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Regard critique · Justice sociale

Justice

Condamnés à la prudence

Pro Vélo propose des peines de travail pour les auteurs d’infractions routières. Ceux-ci accompagnent des vélo-éducateurs, en stage ou dans les écoles, et réapprennent avec les enfants les réflexes de l’usager doux.

© Flickr cc Tobi Gaulke

Pro Vélo propose des peines de travail pour les auteurs d’infractions routières. Ceux-ci accompagnent des vélo-éducateurs, en stage ou dans les écoles, et réapprennent avec les enfants les réflexes de l’usager doux.

Les enfants l’appellent «Casque gris». Un soir, il y a un peu plus d’un an, Jimmy 1 (23 ans) s’est cru le roi de la route. Il s’est pris trois poteaux, en voulant éviter un chat. Par chance, rien que des poteaux… «J’étais en état d’ébriété, bien au-dessus de la limite», confie-t-il. «Je suis là pour me racheter.» Sa peine, il la preste aux côtés des deux animateurs du stage «vélo et nature» organisé par l’ASBL Pro Vélo dans la province de Liège. Un peloton d’enfants s’apprête à redescendre la route du fort de Chaudfontaine. Jimmy enfourche son vélo et se positionne sur le côté du groupe, à la place de l’«électron libre». Pour lui, cette peine est une chance unique que lui a offerte la Justice: il étudie pour devenir éducateur. «Je suis tellement heureux de me lever chaque matin pour vivre cette expérience.»

«Nous avons lancé notre projet Justice en 2006», explique Françoise Picqué, responsable des mesures judiciaires chez Pro Vélo. «Nous voulions proposer une peine de travail spécifique pour les infractions de roulage.» Celles-ci concernent 40% des condamnés à des peines de travail. «Les prestataires accompagnent nos vélo-éducateurs pour des formations, en général avec des enfants.» Il s’agit le plus souvent d’animations avec des classes de 5e primaire qui passent leur «Brevet du cycliste».

Comment ça marche? Après une condamnation par un tribunal de police pour faute grave (excès de vitesse de plus de 40 km/heure, conduite en état d’ébriété…), le justiciable se voit proposer des «travaux d’intérêt général» à la place d’une amende ou, dans des cas exceptionnels, d’une peine de prison. Son dossier est alors transféré vers une maison de justice qui sera chargée du suivi. Le choix de la peine de travail se fait avec l’assistant de justice, parfois suivant la suggestion du magistrat. La personne condamnée est alors orientée vers un service d’encadrement des mesures judiciaires alternatives (SEMJA), qui travaille avec différents partenaires (hôpitaux, maisons de repos, associations…).

À la suite de son accident et d’un retrait de permis de 15 jours, Jimmy a été convoqué pour une médiation pénale. On lui a présenté les deux options: un procès ou 70 heures de travail. «J’étais totalement en tort, j’ai accepté directement la peine de travail», explique-t-il. «Avec un casier judiciaire, je pouvais oublier mes études d’éducateur.» Il est presque surpris de ce qui lui arrive. «On ne m’a pas pris de haut. On ne m’a pas regardé comme un criminel dangereux. On m’a donné une occasion d’acquérir une expérience professionnelle. Je me voyais déjà avec un gilet orange en train de ramasser les poubelles mais on m’a demandé quels étaient mes centres d’intérêt et mes disponibilités. Comme j’adore le sport et les activités avec les enfants, on a choisi Pro Vélo et on m’a bien précisé que ce stage pouvait être une expérience positive à mettre dans mon CV. Honnêtement, je me suis demandé si c’était vraiment une punition…»

Des conducteurs précarisés

Parfois considérée comme une aubaine par le condamné, la peine de travail n’en est pas moins contraignante et dissuasive. Surtout quand elle est directement en lien avec la nature de l’infraction, comme ici chez Pro Vélo. Pour Thomas Latin, le vélo-éducateur qui «encadre» Jimmy, c’est «bien plus constructif» qu’une sanction classique. «Donner des responsabilités est, pour moi, la meilleure façon de redonner confiance à la personne, de lui faire comprendre ses erreurs et de la faire avancer autrement dans la vie, tout en lui apprenant, dans notre cas, à prendre goût au vélo et à respecter les cyclistes.» Les «retours» des justiciables sont très souvent positifs, se réjouit d’ailleurs Françoise Picqué. «Certains montrent qu’ils ont bien compris le sens de la peine; d’autres disent simplement qu’ils retrouvé le plaisir du vélo. Il y en a même qui nous envoient leurs copains. Un prestataire nous a écrit: ‘Maintenant, quand je vois un cycliste, je souris’. C’est le sens de notre travail: redonner à chacun sa place dans l’espace public.»

Pour Arabelle Pavot, avocate au barreau de Namur, ce type de sanction s’impose pour certains publics. Elle a notamment tout son sens chez les jeunes, les personnes précarisées ou les récidivistes. «Dans un contexte de crise économique, une amende de roulage de 300 à 600 euros – et ça peut être beaucoup plus pour les récidives –, c’est énorme.» Il y a deux cas de figure fréquents: «Des gens qui paient par tranches de 50 euros par mois et pour qui l’impact de l’amende est alors peu visible» ou des personnes insolvables qui finissent par ne pas payer du tout. «Tant qu’à sanctionner, autant que ce soit utile. Cette peine aussi peut contribuer à resocialiser des personnes qui ne travaillent pas.» Retrouver un rythme, se sentir utile à la société, créer des liens: ce sont les objectifs affichés du ministère de la Justice. «Mais, nuance l’avocate, il faut reconnaître que c’est beaucoup plus coûteux pour l’État qu’une amende.»

Aujourd’hui, environ 10.000 peines de travail sont effectuées chaque année en Belgique. Soixante-six pour cent d’entre elles concernent des personnes âgées de 18 à 34 ans. Nonante pour cent sont des hommes 2. Pro Vélo encadre plus d’une centaine de peines par an, dans toutes les maisons des cyclistes de Bruxelles et de Wallonie. La plupart des justiciables sont jeunes. «Ce sont eux qui commettent le plus d’infractions de roulage mais aussi ceux qui sont le plus tentés par le vélo», explique Françoise Picqué. Ils viennent de tous les milieux.

«Cet accident, ça a été un déclic», conclut Jimmy, avant de démarrer. «Il était temps que je me reprenne. Ici, j’ai rencontré des gens formidables, j’ai découvert des lieux que je ne connaissais pas, j’ai appris des jeux à faire en forêt. Un jour, j’espère être éducateur et pouvoir parler à des jeunes de l’erreur que j’ai faite.» D’ici là, «Casque gris» compte bien poursuivre sa collaboration avec Pro Vélo. «Je vais proposer de revenir l’année prochaine comme volontaire.» Sans que la Justice ait à s’en mêler…

 

 

 

 

Aller plus loin

Alter Échos n° 375 du 13.09.2013: «Une autre justice est-elle possible?» (dossier)

Céline Gautier

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