Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Centres fermés : un état des lieux accablant

Cela fait des années que les ONG exigent de l’Office des étrangers un rapport annuel sur les centres pour illégaux. Avec des chiffres sur le nombre de détenus adulteset enfants, la durée moyenne de leur détention. Mais aussi le nombre d’hospitalisations, de tentatives de suicide, d’évasions, de grèves de la faim. En 1999, laFédération internationale des droits de l’homme était venue enquêter sur les centres fermés en Belgique. Sa conclusion tenait en une phrase : les centresfermés en Belgique sont « l’arrière-cour de la démocratie ». En 2006, l’arrière-cour est plus sordide que jamais. L’état des lieux1réalisé par 10 ONG2 qui ont droit de visite dans ces centres, et rendu public ce 19 octobre, est on ne peut plus alarmant.

03-11-2006 Alter Échos n° 218

Cela fait des années que les ONG exigent de l’Office des étrangers un rapport annuel sur les centres pour illégaux. Avec des chiffres sur le nombre de détenus adulteset enfants, la durée moyenne de leur détention. Mais aussi le nombre d’hospitalisations, de tentatives de suicide, d’évasions, de grèves de la faim. En 1999, laFédération internationale des droits de l’homme était venue enquêter sur les centres fermés en Belgique. Sa conclusion tenait en une phrase : les centresfermés en Belgique sont « l’arrière-cour de la démocratie ». En 2006, l’arrière-cour est plus sordide que jamais. L’état des lieux1réalisé par 10 ONG2 qui ont droit de visite dans ces centres, et rendu public ce 19 octobre, est on ne peut plus alarmant.

« Ce rapport est le fruit de plusieurs années d’expérience, explique Nicole Mayer pour le Mrax. Nous avons rencontré des centaines de détenus, recueilli lestémoignages des travailleurs des centres. » Depuis plusieurs années, des ONG sont présentes dans les centres fermés pour étrangers ; elles y tiennent despermanences sociales, visitent régulièrement les centres, rencontrent des détenus3 et des membres du personnel.

Les centres fermés ont pour seul objectif la détention administrative des étrangers qui arrivent à la frontière ou en attente d’une expulsion. Unedétention administrative qui n’est en rien justifiée par le fait que les personnes qui en font l’objet aient porté atteinte à l’ordre ou à la sécuritépublique, mais uniquement en raison de leur statut administratif au regard de la législation sur le séjour des étrangers. “Ce type de détention devrait êtreexceptionnel, pourtant, il est largement répandu”, dénoncent les ONG, coauteures de l’état des lieux.

1. Des chiffres éclairants

Lorsqu’on cherche à réunir des données chiffrées relatives aux centres fermés, un premier constat s’impose : la transparence n’est pas de mise. Il estextrêmement difficile d’avoir accès à des chiffres précis et fiables. Les ONG ont dû réaliser leurs propres calculs, basés sur les rapports annuels dechaque centre, pour tenter d’approcher la réalité.

Quelques données du rapport :

• 7622 détenus3 en centre fermé en 2004.
• La capacité des centres fermés est en augmentation: plus de 600 places en 2006.
• Les chances d’être déclaré recevable pour un demandeur d’asile à partir d’un centre fermé, à la frontière (28,4%) sont inférieuresà celles des demandeurs d’asile sur le territoire (41,7%).
• Les demandeurs d’asile « Dublin »4 sont de plus en plus fréquemment détenus sans que leur soit laissée l’opportunité d’exécutervolontairement leur transfert.
• Le nombre d’enfants détenus a considérablement augmenté en 2005. Au centre 127 bis par exemple, le nombre hebdomadaire moyen d’enfants en détention est passéde 10 en janvier à 55 en décembre.
• Les durées de détention ne cessent d’augmenter depuis 2002 (de 26 à 33 jours en moyenne). En raison du mode de calcul adopté par l’Office des étrangers (OE),les durées reprises dans les chiffres officiels sont largement inférieures à la réalité parce que l’OE considère que chaque tentative avortéed’expulsion remet le compteur à zéro.
• En 2004, 25% des détentions se sont conclues par une libération : elles n’étaient donc pas justifiées. Dans trois des six centres du territoire, le nombre delibérations est aussi élevé que le nombre d’expulsions.
• En 2003, seuls 20% des détenus ont pu faire vérifier la légalité de leur détention par un tribunal.
• Le nombre d’isolements disciplinaires, caractéristique carcérale la plus voyante de la détention, est en augmentation constante.
• La détention et les expulsions représentent au moins 25 millions d’euros dans le budget de l’État.

2. Aspects médicaux et psychologiques de la détention

M. et Mme Avion

Une partie du rapport est consacrée aux aspects médicaux et psychologiques de la détention. “La possibilité d’émettre des objections médicalesà la détention et/ou à l’expulsion d’une personne est une attribution du médecin du centre, expliquent les ONG. Elle est pourtant très peu utilisée. Elle nepourrait l’être réellement qu’avec un service médical indépendant, ce qui n’est pas le cas actuellement.” En effet, les médecins sont sous contrat avecl’Office des étrangers et, en cas de désaccord sur la situation d’un détenu entre le médecin du centre et un deuxième médecin, l’avis décisif estdonné par un troisième médecin…. dépendant de l’OE. Encore faut-il avoir pu accéder au médecin. En centre fermé, face au très grand nombre dedemandes, ce sont les infirmiers qui décident si un examen médical est nécessaire. Un filtrage mal vécu par les détenus.

