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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Ce local qui galvanise le rural

Depuis 30 ans, un modèle assez unique de partenariat public-privé, petit «laboratoire du monde rural», essaime en Wallonie. Méconnus, les groupes d’action locale (GAL) sont aujourd’hui au nombre de 20 et regroupent 132 communes au total. Basés sur des alliances transcommunales et la participation citoyenne, les GAL agissent à l’échelle locale tout en essayant de dépasser les esprits de clocher.

(c) Fanny Monier

Quel est le point commun entre une initiative de glanage au profit de bénéficiaires du CPAS de Florennes, un projet de mobilité douce pour résidents de maisons de repos dans l’est du Brabant wallon et un centre de formation réservé aux métiers du bois à Gesves? Il tient en trois lettres: GAL. Ces projets et bien d’autres émanent de groupes d’action locale, des regroupements d’acteurs publics et privés qui visent à dynamiser économiquement et socialement les campagnes wallonnes et naissent de la synergie entre plusieurs communes contiguës (trois au minimum).

«Des communes qui ont souvent déjà l’habitude de travailler ensemble, qui ont une histoire commune…», précise Aurélie Hick, directrice du GAL du pays de l’Ourthe. Les sept communes qui composent ce dernier (parmi lesquelles Hotton, Durbuy et La Roche) sont, en ce qui les concerne, reliées par la géographie – le cours d’eau – et un enjeu commun – le tourisme. Autre exemple, plus à l’ouest: les quatre communes du GAL de l’Entre-Sambre-et-Meuse partagent, elles, une tradition folklorique, à savoir les marches de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Parfois, c’est tout bêtement l’existence d’une zone de police qui a facilité le rapprochement de communes, comme au GAL Pays des Condruses près de Huy.

Si la logique des GAL est locale, leur raison d’être est bien plus globale puisque leur financement dépend d’un fonds européen, le programme Leader (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale) né en 1991. Un financement par tranches de cinq ans – en septembre dernier, le renouvellement du programme pour la période 2023-2027 a été confirmé, à hauteur d’un peu plus de 5% du budget wallon pour la Politique agricole commune – censé garantir l’innovation. Pour le programme Leader, les GAL ont vocation à être une sorte de «petit laboratoire du monde rural». À chaque nouvelle programmation, l’existence des GAL est donc (en théorie) remise en jeu: de la qualité des projets soumis, de leur caractère innovant et de leur adéquation aux besoins locaux dépendra leur pérennité.

Du folklore au développement durable

Depuis ses débuts, cette logique d’innovation a rapidement fait évoluer les thématiques abordées par les GAL. «Avec les changements dans la société, les GAL se sont développés autour de nouvelles problématiques: transitions écologique, humaine, financière, etc., analyse Nathalie, chargée de mission au sein du GAL de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Ainsi, la dimension folklorique est encore présente dans notre GAL, mais elle est désormais minoritaire. On travaille davantage sur la mobilité, le tourisme, les circuits courts, l’agriculture…»

Xavier Delmon, le coordinateur du Réseau wallon de développement rural (RWDR), qui chapeaute et facilite les échanges d’expériences et d’information entre les vingt GAL wallons, observe, à plus large échelle, le même phénomène: «Au départ, la plupart des initiatives ont démarré sur des communs évidents; le tourisme et le patrimoine matériel et immatériel ont été traités au premier chef. Mais, au fil des générations de programmes Leader, ces dynamiques territoriales se sont de plus en plus articulées sur des questions de fond, des thématiques complexes et pointues.»

«Au départ, la plupart des initiatives ont démarré sur des communs évidents; le tourisme et le patrimoine matériel et immatériel ont été traités au premier chef. Mais au fil des générations de programmes Leader, ces dynamiques territoriales se sont de plus en plus articulées sur des questions de fond, des thématiques complexes et pointues.»

