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Regard critique · Justice sociale

Santé

Choix de l’accouchement: celles pour qui la question ne se pose pas

Chaque année, en Fédération Wallonie-Bruxelles, plus d’une centaine de femmes arrivent à l’hôpital pour accoucher sans jamais avoir consulté une seule fois un expert ou une sage-femme pour leur grossesse. Ces femmes ont deux fois plus de risques d’accoucher d’un enfant avec un faible poids de naissance ou d’un enfant prématuré. Des mamans à mille lieues de se demander si elles préfèrent un accouchement dans l’eau, sous hypnose ou à domicile.

«La question du choix de l’accouchement se pose assez peu chez les mères en situation de précarité. C’est surtout le suivi prénatal qui diffère, souvent irrégulier, parfois inexistant, il est à l’origine de complications.» Sylvie Anzalone, porte-parole de l’ONE, recentre le débat d’emblée. Chaque année, seulement 150 femmes donnent naissance à la maison ou en maison de naissance[1]. En effet, les accouchements à domicile nécessitent de remplir des conditions strictes, comme être en parfaite santé, avoir une grossesse sans complications, habiter près d’un hôpital et, tout bêtement, bénéficier d’un logement, salubre avec une baignoire. 8,8% des femmes enceintes en Fédération Wallonie-Bruxelles n’ont pas de couverture de santé. À quels choix les femmes enceintes ont-elles accès pour leur accouchement lorsqu’elles sont seules, sans revenus ou sans mutuelle?

L’ONE, un soutien face à la précarité

L’Office de la naissance et de l’enfance suit en moyenne une femme enceinte sur trois en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans la capitale, le chiffre est plus élevé qu’ailleurs puisqu’une femme sur deux est suivie par l’ONE. Doté d’une banque de données médico-sociale (BDMS), il récolte des informations précieuses sur le suivi préventif de la (future) mère et de l’enfant depuis quarante ans et met l’accent sur la précarité, puisqu’il s’agit d’une bonne partie de son public. «40% des femmes suivies par l’ONE ont un emploi alors que l’emploi féminin représente 64% en Belgique. L’âge précoce, l’isolement, les revenus, le niveau d’études, les parcours de migration et la couverture de santé, sont les grands critères que nous regardons pour définir une situation de précarité», explique Samuel Ndamè, gestionnaire de projets BDMS-ONE qui a récemment présenté les données de ces dix dernières années concernant les suivis de grossesse en région bruxelloise[2]. Pour lui, le cumul des critères de précarité est très important. «1,1% des femmes enceintes à Bruxelles ont moins de 20 ans. Et 12% d’entre elles sont isolées, c’est-à-dire qu’elles n’ont aucun réseau autour d’elles pour demander de l’aide ou qu’elles sont en maison d’accueil. Si en plus elles sont en situation de migration, on sait qu’il y aura des risques qu’elles n’aient pas de mutuelle et qu’elles n’osent pas aller en consultation parce qu’il faudra parler français, présenter une carte d’identité, peut-être effectuer un pré-paiement et qu’elles ont peur d’être dénoncées à la police si elles n’ont pas de papiers.»

Le droit de choisir

L’asbl Aquarelle a justement été créée pour venir en aide aux femmes enceintes en situation irrégulière. Rattachée à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, l’équipe de sages-femmes donne accès à des soins, offre un suivi prénatal et postnatal et propose aussi un soutien administratif et relationnel. Camille Audouard, étudiante sage-femme en 3e année à la Haute École Léonard de Vinci, a participé au projet «Tandem» mis en place par Aquarelle. Un projet qui consiste à créer des binômes d’étudiants «sage-femme et assistant social» pour accompagner une future mère suivie par l’asbl. «La barrière de la langue joue énormément, c’est un frein pour tisser un lien, et surtout un lien de confiance. Mais ce qui me pose surtout question, c’est comment proposer son aide à quelqu’un qui estime ne pas en avoir besoin. On ne peut pas venir avec des solutions et les imposer. Nous restons juste un filet de sécurité.» Car si le choix du type d’accouchement se pose moins chez les mères qui ne savent parfois pas ce qu’elles vont manger, où elles vont dormir le soir même, elles détiennent le droit de participer aux choix qui concernent leur grossesse. Encore faut-il qu’elles soient sensibilisées à solliciter de l’aide pour prendre part à leur propre grossesse.

