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Regard critique · Justice sociale

Bandes urbaines : Bruxelles for Evere

BE+ c’est trois communes qui luttent ensemble contre les bandes urbaines. Ensemble, mais pas sans divergences fortes. Après Saint-Josse, Bruxelles et Evere donnent leur point de vue.

03-07-2010 Alter Échos n° 298

La cellule prévention de Saint-Josse et leur partenaire local, l’observatoire Ba ya ya, décrivaient dans le nº 295 d’Alter Échos, leur travail relatif aux «bandes urbaines ». Un travail qui s’inscrit dans un projet « trans-communal » nommé BE+. Ils lançaient alors quelques piques à leurs « partenaires »des communes de Bruxelles et d’Evere. La réponse des intéressés est aussi l’occasion de revenir sur BE+, un projet aux contours flous.

Le projet BE+ a fait couler de l’encre (un peu), notamment dans Alter Échos. BE+, pour Bruxelles Empowerment, est soutenu par le ministre de la Politique des grandes villes, et prendplace dans trois communes bruxelloises : Evere, Bruxelles-ville et Saint-Josse. Basé sur des partenariats locaux, notamment avec le monde associatif, il vise à prévenirl’émergence des « bandes urbaines ». Pour Frank Demeyere, directeur de la cellule Politique des grandes villes au cabinet de Michel Daerden (PS)1, « l’objectif estde mieux cerner le phénomène des bandes urbaines, et de donner une réponse au sentiment d’insécurité ».

Lors du précédent article, la parole était largement donnée à l’un des acteurs de ce projet, la commune de Saint-Josse et son principal partenaireassociatif : l’observatoire Ba ya ya. Cette rencontre a permis de mieux comprendre leur travail de terrain, mais aussi de découvrir les tensions entre les partenaires de BE+. Des proposdurs, qui remettaient en cause la dynamique même de BE+, avaient été tenus à l’égard des autres acteurs du projet. Pour résumer : les communes n’arriventpas à s’entendre, ne travaillent pas ensemble et ont volontairement mal défini le projet pour que chacun puisse vaquer à ses occupations. Quant à Ba ya ya, l’associationaurait été victime d’ostracisme dans un projet qu’elle avait pourtant imaginé.

Comme promis, Alter Échos se penche à nouveau sur la question, en donnant la parole, cette fois-ci, aux autres acteurs de BE+. À Evere, comme à Bruxelles, onpréfère ne pas trop s’attarder sur la polémique. « Nous ne sommes pas tous obligés de prendre Ba ya ya comme partenaire local. Ils n’ont pas l’exclusivité dutravail social. Nous ne voulions pas tout mettre en commun, car chaque commune développe sa propre politique de prévention. L’objectif était plutôt de mettre en place deslignes directrices. Nous n’avons jamais été opposés à Ba ya ya, mais ils ont soudainement lancé des critiques mensongères… », lance VéroniqueKetelaer, fonctionnaire de prévention de la Ville de Bruxelles et directrice de l’asbl Bravvo2. Les deux représentantes de la prévention à Bruxelles et Everepréfèrent insister sur leur travail quotidien.

Démystifier le terme « bandes urbaines »

À Evere, c’est Rachel Vanderhaegen, fonctionnaire de prévention3, qui met en place BE+. Elle réfute les amalgames qui peuvent être faits entre « bandesurbaines » et « jeunes délinquants » : « Ce n’est pas parce qu’ils sont en groupe qu’ils sont délinquants. Auprès de ces groupes, lorsqu’il y a unpublic en rupture, il faut des professionnels avec un discours non ambigu, il faut vraiment pouvoir comprendre le jeune. La majorité de ces jeunes ne sont pas en rupture totale, il y a de laplace pour travailler, tout en démystifiant le terme « bandes urbaines ». »

Les « bandes urbaines », un terme vague, à l’origine de multiples fantasmes. Les pouvoirs publics cherchent à comprendre ce qui se cache derrière cephénomène. Pourtant, ils utilisent ce terme, en affichant une volonté de lutter contre l’insaisissable « sentiment d’insécurité ».