Xavier Delmon, coordinateur du Réseau wallon de développement rural

Le local à la sauce GAL repose sur deux logiques: l’une transcommunale, l’autre citoyenne. Côté communal, «les GAL permettent tout simplement de réduire les coûts, en menant des projets à l’échelle d’un territoire, là où ça demanderait beaucoup d’énergie et d’argent à une commune de le faire seule», résume la coordinatrice du GAL du pays de l’Ourthe, Aurélie Hick. Dans une région qui compte une majorité de petites communes de moins de 10.000 habitants, la question de la coopération entre pouvoirs locaux (voire de leur fusion) apparaît de plus en plus incontournable pour affronter des défis tels que la mobilité, l’emploi ou la gestion du territoire.

Les GAL permettraient aussi aux communes d’oser «s’attaquer» à des sujets politiquement trop sensibles. «Prenez le cas de l’habitat léger, illustre Xavier Sohet, le coordinateur du GAL Pays des Tiges et Chavées dans le Namurois. En matière de logement, c’est un sujet très, très délicat pour les politiques, notamment dans notre région du Condroz. L’habitat léger fait peur à beaucoup de gens, pourtant il répond à un réel besoin identifié au sein d’une certaine tranche de la population qui, pour des raisons idéologiques ou économiques, ne trouve plus son équilibre dans les formules de logement actuelles. C’est un défi qui va devenir de plus en plus prégnant dans les prochaines années. Et, typiquement, là-dessus, les communes se disent: ‘Seule, je n’y vais pas.’ Le GAL peut alors permettre de dépatouiller certains problèmes et mener à bien des projets communs.»

Un «contrôle démocratique à tous les niveaux»

L’autre «pilier» des GAL, c’est la participation citoyenne – le programme Leader leur imposant une approche ascendante (ou «bottom-up»). En ce début d’année 2023, phase préparatoire de la nouvelle programmation, chaque GAL y va donc de ses enquêtes citoyennes et ateliers participatifs pour sonder la créativité des citoyens. «On laisse une grande place aux dynamiques participatives pour faire remonter les idées de projet», appuie Xavier Sohet.

Idem en aval, dans la gestion desdits projets: la plupart des GAL sont des asbl, dont le CA et l’AG doivent être majoritairement composés d’acteurs privés (citoyens, entreprises, associations…) par rapport au pouvoir communal représenté. «Il y a donc un contrôle démocratique présent à tous les niveaux. Les politiques eux-mêmes le disent: c’est le seul endroit où ça se passe comme ça, poursuit le coordinateur du GAL Pays de Tiges et Chavées. Après, ne nous leurrons pas: quand trois bourgmestres s’expriment en réunion et veulent défendre un projet, ils ont souvent plus de poids que trois citoyens lambda…»

La lourdeur administrative du dispositif est pointée du doigt. Car qui dit gros sous – les GAL bénéficient de subsides de l’Europe, de la Région wallonne et des communes – dit grosses contraintes. «On doit être transparents sur absolument tout. Si on achète un Bic, on doit faire une mise en concurrence entre au moins trois prestataires de services différents. On passe énormément de temps à faire de la paperasse…», maugrée un employé.

Dans les faits, ces beaux principes de transcommunalité et de participation citoyenne ne permettent pas toujours aux GAL de se prémunir des stratégies politiciennes. «Ça reste une réalité de terrain: chaque commune a sa propre identité, sa manière de fonctionner. On essaie de rassembler, mais ça prend beaucoup de temps, nuance Nathalie, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. Les véritables projets communs des GAL sont souvent plutôt citoyens, comme la coopérative de producteurs Coopesem qui a une vraie cohérence, une vraie identité commune à l’échelle du territoire. Au niveau politique, il y a davantage d’esprit de clocher.»