Le niveau de littératie en santé, c’est-à-dire la capacité à comprendre les messages de prévention, est en effet un défi pour les professionnels de santé et les acteurs de première ligne. Ils doivent parfois faire appel à des traducteurs (l’ONE comptabilise près de 140 nationalités parmi les suivis effectués), comprendre aussi les représentations sur l’accouchement qui varient d’une culture à l’autre et adapter les messages selon le niveau d’éducation.

 

Adèle, sage-femme à l’hôpital Saint-Pierre, travaille aussi avec Aquarelle et insiste sur la nécessité de travailler «l’empowerment», de rappeler aux femmes qu’elles ont des droits et le pouvoir d’être actrices de leur grossesse. Les séances de préparation à la naissance permettent de faire émerger des questions et des souhaits qu’elles n’auraient pas formulés autrement, faute de disponibilité mentale ou de capacité de projection. «Les femmes en situation de précarité ont souvent eu des parcours difficiles dans lesquels elles ont eu peu souvent l’occasion de faire des choix. Ici à Saint-Pierre et chez Aquarelle, on insiste pour leur rappeler qu’elles ont voix au chapitre. Qu’elles peuvent poser des questions par rapport aux actes qu’on leur propose, qu’elles peuvent s’y opposer si elles le veulent, qu’elles peuvent choisir la position dans laquelle elles accouchent, qu’elles peuvent demander d’être suivies par une femme gynécologue ou qu’elles peuvent choisir d’accoucher sans médicalisation.»

La priorité: assurer un suivi prénatal

Ana Hernandez, conseillère sage-femme à l’ONE rappelle que l’institution offre un suivi universel à toutes les femmes, qu’importe si elles ont une mutuelle ou pas, et que toutes les mères ont droit à la préparation à la naissance. «Si une femme veut accoucher dans l’eau, c’est possible même si les hôpitaux n’en font pas la promotion, on respecte leur choix indépendamment de leur degré de précarité.» La sage-femme qui voit beaucoup de futures mères en décrochage complet par rapport à leur grossesse, pointe aussi le problème de communication. «Il y a beaucoup de jeunes mères qui ne connaissent tout simplement pas le système de santé, qui n’anticipent pas leur accouchement et qui éprouvent des difficultés à formuler ce qu’elles souhaiteraient.» Le niveau de littératie en santé, c’est-à-dire la capacité à comprendre les messages de prévention, est en effet un défi pour les professionnels de santé et les acteurs de première ligne. Ils doivent parfois faire appel à des traducteurs (l’ONE comptabilise près de 140 nationalités parmi les suivis effectués), comprendre aussi les représentations sur l’accouchement qui varient d’une culture à l’autre et adapter les messages selon le niveau d’éducation. Car le défi reste bien celui-là dans le cas des femmes enceintes en situation de précarité: les relier à un parcours médical pour assurer un suivi prénatal et leur faire parvenir les informations nécessaires pour qu’elles puissent prendre soin d’elles et de leur bébé.

Samuel Ndamè, gestionnaire de projets BDMS-ONE, voit presque ce lien, qu’il faut parvenir à tisser et à maintenir, comme un élément de militantisme. «On a des femmes sans papiers ou sans mutuelle qui viennent de Flandre aux consultations de l’ONE à Bruxelles parce qu’elles craignent le contrôle social dans leur région, une crainte qui augmente le risque de suivis prénataux irréguliers et donc de complications. Il faut vraiment travailler la confiance entre les professionnels et la famille, et l’action de l’ONE doit être soutenue. Ce n’est pas normal que dans un pays riche comme la Belgique autant de femmes accouchent à l’hôpital sans jamais avoir été suivies.»

[1] Chiffre de l’ONE pour la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[2] «10 ans de réalités médico-sociales des familles bruxelloises», communiqué de presse de l’ONE, 11 mai 2023.

Émilie Pommereau

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