“Les détenus ont régulièrement l’impression que leurs problèmes de santé ne sont pas pris au sérieux. Ils ont parfois le sentiment de n’êtrepas écoutés. Souvent ils ne reçoivent pour tout traitement que des calmants ou des somnifères”, témoignent les visiteurs.

Le service social est lui aussi dépendant de l’Office des étrangers; quant au psychologue, il cumule généralement ce poste avec celui de directeur adjoint. Lesdétenus ne bénéficient donc pas de l’accompagnement social et psychologique indépendant qui leur serait indispensable. « Pire, insiste Pierre-Arnaud Perrouty de la Liguedes droits de l’homme, les assistants sociaux ont pour tâche principale de préparer à leur expulsion les détenus à tel point que ceux-ci les ont surnommés ‘M.et Mme Avion’… Un rôle assigné qui n’est pas sans poser de questions déontologiques. » Au niveau médical une autre carence est à souligner :l’impossibilité fréquemment évoquée de consulter son dossier médical, alors même que le droit des patients affirme que chaque patient est en droit de leconsulter.

Conséquences médicales et psychologiques de la détention

“Beaucoup de détenus se montrent stressés, angoissés, et plus les durées de détention sont longues plus les individus sont cassés et sombrent dansla déprime voire la dépression”, peut on lire dans l’état des lieux. “Lors de l’arrestation, la perspective de l’expulsion devient imminente, elle annihilel’espoir d’une vie meilleure. Sur le territoire l’administration recourt souvent à des subterfuges: arrestations « pièges » dans ses locaux par exemple (la personne estconvoquée pour retirer une décision et est emmenée directement en centre fermé). Dans tous les cas l’impact de la détention est dramatique :
• Les détenus sont soumis à un régime carcéral fait de sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’isolement.
• Les centres fermés fonctionnent en régime de groupe qui empêche toute possibilité d’intimité.
• Les détenus ont l’impression d’être considérés comme des criminels.
• Ils ne connaissent pas la durée de leur détention.
• Pour les enfants, la détention peut laisser des séquelles irréversibles.
L’angoisse en centre fermé est omniprésente et peut aboutir à des actes de désespoir:
automutilations, grèves de la faim ou tentatives de suicide.”

3. Pressions et violences autour des expulsions

La caractéristique principale des expulsions est leur opacité. Les témoignages de violence recueillis après des tentatives d’expulsion sont récurrents, avecsouvent des indices sérieux de traitements dégradants. Ainsi, dénoncent les ONG, “les contrôles externes sont quasiment inexistants ; les contrôles internessont sporadiques ; il n’y a pas de surveillance vidéo et les possibilités effectives qu’une plainte aboutisse sont presque nulles.”

Avant l’expulsion : préparation et pressions

Les pressions que doivent subir les détenus en vue de leur expulsion sont nombreuses et variées :
• La première d’entre elles est la détention qui est extrêmement difficile à vivre.
• Au centre fermé les pressions sont souvent verbales, mais elles peuvent être d’un autre type. Par
exemple, le placement en cellule d’isolement d’un détenu avant son expulsion.
• Les compagnies aériennes (telles que SN Airlines) viennent souvent voir des détenus pour les convaincre de partir. La raison de ce “dévouement” estéconomique : si la personne a été arrêtée à la frontière, chaque journée en centre fermé est facturée à la compagnie quil’a transportée.
• Le placement en zone de transit. Cela concerne les détenus qui n’ont pas pu pénétrer sur le territoire. Si la chambre du conseil ordonne de libérerl’intéressé, l’Office des étrangers considère que cela n’annule pas l’interdiction d’entrer sur le territoire… et décide de placer les personnes dans la zone detransit qui devient du coup leur nouveau lieu de détention.

Pendant l’expulsion

L’expulsion d’un individu comporte plusieurs étapes, les ONG ont récolté des témoignages de violences commises à différents stades :
• Le transfert vers l’aéroport. Il se fait de longues heures avant le vol.
• À l’arrivée à l’aéroport, le détenu est placé dans les cellules du commissariat, lieu exigu, à l’abri des regards et d’où le contactavec le monde extérieur est rendu presque impossible. Dans ce contexte d’expulsion imminente, la pression sur les personnes augmente d’un cran.
• La personne est alors conduite vers l’avion. Lors de l’embarquement, une gradation dans la coercition est prévue. Lors des premières tentatives d’expulsion, il est possible derefuser d’embarquer, puis le Détachement sécurité de l’aéroport national tentera un départ forcé sans escorte. En cas d’échec, un départforcé sous escorte policière est prévu. Enfin, dans certains cas, un « vol sécurisé » peut être affrété.