D’autres bémols tempèrent la «success story» des GAL. Leur manque de notoriété notamment. Le fait d’une volonté qui a longtemps prévalu au sein des GAL, selon plusieurs travailleurs qu’Alter Échos a rencontrés, de faire davantage connaître les projets concrets réalisés plutôt que miser sur la visibilité des GAL eux-mêmes. De plus, «chaque GAL travaille sur énormément de projets et thématiques différents. Arriver à faire comprendre au citoyen comment une même structure travaille sur tous ces aspects demanderait d’importants financements en termes de communication. On préfère mettre cet argent sur des actions directes. Mais le revers de la médaille, c’est que les gens ne savent pas toujours qui on est, ni tout ce qu’on fait», note Xavier Sohet.

Risque de schizophrénie?

La lourdeur administrative du dispositif est elle aussi pointée du doigt. Car qui dit gros sous – les GAL bénéficient de subsides de l’Europe, de la Région wallonne et des communes – dit grosses contraintes. «On doit être transparents sur absolument tout. Si on achète un Bic, on doit faire une mise en concurrence entre au moins trois prestataires de services différents. On passe énormément de temps à faire de la paperasse…», maugrée un employé.

Une rigidité qui tranche avec l’esprit «local» et «créatif» des GAL et qui refroidit jusqu’aux porteurs de projets citoyens qui quittent parfois le navire en cours de route. «Quand on est obligés d’établir des feuilles de présence pour la moindre réunion organisée entre citoyens, c’est clair que ça peut démotiver, reconnaît le coordinateur du Réseau wallon de développement rural. On a un peu perdu la fraîcheur du début, on est de plus en plus contraints jusqu’à se retrouver parfois dans des situations complètement schizophrènes. Même si le dispositif reste unique, pertinent et positif, les équipes en souffrent.»

«Il y a donc un contrôle démocratique présent à tous les niveaux. Les politiques eux-mêmes le disent: c’est le seul endroit où ça se passe comme ça.»

Xavier Sohet, coordinateur du GAL Pays de Tiges et Chavées

Autre source de stress pour les équipes de travail: la programmation par tranche de cinq ans et le nombre fixe de GAL financés par la Région wallonne – 20, ni plus ni moins. En fonction des projets proposés et retenus, les travailleurs ne sont donc pas assurés de la pérennité de leur poste. Et si de nouveaux GAL sont amenés à se créer, cela implique forcément la disparition, ou la fusion, d’autres. «La fusion des GAL est une approche intéressante, souligne à ce propos Xavier Delmon. Elle permet de rationaliser les ressources tout en créant des synergies entre différentes approches, pour peu que le territoire reste cohérent.»

C’est en tout cas la voie que comptent emprunter les GAL Pays de Tiges et Chavées et Condroz Famenne, dont six des sept communes, «qui partagent une série de caractéristiques (socioéconomiques, topographiques) et mènent, depuis quelques années, de plus en plus de projets en commun», ont décidé de se regrouper pour ne former qu’un seul tout, «Cœur de Condroz». «La volonté, en se regroupant, est de s’ancrer dans un projet de territoire encore plus fort et durable dans le temps», précise Xavier Sohet.

C’est tout l’enjeu des GAL: faire émerger, sur des territoires cohérents, de nouvelles façons de faire vivre le local. Dans des zones (semi-)rurales, souvent oubliées, dont les villages se sont peu à peu vidés de leur vie collective, commerces, écoles, etc. «Une logique d’individualisation a pris le dessus à partir des années 80 et on s’est retrouvés dans des cités-dortoirs», analyse Nathalie, du GAL de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Lentement, à leur échelle, les GAL ont selon elle permis de «sortir de cette logique»: «On retrouve une dynamique collective qu’on avait perdue, on se rend compte qu’il y a des citoyens qui ont des projets, des agriculteurs qui veulent se rassembler, des acteurs du tourisme local aussi… Et que tout ça permet de créer de véritables identités locales.»

Clara Van Reeth

Clara Van Reeth

Journaliste jeunesse, aide à la jeunesse, social & Contact freelances, illustratrice.eur.s, stagiaires & partenariats (médias, projets, débats)

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