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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

D’Everberg à Achêne, les nouvelles prisons pour jeunes

Les ministres Jo Vandeurzen, Catherine Fonck, Steven Vanackere et Bernd Gentges1 ont signé un protocole instituant les nouveaux centres fermés fédéraux pourmineurs délinquants. La croissance exponentielle du nombre de places fermées s’accompagne d’un renforcement des mesures de prévention, assure le politique.

14-11-2008 Alter Échos n° 262
Pexels, mar-newhall

Les ministres Jo Vandeurzen, Catherine Fonck, Steven Vanackere et Bernd Gentges1 ont signé un protocole instituant les nouveaux centres fermés fédéraux pour mineurs délinquants. La croissance exponentielle du nombre de places fermées s’accompagne d’un renforcement des mesures de prévention, assure le politique.

En préambule à la signature du Protocole, le ministre de la Justice, Jo Vandeurzen (CD&V), relate les événements du week-end des 26 et 27 avril derniers, lorsque le parquet de Bruxelles a dû « libérer plusieurs jeunes criminels, faute de places en centres fermés », dont un ado ayant provoqué des fractures chez une vieille dame suite à un arrachage de sac particulièrement brutal. Il égrène les meurtres surmédiatisés commis par des mineurs ces dernières années ainsi que les « affrontements de bandes de jeunes à Bruxelles ». « Les auteurs sont de plus en plus jeunes et la violence gratuite de plus en plus présente »,assène le ministre avant d’annoncer les nouvelles mesures pour en finir avec « le sentiment d’impunité ». Des moyens supplémentaires libérés par le gouvernement fédéral en juillet dernier vont permettre de construire ou d’aménager des centaines de nouvelles places pour enfermer les mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction, lorsque la mesure est requise par le juge de la jeunesse.

Ça commence par l’école buissonnière…

Que prévoit le Protocole ? La capacité du centre fédéral d’Everberg passera de 50 à 126 places et deviendra exclusivement néerlandophone alors qu’actuellement, il se répartit en 24 places pour les néerlandophones, 24 pour les francophones et 2 pour les germanophones. « Il est primordial de ne garder que les délinquants flamands à Everberg, non pas dans un but de ségrégation mais, tout simplement, pour améliorer la qualité des efforts pédagogiques en se concentrant sur une seule langue », justifie Steven Vanackere. Les délinquants francophones et germanophones seront logés dans un nouveau centre fermé basé à Achêne2, dans la province de Namur, disposant de 120 places. En attendant que le centre soit fonctionnel et qu’Everberg soit agrandi, les mineurs seront placés dans les prisons de Tongres (dans le Limbourg) pour les néerlandophones et de Saint-Hubert (province de Namur également) pour les francophones, permettant d’accueillir respectivement 34 et50 mineurs, après aménagements. Les travaux devraient être terminés d’ici l’été prochain. À l’horizon 2012, cela signifie qu’il y aura 160 places pour les néerlandophones (126 + 34) et 170 pour les francophones et les germanophones (120 + 50) en centres fédéraux fermés.

Si les ministres étaient fiers d’annoncer la concrétisation de ces nouveaux moyens répressifs, chacun a placé quelques mots sur « l’importance de la prévention » dans le dispositif, le ministre flamand soulignant, pour sa part, que les jeunes qui finissaient en centres fermés étaient le plus souvent des victimes avant de verser dans la délinquance. « La délinquance juvénile commence quand les parents renoncent à exercer leur autorité, quand les adolescents font l’école buissonnière, quand la violence s’invite dans les cours de récré, quand le chômage gagne du terrain… L’estompement de la norme progresse et la délinquance juvénile survient. Si nous devons agir en amont, pour la prévenir, une fois qu’elle est installée, nous n’avons d’autre choix que de sévir », a ajouté le ministre de la Justice. Une manière de répondre aux nombreuses critiques émises par les défenseurs des droits des jeunes,dont Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant3, qui a toujours contesté la valeur éducative de l’enfermement pour des jeunes délinquants.

Côté francophone, on a tenu à rassurer quant à l’aménagement de cellules pour mineurs d’âge à Saint-Hubert, dans ce qui est, à la base, une prison pour adultes – car contrairement à la prison de Tongres, désaffectée (mais reconvertie en musée, cf. encadré), celle de Saint-Hubert est toujours en activité. « Les pavillons 3 et 4 destinés aux mineurs seront clairement séparés de la prison, avec un encadrement spécifique. Adultes et jeunes ne se croiseront jamais », a précisé Catherine Fonck. Niveau budget, les infrastructures et les frais de fonctionnement seront à charge du fédéral, tandis que l’encadrement éducatif sera pris en charge par la Communauté française. Ce qui est loin d’être négligeable puisque, pour la seule structure de Saint-Hubert, l’encadrement prévu est de 118 équivalents temps plein, soit un investissement de près de cinq millions d’euros sur base annuelle… « Si l’on comptabilise toutes les places fermées pour mineurs délinquants, nous en sommes actuellement à 85. Avec la création d’une nouvelle section fermée de dix places à Wauthier-Braine en 2009, les nouveaux lits For K pour les mineurs délinquants souffrants de troubles psychiatriques à Liège et Tournai, et les places francophones en centres fermés fédéraux, nous atteindrons le chiffre de 240 places en 2012 », s’est félicitée la ministre. Soit un quasi triplement du nombre de places en quatre ans. Des chiffres qui ont valu un éditorial cinglant de la part de Benoît Van Keirsbilck dans la livraison de septembre du Journal du Droit des Jeunes,sous le titre « Record battu »4. « Le couple Fonck-Vandeurzen est en train de battre le record établi par Maréchal-Verwilgen, il y a à peine cinq ans, pour ce qui concerne la création de places fermées », note le rédacteur en chef de la revue, tout en rappelant que « l’on manque de moyens aujourd’hui pour mettre en place l’accompagnement éducatif intensif des mineurs au sein de leurs familles ou pour accorder une allocation correcte aux jeunes mis en autonomie». Gageons que, comme d’autres défenseurs des droits des jeunes et des acteurs de terrain, il aura l’occasion de s’exprimer et de débattre lors du colloque de deux jours sur la délinquance juvénile, prévu par le ministre de la Justice en mars 2009. Au menu des thématiques abordées : « les auteurs de plus en plus jeunes, la violence gratuite, la diversité culturelle, les multi-récidivistes et les mineurs souffrant de problèmes psychiatriques ». Avec de tels intitulés,sûr qu’il va y avoir matière à débattre !

