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Enseignement

Classes passerelles : vers une révision du décret

La Communauté française organise des classes passerelles depuis huit ans pour les élèves primo-arrivants. Si le dispositif semble plus que jamais opportun, il resteinsuffisant et demanderait à être adapté aux réalités du jour.

09-10-2009 Alter Échos n° 282
© Flickr

La Communauté française organise des classes passerelles depuis huit ans pour les élèves primo-arrivants1. Elles sont censées offrir un enseignement renforcé en langue française afin de permettre aux élèves fraîchement débarqués en Belgique de poursuivre leur scolarité sous les meilleurs auspices. Si le dispositif semble plus que jamais opportun, il reste insuffisant et demanderait à être adapté aux réalités du jour.

Selon des chiffres publiés en 20072, à Bruxelles, 163 000 personnes ne parlent ni le français, ni le néerlandais à la maison. On connaît également les chiffres de l’analphabétisme – 10 % de la population en Communauté française. C’est dire si le besoin de renforcer l’apprentissage du français est une priorité scolaire, sinon la priorité.

« Comment voulez-vous que des enfants, même très intelligents, obtiennent de bons résultats en mathématiques ou en sciences s’ils ne comprennent pas correctement les énoncés ? Pour de nombreux élèves, la base de la réussite scolaire, quelles que soient les matières, passe par un apprentissage renforcé du français », explique Laurent Pierre, directeur de l’Institut Saint-Jean à Molenbeek3. Paroles d’un homme de terrain : voilà 32 ans qu’il a commencé dans cet établissement, d’abord comme professeur et depuis une quinzaine d’années comme directeur. « Le quartier dans lequel se trouve l’école a beaucoup évolué au fil des ans. À mes débuts, il y avait encore une certaine mixité sociale et culturelle. Peu à peu, ça s’est ghettoïsé. La plupart des habitants sont d’origine marocaine, et le pharmacien, le boulanger, le docteur, l’épicier sont également marocains, tout comme 85 % de mes élèves, jusqu’il y a quelques années ». Concrètement, cela signifie qu’enfants comme adultes ne pratiquent pas ou peu le français à la maison, pas plus que dans la rue. « J’ai donc eu l’idée de renforcer l’apprentissage du français à l’école en ajoutant quelques heures aux grilles horaires. Puis, j’ai ouvert deux classes pour 27 élèves primo-arrivants, avant même que le décret ne soit d’application.Certains d’entre eux ont terminé l’université aujourd’hui », explique le directeur avec la fierté du précurseur.

Des moyens insuffisants

Ce fameux décret du 14 juin 2001 pour « l’insertion des élèves primo-arrivants dans l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française » prévoit effectivement un soutien ciblé des élèves qui sont arrivés en Belgique depuis moins d’un an. Cet encadrement spécifique se fait dans des « classes passerelles » pour une période d’un an au maximum, avant que les élèves ne soient orientés vers un enseignement qui leur convienne. En Communauté française, on compte 28 établissements secondaires organisant une classe passerelle, 16 en Région bruxelloise, 12 en Wallonie et pour le primaire, les chiffres sont respectivement de 14 écoles en Région bruxelloise et 11 en Wallonie… ce qui est peu au regard de la demande. Une analyse partagée par le politique. « En Région wallonne, il y a très clairement un manque de classes passerelles. Selon les critères posés par le décret, les classes ont été organisées dans les établissements scolaires situés à proximité des centres Fedasil. Or les choses évoluent et ce critère, entre autres, a perdu de sa pertinence : Charleroi, Liège ou La Louvière ont une population importante de primo-arrivants sans pour autant avoir de centre Fedasil sur leur territoire », explique Baudouin Duelz, chef de cabinet adjoint chez Marie-Dominique Simonet (CDH), ministre de l’Enseignement en Communauté française.

Retour à Saint-Jean, à Molenbeek. Ici, la demande était telle que le directeur a organisé quatre classes pour les primo-arrivants en fonction de leur niveau de connaissance de la langue. Une de ces classes est réservée aux enfants non alphabétisés, c’est-à-dire ayant peu ou pas du tout été scolarisés dans leur pays d’origine. « Pour ces enfants, même s’ils ne sont que huit en classe, il est illusoire de penser qu’ils pourront réintégrer un cursus normal au bout d’une année. Les retards à rattraper sont beaucoup trop importants », explique Laurent Pierre.

