Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Bienvenue au Rwanda

Pays en reconstruction, au sens propre comme au figuré, le Rwanda impressionne par sa quiétude, sa propreté, son organisation. Trop policé pour être honnête?

11-12-2009 Alter Échos n° 285

Pays en reconstruction, au sens propre comme au figuré, le Rwanda impressionne par sa quiétude, sa propreté, son organisation. Comme si chaque citoyen avait reçu unmanuel du civisme et du savoir-vivre et s’échinait à l’appliquer à la lettre. Rien ne dépasse, rien ne déborde. Trop policé pour êtrehonnête ?

Il y a quelque chose qui cloche. Ça ne frappe pas d’emblée puisqu’à première vue, tout va bien. Trop bien, en fait. Nous avons bien lu nos guides sur lepays. La reconstruction, la paix, mais aussi un taux de natalité élevée et la grande pauvreté qui touche près de 60 % de la population. Le Rwanda achangé en quinze ans. Le pays se reconstruit à grande vitesse. Dans sa capitale, Kigali, les immeubles tours ultramodernes remplacent peu à peu les petites baraques de briques etde terre rouge. « Et toutes ces échoppes que vous voyez là, ces gargotes et les petites maisons sur les flancs de la colline, elles vont aussi bientôt disparaître.À la place, on va bâtir de grands immeubles, comme ceux du rond-point de la place de la Constitution. Des bâtiments à quinze, vingt étages pour les bureaux et desmaisons modernes pour le logement », souligne fièrement un passant, urbaniste de formation. L’homme semble trouver que ce progrès a du bon. Ça risque de gâcher lesoleil… L’homme n’en a cure : « Le soleil, ici, ce n’est pas une denrée rare, contrairement à l’espace ». De fait, avec 350 habitants au km2 et 80 % de sapopulation vivant dans les campagnes, le Rwanda est le pays le plus densément peuplé du continent.

Où sont les enfants ?

Et pourtant, malgré cette surpopulation, malgré les chantiers en cours et les embouteillages fréquents, il règne sur Kigali un calme policé, une quiétudeun peu étrange. Où sont donc ces gamins que l’on croise partout dans les grandes villes des pays pauvres ou en transition ? Avec un indice de fécondité frôlantles six enfants par femme, on devrait en voir, des bouts de chou en balade sur les trottoirs. Surtout du côté du centre-ville ou des grands hôtels… « Des enfants desrues ? Il y en avait beaucoup avant. Des petits mendiants. Mais le Rwanda, ce n’est pas le Congo. Ici, le gouvernement gère bien les choses. Les enfants qui traînaient ontété conduits dans des centres de rééducation un peu en dehors de la ville », nous explique John, rwando-congolais, installé à Kigali depuis treizeans. Depuis sa boutique de « change », il a vu la ville évoluer, lui aussi. « Ici, tout est vraiment bien organisé, sécurisé et propre. Parfois, on voitdes patrouilles de police qui ramassent les enfants qui traînent. Le gouvernement a bien pris les choses en main ». Il faut revenir à la nuit tombée quand l’obscuritécamoufle la mendicité ou bien s’écarter des grands axes pour croiser des enfants qui quémandent, sur les chemins de terre, aux abords des églises… et ils sonttrès rarement seuls. Les mères, les grandes sœurs se tiennent à côté, discrètes mais bien présentes.

Les jeunes, filles et garçons, qui travaillent en rue exercent de manière tout à fait officielle : ils portent des chasubles bleues pour la vente de journaux, jaunes pourla vente de cartes téléphoniques, vertes pour le taxi-moto, etc. Avec un matricule imprimé pour chacun. La plupart sont d’ailleurs d’anciens enfants des rues qui ontété pris en charge par de nombreuses associations d’aide aux enfants. Ceux qui tentent de passer outre le système pour vendre des cartes postales à la sauvette ou mendiersavent ce qu’ils risquent. La pratique des « centres de rééducation pour jeunes » de l’État, ce n’est un secret pour personne. Selon le degré denaïveté ou de confiance de nos interlocuteurs, les uns parlent de « véritables lieux d’éducation pour donner un avenir aux enfants », d’autres de « prisonsoù l’on entasse les gosses dans des conditions épouvantables ».

