique, plusieurs établissements scolaires se penchent concrètement sur la question de la mixité. C’est le cas de K’do, une école primaire anversoise à orientation artistique qui s’attache à déconstruire les stéréotypes de genre. «Dès le plus jeune âge, en fonction de leur genre, les enfants savent quel comportement est attendu d’eux, explique la directrice Sharon Kleynnaert. Qu’ils s’y conforment ou se rebellent, nous souhaitons qu’ils bénéficient tous d’une éducation sensible à cette question.»

En 2018, l’installation de toilettes neutres dans cette école d’Anvers avait trouvé écho jusque dans la presse francophone. Et pour cause, depuis plusieurs années, le sujet du genre au petit coin reste sujet à débat. Les statistiques manquent, mais, d’après l’ensemble des personnes interrogées pour cet article, les espaces sanitaires des écoles belges sont quasiment tous non mixtes. Les opinions sur une ouverture à la mixité, quant à elles, divergent.

Pour le président de la Ligue des droits de l’enfant, Jean-Pierre Coenen, qui s’exprimait ouvertement sur le sujet début 2023 dans une interview accordée à La Dernière Heure, «le droit fondamental à l’inclusion scolaire implique également d’équiper toutes les écoles de toilettes dégenrées. En d’autres termes, des toilettes ni pour filles ni pour garçons, mais des toilettes neutres pour que chacun puisse choisir». Au sein des écoles, certains acteurs se montrent ouverts à la proposition de mixité des toilettes, mais d’autres tendances se font également entendre. En plus de résonner avec l’actualité liée à l’EVRAS, plusieurs discours caducs prouvent que la distinction entre identité de genre et orientation sexuelle est encore floue au sein des directions. Des discours comme «l’éducation au genre n’est pas du ressort des écoles«, «l’institution scolaire accueille désormais tout le monde, hétérosexuels comme homosexuels, donc pas besoin de toilettes mixtes» ou encore «le genre des toilettes n’est absolument pas une préoccupation des élèves, des parents ou du corps enseignant». «Ce sont des propos que tiennent certains directeurs d’établissements scolaires, mais force est de constater que c’est faux, car, depuis le lancement des appels à projets du Fonds BYX, nous avons reçu une petite dizaine de projets d’écoles qui souhaitent implanter des WC mixtes ou qui tout du moins s’interrogent sur ce sujet», observe Yves Dario, secrétaire du Fonds BYX.

Au sein des écoles, certains acteurs se montrent ouverts à la proposition de mixité des toilettes, mais d’autres tendances se font également entendre. En plus de résonner avec l’actualité liée à l’EVRAS, plusieurs discours caducs prouvent que la distinction entre identité de genre et orientation sexuelle est encore floue au sein des directions.

Depuis 2015, ce fonds géré par la Fondation Roi Baudouin est notamment à l’initiative du programme de promotion de la santé à l’école «Ne tournons pas autour du pot!». Via des appels à projets, les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui souhaitent réhabiliter leurs sanitaires peuvent bénéficier d’un subside allant jusqu’à 5.000 euros. «Le constat était sans appel: les toilettes sont une des premières préoccupations au sein des écoles, poursuit Yves Dario. Ensemble, nous travaillons à la fois sur l’infrastructure et l’aspect logistique de leurs sanitaires, mais aussi sur des dimensions de sensibilisation pédagogique, comme le tabou lié aux règles à l’école, la durabilité avec l’installation de toilettes sèches…»

De plus en plus de projets

Parmi les derniers projets déposés au Fonds BYX ayant soulevé la question de la mixité des toilettes, la section secondaire de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles a pour intention de dégenrer les toilettes de l’établissement. L’école spécialisée La Porte ouverte à Leuze-en-Hainaut souhaite implémenter un bloc sanitaire mixte. L’école fondamentale libre des Ursulines à Tournai a quant à elle déjà passé le cap. «L’an dernier, à la demande des élèves, nous avons installé un bloc sanitaire neutre au sein duquel chaque année à ses propres toilettes», explique Sandrine Delmarle, la directrice de l’établissement tournaisien. Toutefois, en juin dernier, certains élèves ont souhaité revenir sur leur décision, les toilettes étant plus sales qu’auparavant. C’est moins le prisme du genre que l’espoir de régler des problèmes de propreté qui a pesé dans la balance.

En Belgique, les infrastructures scolaires prévoient des recommandations concernant les sanitaires, même si celles-ci ne sont pas contraignantes: un WC pour 20 filles et un pour 30 garçons, un urinoir pour 20 garçons.

