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Cet obscur objet du (non-)désir de logement social

Il y avait longtemps que la menace pesait dans l’air. Au point qu’elle ressemblait de plus en plus à l’Arlésienne. Depuis ce mois de mai, la menace a pris corps :des sanctions seront prises contre les communes wallonnes refusant d’avoir un minimum de 10 % de logement public – entendez social ou connoté comme tel – sur leursterritoires. Du coup, les réactions fusent… Pour un peu, on en oublierait la nouvelle mouture des programmes communaux du logement.

01-06-2007 Alter Échos n° 230

Il y avait longtemps que la menace pesait dans l’air. Au point qu’elle ressemblait de plus en plus à l’Arlésienne. Depuis ce mois de mai, la menace a pris corps :des sanctions seront prises contre les communes wallonnes refusant d’avoir un minimum de 10 % de logement public – entendez social ou connoté comme tel – sur leursterritoires. Du coup, les réactions fusent… Pour un peu, on en oublierait la nouvelle mouture des programmes communaux du logement.

Rétroactes

Le 3 mai dernier, le gouvernement wallon a adopté une circulaire1 fixant les lignes directrices pour l’élaboration des programmes communaux d’actions enmatière de logement public (logement social, de transit, d’insertion, moyen, etc.) pour les six années à venir. Elle fixe par la même occasion quelques obligations deproduction qui ont déclenché l’ire de nombreux élus communaux.

De manière générale, la circulaire établit un distinguo entre les communes ayant moins de 10 % de logements sociaux sur leurs territoires et celles qui en comptentplus. Les premières auront un accès prioritaire aux aides à l’investissement pour réaliser leur programme d’actions en matière de logements en vued’atteindre le seuil de 10 %. En revanche, précisait alors le ministre wallon du Logement André Antoine (CDH)2, « si elles ne rentrent pas de programme communalde logement en vue d’accroître leur parc de logements publics, elles subiront des pénalités via le Fonds des communes ».

Quant aux autres, elles pourront diversifier les populations de leurs ensembles sociaux : d’une part, en vendant 10 000 logements sociaux sur la période 2007-2012 aux locataires occupantsou aux candidats locataires ; d’autre part, en attirant 10 000 ménages à revenus moyens dans le parc locatif social existant. Qui plus est, elles auront droit à un“bonus” sur leur dotation du Fonds des communes. Le but est de réaliser la mixité sociale sur l’ensemble du territoire wallon et de faire jouer la solidaritéentre les communes.

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De manière plus générale, la circulaire établit une stratégie communale d’actions en matière de logements pour la période 2007-2012, enparticulier le programme communal d’actions 2007-2008. Pour rappel, une première mouture de cet « ancrage communal » du logement avait été inscrite dans le Codewallon du logement sorti en 1998. À l’époque, il était question de plans triennaux. Devenue biennale à l’initiative du ministre André Antoine, laprogrammation doit s’inscrire dans un plan avec des objectifs à six ans, soit le temps d’une mandature communale.

Concrètement, l’objectif général est de créer 2 000 logements par an sur le territoire régional :
• par l’acquisition-rénovation de bâtiments,
• par la mobilisation du patrimoine inoccupé, par la prise en gestion de ceux-ci par les AIS (agences immobilières sociales), les SLSP (sociétés de logement deservice public) ou des asbl ;
• par la construction de logements neufs,
• par des partenariats public-privé, qui visent tant l’accès à un logement locatif (social) qu’à la propriété (logement moyen).

L’accent est donc mis sur la diversification des opérations. Les communes sont aussi invitées à créer des logements de transit et d’insertion. Quelque 200logements de transit et d’insertion pourraient être créés sur la base du budget 2007.

Une attention sera portée également à des « logements spécifiques » : logements intergénérationnels ; logements communautaires ou des formulesde « cologement » ; logements adaptés aux personnes seules (47 % des logements locatifs sociaux sont sous-occupés) ; logements pour personnes à mobilitéréduite ; logements prenant en compte les publics visés par le Plan Habitat Permanent (Plan HP).

Enfin, la circulaire précise que « les opérations immobilières proposées dans les programmes de créations devront intégrer au mieux les objectifs dedéveloppement durable ».
En termes de procédure, le programme d’actions 2007-2008 doit être rentré à l’administration régionale pour le 15 août 2007. Le gouvernementdéfinira le programme d’actions 2009-2010 d’ici au 1er mai 2008 et les communes devront alors rentrer leur programme le 15 juin 2008.

