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Regard critique · Justice sociale

Social

Dans la langue des moins nantis de Boitsfort

Le centre culturel de Watermael-Boitsfort prépare un spectacle avec les habitants les moins favorisés de la commune.

15-05-2011 Alter Échos n° 315

Fin mai, le centre culturel de Watermael-Boitsfort présentera un spectacle réalisé par les habitants les moins favorisés de la commune. Alter Echos s’estglissé en coulisses.

Un Roi Lion conte des histoires de gazelles à un lutin ébahi. Dans un coin de la scène, une fleur s’arrache les pétales en comptant : il m’aime, un peu,beaucoup… La belle plante porte une collerette réalisée avec des bouteilles récupérées par les bricoleurs de l’atelier costume. Embusquéederrière les rideaux, une participante du cours de photo immortalise l’instant.

Autour de deux pièces de Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été et La Tempête, les habitants réunis par La Vénerie1 ontrecréé un univers tout sauf classique. « Le théâtre professionnel a un côté carriériste. Ici, on est simplement dans l’échange.Dans les écoles d’art dramatique, les acteurs sont pré-formatés. La beauté d’un plateau comme celui-ci, c’est que chaque personne est unique, typique.C’est éclaté, mélangé, comme dans la vie », s’enthousiasme Raphaëlle Blancherie, la comédienne qui anime l’atelier.

Les projecteurs s’éteignent. Retour à la réalité. Deux acteurs discutent du prix des loyers. Un gsm sonne. On apprend qu’une participante, hospitalisée pour desproblèmes de santé mentale, ne pourra plus venir. Ses médecins l’interdisent. Faire du théâtre lui fait pourtant tellement de bien… « Quand on vientà l’atelier, on laisse son sac à dos avec ses problèmes à l’entrée. Le but c’est de prendre du plaisir sur scène, des’évader », résume Raphaëlle. Bien sûr, ce n’est pas toujours simple. « On a perdu plusieurs participants en route. Chaque semaine, on sedemande qui sera là. On travaille au coup par coup, sur base d’impro. Il s’agit de dégager, avec les énergies en présence, ce qui ressort de juste, dethéâtral, pour construire un spectacle. Sans savoir où on va. Mais ce côté incertain est aussi riche. »

Décloisonner, une utopie ?

Deux jours plus tard, à la maison de repos du CPAS de Boitsfort, nous surprenons un groupe de seniors en pleine répétition. Ce matin, ils récitent un chant.« Nos mémoires ne sont pas plus grosses que des petits pois », avoue Simone. Mais ici, personne ne se moque. On se trompe, on cafouille, toujours dans la bonne humeur etla confiance. « Avant on se croisait dans les couloirs sans vraiment se connaître. Aujourd’hui, on est amis. Après le spectacle, tout ça va beaucoup me manquer »,confie Jean-Baptiste.

Le home fait face à la Clairière, une école pour enfants souffrant de déficiences mentales. Seule une haie les sépare, mais les seniors et les jeunes ne serencontrent jamais. Un après-midi ensoleillé, Luc Bernard, le plasticien du projet, décide de s’installer dans le jardin mitoyen avec un groupe d’élèves.« On travaillait sur la gestuelle. C’est à ce moment que Claude est sortie de la séniorie. Claude ne parle pas, mais elle remplit des carnets entiers de notes. Un jeune,Hamza, l’a saluée avec un geste de jonquille noire. Un étrange dialogue s’est noué entre eux. Mon travail c’est de susciter des moments comme celui-là. Certainement pasd’apprendre aux enfants à faire de beaux dessins ! »

Le projet Shakespeare entend donner une place à des personnes qui, dans une commune aux allures bourgeoises, deviennent invisibles. Pour le responsable, Fabrice Vandersmissen, il importaitaussi de décloisonner les publics, de susciter des rencontres entre riches et pauvres, vieux et jeunes, valides et personnes dites handicapées. Fabrice a parfois déchanté.Après le week-end organisé fin février pour permettre aux participants des différents ateliers de se rencontrer, les abandons ont été nombreux.« Certains n’ont pas supporté l’effet miroir », suppose le coordinateur.

Le projet Shakespeare comporte certainement une part d’utopie. Mais on sent une confiance entre les participants, une tendresse des artistes envers les groupes qu’ils animent, qui rendent ceprojet plutôt attachant.

Spectacle le 21 mai à 16 h et le 22 mai à 19 h à l’Espace Delvaux, rue Gratès, 3 à 1170 Watermael-Boitsfort. Entréelibre.

1. La Vénerie, place Gilson :
– adresse : 3 à 1170 Bruxelles
– tél. : 02 660 49 60
– courriel : ateliers@lavenerie.be
– site : www.lavenerie.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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