Le musée de la prison de Tongres sacrifié

Une pétition en ligne sur le site de la Revue nouvelle, signée par Jean-Marc Mahy et Luc Vervaet, demandait que la prison-musée de Tongres soit conservée et développée en tant « qu’outil d’un réel projet pédagogique de prévention ». Il en sera autrement…

« C’est la seule prison ouverte au public et elle a accueilli jusqu’à présent près de 200 000 visiteurs, avancent les auteurs. Chaque cellule y est aménagée pour représenter une émotion : le temps qui passe, la frustration, la (l’in)justice. De nombreuses classes et associations ont pu y découvrir les différentes cellules, les douches, la promenade ou la surveillance et ainsi comprendre à quoi peut ressembler une vie en prison. Des ex-détenus y organisent des visites guidées pour des jeunes en difficulté. Avec des résultats remarquables. Une visite à la prison de Tongres vaut bien plus que tous les discours moralisateurs que l’on peut tenir à des jeunes. Ils sont confrontés à la réalité carcérale qui les séduit bien moins que les récits de fiction ou de copains qui »crânent » au sortir d’une expérience d’enfermement. Si les outils de sensibilisation disparaissent, le nombre de lits nécessaires pour les jeunes délinquants sera toujours insuffisant. Ce n’est pas en remplaçant la prison-musée de Tongres par un centre pour jeunes délinquants qu’on désengorgera les prisons pour adultes de demain. »

La suite sur : www.revuenouvelle.be

Des voyages pour (re)former la jeunesse

« La prévention est en amont de l’Aide à la jeunesse. La vraie prévention doit s’exercer en priorité pour réduire la précarité,se concentrer sur l’emploi et toutes les mesures qui peuvent soutenir les familles, augmenter la cohésion sociale, l’accès à l’hébergement, la formation pour tous », plaide la ministre francophone Catherine Fonck après avoir signé le Protocole sur les nouveaux centres fédéraux fermés. Elle rappelle que depuis le début de la législature, cinquante millions d’euros ont été investis dans l’Aide à la jeunesse et que les places supplémentaires ne sont qu’un maillon de la chaîne, quand il n’y a pas d’autre alternative que le placement pour remettre un jeune dans le droit chemin. « Mais nous développons des projets pilotes comme les séjours de rupture à l’étranger, lorsque les jeunes se montrent rétifs à toute forme de prise en charge ou de sanction et s’enfoncent dans la délinquance. Il s’agit de séjours de type humanitaire et décidés par le magistrat. Les jeunes partent au Maroc ou au Bénin pour travailler sur un projet bien précis. Nous avons les budgets pour en organiser une trentaine par an ». Les cinq premiers jeunes concernés par ces mesures viennent de partir.L’idée de ces séjours de rupture, qui n’ont rien à voir avec des « vacances », vient de la France qui les pratique avec succès. L’objectif est de faire en sorte que les jeunes rompent avec leurs repères quotidiens qui font le lit de la délinquance et leur permettent d’échapper au système éducatif. En clair, de briser le cercle vicieux de la petite criminalité avant qu’elle ne mène à la grande.

 

1. Respectivement, vice-premier ministre, ministre fédéral de la Justice et des Réformes institutionnelles ; ministre de la Santé, de l’Enfance et de l’Aide à la jeunesse pour le gouvernement de la Communauté française ; ministre flamand de la Santé publique, du Bien-être et de la Famille ; et vice-ministre-président de la Communauté germanophone, ministre de la Formation et de l’Emploi, des Affaires sociales et du Tourisme.

2. Un premier protocole d’accord avait été conclu le 27 avril 2007, prévoyant la création du centre fédéral fermé francophone à Florennes. Le terrain prévu a cet effet s’étant révélé inadapté à la construction, le centre sera finalement bâti à Achêne.
3. DGDE :
– adresse : rue des Poissonniers, 11-13, bte 5 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 36 99
– site : www.cfwb.be/dgde
4. Le Journal du droit des jeunes n°16, septembre 2008 – site : www.jdj.be

aurore_dhaeyer

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