Plutôt que de se résigner à voir ces gamins échouer faute d’une maîtrise correcte du français, le directeur a préféré contourner les règles d’un décret inabouti. Le décret prévoit 15 périodes de français sur une semaine ? Il augmente à 19 périodes et renforce également l’apprentissage du néerlandais. Impossible d’inscrire un enfant deux années de suite en passerelle ? Il propose des classes intermédiaires avec 10périodes de FLE (français langue étrangère) et regroupe les enfants selon leur niveau « afin d’homogénéiser et de rendre plus efficaces les apprentissages ».

Il exige aussi de tous ses professeurs, ceux d’histoire comme de mathématiques, qu’ils veillent particulièrement à la maîtrise de la langue par les élèves. La méthode fait ses preuves et transforme radicalement le profil de l’établissement. D’une école ghetto accueillant deux ou trois nationalités et soumise aux problèmes liés au communautarisme, Saint-Jean est devenue une école plurielle où les 450 élèves se répartissent en50 nationalités avec des taux de réussite honorables. « L’ambiance est beaucoup plus conviviale et les enfants ont le français comme langue commune.L’école, c’est le trait d’union de tous ces jeunes issus du monde entier. La moitié des élèves sont ou ont été primo-arrivants. »

Un décret obsolète

Mais ce genre d’accommodement avec les règles a ses limites. « L’idéal serait que ce décret soit revu de fond en comble, il ne correspond plus du tout à la réalité et se révèle injuste ». Inadapté et injuste ? C’est aussi l’avis de Bastian Petter, de l’AMO AtMOsphère, à Schaerbeek qui travaille beaucoup avec les primo-arrivants (voir encadré). « Outre qu’un an, c’est effectivement trop court comme délai pour permettre à des jeunes qui n’ont jamais été scolarisés de se raccrocher au système scolaire belge, la question de l’homologation des diplômes est aussi problématique. Le décret pr&eacute ;voit que les enfants demandeurs d’asile qui ne parviennent pas à fournir les preuves de leur niveau scolaire antérieur, peuvent faire évaluer leur niveau par le Conseil d’intégration élargi (CIE) et obtenir ainsi une «attestation d’admissibilité ». Cela leur permet de poursuivre des études en continuité du passé. En revanche, l’enfant de plus de 15 ans qui n’est pas demandeur d’asile et qui ne possède pas les preuves matérielles de son niveau scolaire antérieur – bulletins, diplômes – sera orienté directement en 3e professionnelle. Et tant pis s’il ambitionnait d’être chirurgien ou avocat ».

Incohérente également, la définition restrictive du primo-arrivant. « Une des conditions pour être considéré comme primo-arrivant, c’est de faire partie d’une liste de pays définie selon des critères économiques. C’est très compliqué d’expliquer à un petit Portugais qui vient d’arriver en Belgique qu’il n’a pas accès à la classe passerelle. Alors que le petit Angolais, qui ne parle que le portugais comme son camarade, y a droit. De la même façon, qu’une petite fille adoptée venue tout droit de Colombie ou de Chine, n’a pas accès à cette classe, contrairement au fils d’un émir du Qatar. La définition du primo-arrivant est obsolète et ne répond pas aux réalités de l’immigration actuellement », souligne Alain Clignet, coordinateur de la classe passerelle à Saint-Jean. Les enfants arrivés depuis plus d’un an en Belgique sont également exclus du comptage. Des insuffisances qui poussent les établissements scolaires à chercher des solutions ailleurs que dans la classe passerelle, via de la remédiation, du tutorat par les élèves plus âgés… quand ce n’est pas, plus dramatiquement, une orientation vers des structures d’enseignement spécial, essentiellement en type 84.

Des incohérences bien appréhendées au cabinet Simonet… d’autant plus que le chef de cabinet adjoint avait lui-même, au Segec, le Secrétariat général de l’enseignement catholique, participé à l’écriture du décret original sur les classes passerelles. « À l’époque de l’écriture de ce décret, la politique fédérale était plutôt restrictive en matière d’asile. Ce décret représentait donc une avancée formidable même si nous avions déjà attiré l’attention sur des points du décret qui nous paraissaient problématiques »,reconnaît Baudouin Duelz. « Aujourd’hui, il y a une volonté de revoir le texte, mais il ne faut pas tout attendre du politique. La classe passerelle ne peut, à elle seule, résoudre la problématique dans son ensemble. Je pense qu’il faut aussi valoriser les expériences de terrain qui ont montré leur pertinence,réaménager les choses de manière à les rendre plus efficaces. Aujourd’hui, les professeurs de français qui sortent de l’école sont d’office formés au FLE. Cette nouvelle génération d’enseignants devraient aussi apporter sa pierre à l’édifice. »