Plus probablement, il s’agit de faire place nette dans un premier temps, la « prison » servant de transit avant que les parents ou une institution spécialisée prennent encharge les jeunes.
Un môme a raconté son calvaire après avoir été récupéré par l’une des nombreuses congrégations qui s’occupent de ces enfantsdésœuvrés. Raflé par la police alors qu’il mendiait, il a été enfermé dans des conditions insalubres, sans même disposer de la placesuffisante pour s’allonger, et ne recevait qu’un gobelet de maïs et de l’eau en guise de repas pour la journée1. Inutile de préciser qu’il n’a pasbénéficié de formation durant sa détention. Laquelle peut durer quelques jours ou quelques mois en fonction de la célérité des (éventuels)parents à venir récupérer leur rejeton. Comme de nombreux jeunes ont quitté leur province pour venir tenter leur chance à Kigali, rares sont les parents quis’inquiètent de ne pas recevoir de nouvelles de leurs ados.

Un équilibre familial précaire

En outre, la situation des jeunes a été singulièrement compliquée par l’histoire récente du pays. Après le génocide, de nombreuxenfants se sont retrouvés orphelins. Rescapés des massacres ou enfants de génocidaires emprisonnés, les nourrissons et les plus jeunes ont été adoptéspar des familles suite au programme gouvernemental « One child, one family » développé entre 1994 et 1999. Mais la situation économique précaire des familleset les crises adolescentes aidant, certains des enfants adoptés ont été rejetés au fil des ans. Des cas de maltraitance ont été rapportés :« Pour certaines familles pauvres, l’enfant adopté n’était pas vraiment vu comme un enfant de la famille, ou bien il se devait de « rembourser sa dette » entravaillant », explique le Père Frans Vandecandelaere, du centre de jeunes de Gatenga. Pour peu que la situation personnelle des parents se dégrade – veuvage,pauvreté – ces enfants adoptés ont encore vu leur position s’affaiblir. La situation particulière de ces enfants « adoptés » ou placés aété jugée suffisamment préoccupante – en termes de discrimination, de problèmes de santé, d’exploitation et d’abus – pour que le CICRde Goma mentionne des recommandations spécifiques dans un rapport au gouvernement rwandais en juin 20082. Car le risque est évidemment un retour à la rue, avec lesentiment d’être orphelin une deuxième fois.

L’exil intérieur pour fuir la honte

Ce sont en partie ces enfants qui arrivent dans les centres de formation pour jeunes. Ils viennent pour la plupart de « l’intérieur », c’est à dire desdifférentes pr
ovinces du Rwanda. « Les enfants qui partent sont ceux qui n’ont pas d’avenir. La plupart n’ont pas de parents et le reste de la famille les rejette. Ilspréfèrent souffrir loin de chez eux, là où on ne les connaît pas, quitte à vivre sur les pistes. S’ils ont de l’argent pour acheter un visa et voyager, ilspeuvent partir en Europe. Mais la plupart vont à Kigali », explique Godelieve, chargée du secrétariat au centre Gatenga. Une partie des jeunes arrivent d’eux-mêmesdans les centres car ils savent qu’ils recevront une formation et un repas quotidien. D’autres sont récupérés dans la rue où ils traînent ou bien dans les centres derééducation. Quelques-uns, enfin, plus rares, reviennent d’Europe. « Un des élèves du cours de cuisine a vécu en France pendant plusieurs années. Ilest revenu peu après ses dix-huit ans, on ne sait pas trop pourquoi et il a commencé une formation ici. Il a l’air traumatisé. Il ne parle presque pas. »

Cet article fait partie de notre dossier spécial Mena (publié en décembre 2009).
Voir l’ensemble du dossier
.

Photos : Agence Alter asbl, Bruxelles.

1. La plupart des Rwandais nous confirmeront d’ailleurs que « le maïs, c’est pour les prisonniers »…
2. Report on the situation of Rwandan unaccompanied children in Rwanda, ICRC Juin 2008.

aurore_dhaeyer

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