En province de Liège, à l’Institut d’enseignement secondaire Saint-Luc, le carrelage et les cuvettes des nouveaux WC neutres viennent tout juste d’être posés. Ils devraient ouvrir d’ici peu. Bien que l’école indique compter entre 5 et 10% d’élèves en recherche d’identité de genre, ce projet de toilettes neutres n’est pas non plus issu d’une préoccupation purement genrée. «Nous avons travaillé à rendre les toilettes des filles et des garçons plus accueillantes, mais l’ajout de ces trois toilettes mixtes près de l’accueil nous permettra surtout de fermer les WC filles et garçons pendant les heures de cours, car nous ne pouvons pas les surveiller tout le temps, précise la direction. Qui plus est, sur ces quinze dernières années, la population de l’école a grandi et le nombre de toilettes par nombre d’élèves était devenu insuffisant.»

En Belgique, les infrastructures scolaires prévoient des recommandations concernant les sanitaires, même si celles-ci ne sont pas contraignantes: un WC pour 20 filles et un pour 30 garçons, un urinoir pour 20 garçons.

Un lieu de mal-être

Nombreux sont les petits et les grands enfants qui pensent que les toilettes non mixtes assurent plus d’intimité. C’est un des nombreux codes genrés auquel le podcast Pause Pipi s’attaque. On y entend notamment la sociologue française Édith Maruéjouls ausculter une série de règles implicites engendrées par la non-mixité des sanitaires à l’école. Pour les garçons, au petit coin, il faut être visible et sonore, assumer une virilité factice en laissant des traces, sans parler de l’impératif à faire pipi debout et à utiliser l’urinoir. Chez les filles, à l’inverse, il s’agit de se rendre invisible, silencieuse, et de ne pas parler de ses règles.

«La question de la mixité aux toilettes est loin d’être anodine», affirme Daphné Renders, chargée de mission à la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO). En 2018, la FAPEO a d’ailleurs consacré une analyse complète à cet enjeu. «Implémenter des toilettes mixtes nécessite des aménagements parfois trop lourds pour les écoles les plus vétustes qui préfèrent d’abord rénover leurs blocs sanitaires. Il faut dire que beaucoup de toilettes sont dans un état lamentable.» Pendant la crise sanitaire, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avait dégagé une enveloppe de 10 millions d’euros de son fonds d’urgence pour financer des travaux de rénovation dans les toilettes des écoles.

Trop souvent déconsidérés des infrastructures d’une école, les sanitaires peuvent en outre devenir un lieu de mal-être, voire d’insécurité pour les élèves. La FAPEO, Édith Maruéjouls ou encore l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique (UFAPEC) le soulignent, c’est notamment aux toilettes que se déroulent harcèlement et humiliations. Dans son analyse «Toilettes scolaires insécurisées, est-ce une fatalité?» publiée en mai dernier, l’UFAPEC rapporte que les espaces des toilettes scolaires font l’objet de diverses formes de violences basées sur des rapports de domination: intimidations, moqueries, racket, harcèlement, espionnage par-dessous les portes… De surcroît, des WC genrés peuvent obliger les jeunes à s’inscrire dans une case à un âge où l’on ne sait pas toujours qui l’on est, observe Edith Maruéjouls dans son ouvrage Faire je(u) égal, Penser les espaces à l’école pour inclure tous les enfants. Selon elle, imaginer que la non-mixité règle ces problèmes est une erreur.

Trop souvent déconsidérés des infrastructures d’une école, les sanitaires peuvent en outre devenir un lieu de mal-être, voire d’insécurité pour les élèves.

Afin d’objectiver l’avis des écoles, des élèves et des parents concernant la mixité des toilettes scolaires, «Ne tournons pas autour du pot!» vient de clôturer une grande enquête d’opinion lancée pendant l’été. «L’enjeu est de savoir quels types d’écoles veulent réellement travailler sur la mixité de leurs toilettes, mais aussi quels sont les freins à ces changements», décrit Yves Dario. Parmi nos intervenants, plusieurs avancent également une proposition de grand remplacement des toilettes genrées par des WC neutres et pensés par âge pour réduire l’emprise des grands sur les plus petits. «Cela doit aller de pair avec l’installation de cloisons hautes qui ferment réellement pour assurer l’intimité de chacun, ajoute Daphné Renders. Lorsqu’on décide de dégenrer les sanitaires d’une école, il ne s’agit pas simplement de coller une étiquette neutre sur la porte. Il faut aussi mener un véritable travail de sensibilisation avec les élèves. Voire se pencher sur les autres espaces à dégenrer au sein de l’établissement. Mais plutôt que de séparer les enfants sur la base de leur sexe, pourquoi ne pas leur apprendre à vivre ensemble dans le respect de l’intimité des corps de chacun?»

Pause pipi, un podcast documentaire de Julie Auzou, produit par Arte Radio.
Faire je(u) égal, Penser les espaces à l’école pour inclure tous les enfants, Édith Maruéjouls, éditions Double Ponctuation.
Améliorer les toilettes à l’école, pour des toilettes accueillantes, Fonds BYX, en partenariat avec l’asbl Question Santé, paru aux éditions Chronique sociale.

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