Après l’expulsion : le retour au centre

En cas d’échec de l’expulsion le détenu est renvoyé en centre fermé. Dès son retour, un certificat médical devrait être immédiatementétabli, ce qui n’est pas toujours le cas. Lorsqu’une personne a été victime de violences policières, elle doit avoir des possibilités effectives de porter plainte.“On constate que ces possibilités existent, mais elles restent souvent théoriques et peu effectives”, déplorent les organisations. Souvent aussi les plaintesdéposées n’aboutissent pas pour diverses raisons. Par exemple :
• La personne n’est plus sur le territoire. Les plaintes ne sont pas suspensives.
• Il y a souvent un manque d’information sur les possibilités de plaintes, de plus une personne en centre fermé aura tendance à croire que sa plainte jouera en sadéfaveur.
• Le Comité P, comité permanent de contrôle des services de police, organe habilité à recevoir des plaintes et dont le service d’enquête est souventréquisitionné par le parquet, n’offre pas toutes les garanties d’indépendance du fait de sa composition : des membres de la police fédérale endétachement.

Il existe également une Commission des plaintes, mais elle n’est pas compétente pour les plaintes relatives aux expulsions et aux arrestations. Les détenus doivent adresserune lettre écrite au directeur du Centre, ce qui n’encourage guère la démarche. En 2004, 42 plaintes ont été introduites, onze ont été jugéesrecevables, une seule partiellement fondée.

L’absence de suivi dans le pays de retour après l’expulsion

Dans certains pays, les ONG disent avoir de bonnes raisons de croire que d’anciens demandeurs d’asile expulsés sont arrêtés, questionnés, voire détenus.

4) Recommandations

La première des recommandations formulées par les ONG concerne une demande de transparence au niveau de l’Office des étrangers : “Nous demandons à cetteadministration qu’elle publie un rapport précis et chiffré sur les centres fermés.”

Concernant les aspects médicaux et psychologiques de la détention, elles recommandent que certaines catégories de populations « vulnérables » ne soientjamais détenues (mineurs, personnes gravement malades, femmes enceintes, …). “Nous demandons à l’Office des étrangers qu’il prenne en compte les antécédentsmédicaux et/ou psychologiques avant toute décision de détention. Afin de contrôler que ces antécédents aient bien été pris en compte, nousrecommandons d’étendre les compétences de la chambre du conseil à l’opportunité de la détention tout en soulignant l’importance de rendre ce recours automatique.Nous sommes convaincus de la nécessité d’un service social et médical réellement indépendant.”

Enfin, les associations émettent une série de recommandations concernant les expulsions : multiplication des contrôles internes et externes pendant les expulsions,contrôles vidéo, examens médicaux généralisés avant et après les expulsions, amélioration de l’information sur les possibilités de porterplainte, instauration d’un organe indépendant de traitement des plaintes qui doit pouvoir surseoir à l’expulsion et mise en place d’un suivi à l’arrivée dans le paysd’origine.

Objectif du rapport

L’état des lieux a un but d’information et de dénonciation, précisent les ONG signataires. Et de lancer plus particulièrement un appel aux parlementaires pour qu’ils semobilisent. Le rapport a d’ailleurs été adressé il y a deux semaines aux députés membres de la Commission de l’Intérieur de la Chambre. Reste que cela faitdes années que des rapports, des recommandations, des interpellations s’amoncellent dans les archives de la Chambre ou du Sénat pour réclamer une amélioration desconditions de détention dans ces centres, ou la fin de l’enfermement des enfants, même chose pour les propositions pour un contrôle judiciaire de la détention en centrefermé. Cet état des lieux en forme de cri d’alarme fera-t-il la différence? On ne peut que l’espérer…

1. Le rapport, intitulé « Centres fermés pour étrangers : état des lieux », est téléchargeable sur le site : http://www.cire.irisnet.be
2. Liste des associations exerçant leur droit de visite en centre fermé : APD (Aide aux personnes déplacées), Caritas international Belgique, CSP (Centre socialprotestant), Cire (Coordination et initiatives pour et avec les réfugiés et étrangers), JRS (Jesuit Refugee Service), Ligue des droits de l’homme, Mrax (Mouvement contre leracisme, l’antisémitisme et la xénophobie), Point d’appui, Service social de solidarité socialiste et enfin le Vluchtelingenwerk Vlaanderen.

3. Le mot « détenu » est employé dans ce rapport pour désigner les personnes maintenues dans les centres fermés, plutôt que les expressionsaseptisées « occupant » ou « résident » utilisées dans les textes officiels. En effet ces personnes sont maintenues contre leur gré, dans desconditions carcérales, ce qui, constitue au dictionnaire la définition de détenu.
4. La procédure dit « Dublin » vise à déterminer l’État responsable de la demande d’asile. L’administration considère de plus en plus ladétention comme un « outil » plus efficace de gestion de ces transferts, lorsqu’un demandeur d’asile doit se rendre dans un autre État de l’Union pour demander l’asile.

catherinem

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)