Personne n’ignore que l’heure est plus à l’austérité qu’aux dépenses. Pour renforcer l’encadrement des primo-arrivants, il faudra doncfaire preuve de (encore) pas mal d’imagination. Quelques pistes sont avancées par le cabinet comme le renforcement de la formation des professeurs pour faire face à ce public particulier, ou l’intégration de spécialistes en alphabétisation au sein de l’école. Le volet financier ne sera pas pour autant négligé à en croire le dernier communiqué du cabinet, envoyé aux rédactions le 8 octobre : « le gouvernement de la Communauté française a décidé desoutenir financièrement les classes passerelles dans l’enseignement fondamental et dans l’enseignement secondaire, pour l’année scolaire 2009-2010 ». Ce soutienpasse notamment pas le financement de classes passerelles dans une école primaire supplémentaire et une école secondaire supplémentaire, toutes deux en Régionwallonne. L’effort consenti pour l’organisation globale des classes passerelles représente un budget de plus de 3 millions d’euros pour l’année scolaire.

Et le cabinet de conclure : « Pour le futur, le gouvernement de la Communauté française présentera un projet de décret proposant des critères de sélection mieux adaptés aux réalités de terrain et une meilleure maîtrise en termes de programmation ».

Je suis ici

Vivre un exil, lorsque l’on est enfant, ce n’est pas anodin. Surtout lorsque l’exil est plus subi que choisi. Si les écoles doivent faire face à des difficultés d’apprentissage, elles sont loin d’être les seules : ces enfants présentent parfois des troubles psychologiques non négligeables, liés au refus d’apprendre la langue par exemple – quand l’enfant n’a pas accepté la migration imposée par ses parent – liées à la situation précaire sur le plan légal (sans-papiers) ou économique, lié au déracinement. Une réalité complexe qui interpelle logiquement les acteurs del’aide à la jeunesse. Depuis quelques années, l’AMO schaerbeekoise AtMOsphère5, en collaboration avec le CPC6, pilote un atelier vidéo destiné aux élèves de la classe passerelle de l’Athénée Victor Horta à Saint-Gilles. Quatre films ont déjà été réalisés, mais cette fois, l’œuvre collective sortira de sa confidentialité pour être relayée auprès du grand public7.

Les statistiques permettent d’analyser une situation de manière très pragmatique et comptable. Mais pour parler du vécu des enfants primo-arrivants, rien n’est plus « parlant » que de leur donner la parole. Ces enfants ne sont pas seulement élèves, ils sont aussi citoyens d’une ville sur laquelle ils portent un regard à la fois singulier et touchant. « La vidéo permet aux jeunes de parler, d’exprimer un vécu, de nous montrer comment ça se passe pour eux. Immigrer est une difficulté en soi », explique Bastian Petter, assistant social à AtMosphère. « Notre boulot, en AMO, c’est d’être au plus près de la réalité des jeunes. De leur permettre d’interpeller directement le politique sur ce qu’ils vivent. Ce n’est pas une question théorique : ces enfants parlent de leurs rêves, de comment ils voient leur avenir ici ». Le film, Je suis ici lève un petit coin de voile sur ces rêves et sur l’&eacu
te;nergie résolument positive que ces gamins mettent dans la construction de leur nouvelle vie « ici ». À voir.

1. Pour être considéré comme primo-arrivant, l’élève doit être âgé de 2,5 à 18 ans, être réfugié, apatride ouoriginaire d’un pays en voie de développement ou en transition et être arrivé en Belgique depuis moins d’un an au moment de l’entrée en classepasserelle.

2. Sources : Janssens Rudi, L’usage des langues à Bruxelles et la place du néerlandais, Brussels Studies n° 13, 2007.
3. Campus Saint-Jean Imelda :
– adresse : chaussée de Ninove, 136 à 1080 Molenbeek-Saint-Jean
– tél. : 02 412 04 80.
4. Voir à ce sujet l’article de Donat Carlier, Les classes-passerelles pour primo-arrivants : des besoins criants ! publié dans Alter Éduc, 28/04/2006.
5. AMO AtMOsphère :
– adresse : place de la Reine, 35 à 1030 Schaerbeek
– tél. : 02 218 87 88
– site : www.atmospheres-amo.be
6. Le Centre de promotion culturelle asbl :
– adresse : rue de la Poste, 111 à 1030 Schaerbeek
– tél. : 02 640 07 87
– site : www.lecpc.be
7. Le film – court métrage – sera projeté le 26 novembre au Centre culturel de Schaerbeek et sera suivi d’un débat sur la question des classes passerelles.Infos et réservations chez Atmosphère.

aurore_dhaeyer

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