Débat houleux au Parlement

Lors de sa séance du 16 mai, la circulaire a fait l’objet d’un débat nourri. Pour le député Willy Borsus (MR), l’obligation d’atteindre 10 % delogements publics dans les communes est « le plus grand effet d’annonce de la législature ». Face aux chiffres du ministre projetant de créer 2000 logements nouveauxpar an, il produit les siens : 604 logements en 2004, dont 25 logements destinés à la vente ; 540 en 2005 dont 27 destinés à la vente ; et 514 en 2006, dont 7 pour lavente.

Il observe aussi que sur les 262 communes wallonnes, 236 sont sous le seuil de 10 %. Cela implique de créer 63 000 logements. Et de se demander où l’on trouvera la place pourles bâtir. « Je reconnais que vos objectifs de mixité sociale et votre proactivité sont des signes positifs de votre politique, admet-il. Néanmoins, votre effetd’annonce ne résiste pas à une analyse circonstanciée. Agir ainsi, c’est tromper les gens qui sont le plus dans le besoin. »
Herbert Grommes (CDH) observe, pour sa part, que « si on évalue la politique d’ancrage local, on peut souligner que l’intérêt des communes à se lancer dans desprojets de logements a parfois été freiné par une insuffisance de produits financiers et par un manque de volonté de certaines communes. En effet, toutes les communes nefont pas preuve du même dynamisme dans la création de logements sociaux, craignant peut-être, à tort, une dégradation de leur image ». Cependant, ils’interroge aussi sur les 10 % : « Ce chiffre de 10 % s’appliquera-t-il uniformément à toutes les communes ou, au contraire, sera-t-il modulé en fonction descaractéristiques de la commune ? En effet, on peut légitimement supposer qu’une commune à caractère industriel présentera un besoin plus accru en logements publicsqu’une commune à caractère rural. »

De son côté, Alain Onkelinx (PS) applaudit cette circulaire qui envoie « un signal fort », car « certaines communes sélectionnent leur population, en nerentrant sciemment pas de plan communal. » Il se pose toutefois la question de savoir si un service spécifique sera chargé du suivi de la mise en œuvre des PCL sur toutesles communes « pour déceler celles qui seraient tentées de ne pas développer du logement social sur leur territoire ». Christophe Collignon (PS) abonde dans ce sens
:« Il faut instaurer une mixité entre les propriétaires et les locataires et une mixité entre les communes en matière de logement social. La précariténe doit pas être uniquement le chef des communes de la région de Charleroi ou de celle de Liège. » Alain Onkelinx rappelle à ce sujet qu’à Seraing, il ya 30 % de logements publics : « On y attend donc les mesures préconisées. Elles vont permettre de vendre du logement social. C’est essentiel dans les quartiers où dans descommunes comme Seraing ou Saint-Nicolas, où on reçoit des personnes qui se déracinent du fait de la pression foncière et dont la seule solution est de venir chez nous,où on trouve un grand nombre de logements sociaux. »

Sur les bancs d’Ecolo, Monika Dethier Neumann a dénoncé le projet de vente de logements sociaux. « Il existe des milliers de ménages pour lesquels l’accèsà la propriété demeure un rêve inaccessible. » Et de rappeler que « le gouvernement a déjà procédé à la vente de 15 % deslogements sociaux. » Elle doute que la réforme du Fonds des communes soit rapide.

Répondant en son nom et en celui de Philippe Courard, ministre des Affaires intérieures – chargé de la réforme du Fonds des communes -, André Antoinerejoint le constat de tous : « Un grand nombre de nos concitoyens éprouvent des problèmes pour devenir propriétaires ou pour accéder à une location dont lemontant est proportionnel à leurs revenus. » Or, l’ambition du gouvernement est de remédier à cela. Il conteste les chiffres de Willy Borsus : « Nous sommespassés, en affectation budgétaire, de 700 à 900 logements. Il faut tenir compte des différents aléas, du délai entre le moment où l’on décidede la construction et son inauguration. » Et de rappeler : « Nous ne finançons pas à 100 %. Nous finançons à 65 % pour les logements sociaux et 40 % pour leslogements moyens. »

Concernant les fameux 10 % de logements sociaux, il affine les attentes de la Région : « L’objectif non quantifié dans le temps est de 10 %. Mais nous sommes réalisteset nous ne demandons pas aux communes d’y arriver en deux ou trois ans. De la même manière, nous ne souhaitons pas les pénaliser pour le passé. On remet donc les compteursà zéro. Néanmoins, une commune qui ne veut pas de logement social pour ses habitants [autrement dit qui ne rentre pas de programme] sera sanctionnée dans un an. L’objectifn’est pas de 10 % (…) mais de 5 %, (…) c’est la barre qui déterminera les sanctions. Lorsqu’une commune atteindra les 10 % de logements sociaux, elle sera prioritaire pourl’affectation de crédits aux logements moyens. »

Réaction de l’UVCW

À l’Union des Villes et Communes de Wallonie (UVCW)3, on a pris connaissance de la circulaire et répondu au ministre. Dans un courrier daté de ce 23 mai,l’UVCW explique que si elle partage « l’objectif d’augmenter l’offre de logement social sur l’ensemble de la Wallonie, elle s’oppose fermement à la délimitationthéorique d’un seuil minimal de 10 % de logements publics par commune et à la réduction proportionnelle du Fonds des communes s’il n’est pas atteint. » Pour le groupe depression, la fixation d’un seuil « devrait être déterminée proportionnellement au nombre de demandes (ou demandes potentielles) et aux spécificitéslocales, et non abstraitement sur la base de l’ensemble des communes. »

Il s’insurge contre la pénalisation financière envisagée par le biais de la réduction du Fonds des communes. « Cette approche est contraire au principefondamental de la non-affectation du Fonds des communes, rappelle-t-il. Plus grave, elle prend en otage une politique régionale pour en réaliser une autre. Le Fonds perdrait sa fonctioninitiale au profit, pour la Région, d’un système de détermination de la politique communale, ce qui est inacceptable pour les pouvoirs locaux et contraire à l’idéemême de la démocratie locale. »

L’UVCW fait deux propositions pour rencontrer l’objectif d’accroissement de logement social en Wallonie, sous forme d’incitants :
• Une planification de l’urbanisation pour « lier la future urbanisation du territoire communal à la réalisation d’un quota de logements publics,proportionné à l’écart qui existe entre la situation actuelle et le seuil proportionné à atteindre » ;
• La seconde proposition suggère d’instaurer un mécanisme de solidarité financière des communes au sein même de la politique du logement. Baptisé« certificat social », ce mécanisme de solidarité se concrétiserait : par la construction par la commune de logements publics, par la participation de la communeà un fonds régional destiné à financer l’aide à d’autres communes, par une aide matérielle ou humaine apportée par la commune àdestination des autres communes.

Une mixité qui dérange

Bien que les communes dénient pratiquer une quelconque discrimination à l’égard de populations défavorisées, avoir des logements à caractèresocial sur leur sol les dérange. Le vieux slogan « classes laborieuses, classes dangereuses » pourrait bien céder la place à celui de « locataires sociaux,locataires asociaux ».

Pour preuve, il suffit de relever le lapsus qui figure à la page 5 de la circulaire. Concernant la vente de logements sociaux, on précise que « si l’objectif visé(…) est d’accroître la solidarité entre communes dans l’offre de logements aux ménages les plus démunis, il faut constater que les communespossédant un nombre important de logements sociaux sont confrontées à des problèmes particuliers liés à cette population, notamment une situationfinancière plus difficile ». La portion de phrase « liés à cette population » est effectivement barrée dans le texte officiel. Le fait qu’elleapparaît encore – sans doute à cause d’une erreur à la relecture – démontre qu’il existe bien un a priori négatif àl’égard de ménages défavorisés. En prenant connaissance du texte, les communes les moins enclines à rentrer un programme communal de logement y trouveront lajustification de leur refus.

1. La circulaire est téléchargeable sur le site de la DGATLP dans la section Logement : http://mrw.wallonie.be/dgatlp
2. Cabinet d’André Antoine, rue d’Harscamp 22 à 5000 Namur – tél. : 081 25 38 11.
3. UVCW, rue de l’Etoile, 14 à 5000
Namur – tél. : 081 24 06 11.

Baudouin Massart

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