Véronique Ketelaer ne nie pas les difficultés : « Il y a un phénomène de loupe sur les bandes urbaines, provoqué par les médias, une amplification.Ce ne sont pas les « gangs » de rue comme on les imagine, ou c’est très limité. Ici, il y a eu une série de meurtres, donc il y a un besoin, notamment auprès des familles.BE+ a comme vrai bénéfice d’aider à comprendre ce que sont ces bandes urbaines. On convient que ce terme pose problème. Mais nous sommes des travailleurs de terrain, noussommes pragmatiques et on ne va pas se cacher derrière l’absence de définition. On veut trouver des solutions pour ces jeunes, travailler avec leurs demandes et leurs besoins. Pouravancer sur la compréhension académique du phénomène, il y a une doctorante de la KUL qui travaille avec la commune d’Evere sur le projet BE+, elle aide aussi sur laméthodologie. »

Un texte fondateur

D’après Véronique Ketelaer, le texte fondateur de BE+ a été rédigé dans un esprit collégial. Certains objectifs étaient partagés parles trois communes : insister sur les facteurs de protection, valoriser les jeunes, proposer des activités individuelles et collectives sans négliger la nécessitéd’un accompagnement académique.

Atteindre ces objectifs suppose un travail social et un travail de rue, parfois intensif. « Notre volonté, précise Véronique Ketelaer, est de travailler sur les facteursde protection des jeunes, de valoriser leurs compétences personnelles, de leur donner toutes les chances de se réinsérer, en travaillant la relation de confiance. » Pour cefaire, les communes ont reçu une petite enveloppe de 50 000 euros, ce qui leur a permis, à chacune, d’embaucher un travailleur de rue. À Evere, comme à Bruxelles, cetravailleur de rue s’est intégré à l’équipe. Pour Sylvie Vandonghen, coordinatrice à Bravvo, « c’est grâce à ce travail que des jeunesviennent. Il faut aussi dire que le projet BE+ est complémentaire à ce qui est déjà fait : par exemple, nous utilisons le projet passerelle-jeunes pour que les jeunesaient accès aux structures jeunesse (type maisons de jeunes), le rôle de l’animateur c’est de faciliter ce lien. »

La question qui se pose, évidemment, c’est d’arriver à entrer en contact avec ces jeunes, qui évoluent parfois en dehors de tout canal d’information. Les techniquesutilisées sont désormais connues : zonages, permanences sociales ou transmission de l’information via les pairs. C’est ensuite que le travail social habituel intervient, etnotamment le travail intra-familial, avec comme objectif de travailler sur la citoyenneté active, l’émancipation, la responsabilisation. Mais ce travail social ne peut pas se faireseul, les communes ont développé des partenariats, avec des maisons de jeunes, des AMO ou, pour Evere, des associations comme Carrefour des jeunes africains, avec qui elle collaboredepuis des années et qui propose des permanences sociales. Chez Bravvo, il y a un médiateur social qui fait le lien avec les acteurs locaux en fonction de la problématique dujeune. L’ensemble du travail social, insiste Véronique Ketelaer a lieu « dans l’écoute et le respect
du secret professionnel. »

Une réponse au sentiment d’insécurité…

Si BE+ suppose un travail social individuel proche de celui déjà mis en place dans les cellules prévention, qu’est-ce qui distingue ce projet de ce qui existedéjà ? Le travail sur le groupe, très certainement. À Evere, les jeunes se voient proposer une formation de trois jours sur la communication non violente. RachelVanderhaegen estime qu’il est essentiel de comprendre les rouages du groupe, de connaître la structure d’amis. « Lorsque des changements positifs interviennent dans le groupe (avecun stage, un job ou un retour à l’école), lorsqu’on propose des activités collectives, alors une nouvelle dynamique peut s’installer. » Dans certainescaractéristiques du travail sur le groupe, on devine, en creux, des critiques de la méthode « communautaire », prônée par Ba ya ya. « Notrephilosophie est une philosophie de mixité. Il faut tenir compte des aspects culturels mais ne pas enfermer les gens là-dedans et se rappeler que chaque individu est différent.L’histoire, la communauté sont des aspects du problème de ces jeunes, mais il y en a beaucoup d’autres. Il faut enfin préciser que les « bandes » ne sont pas que subsahariennes», assène Véronique Ketelaer.

Le rapport final du projet BE+ sera remis le 15 octobre, assorti de recommandations. D’ici là, il est difficilement imaginable que les trois communes, supposées travailler ensemble,jouent les larrons en foire. Il semble pourtant que le projet ait encore de beaux jours devant lui. C’est ce que l’on peut comprendre du discours de Frank Demeyere : « BE+ est àmi-parcours, il va y avoir une évaluation et si les divergences de vues entre acteurs sont trop fortes, on proposera une médiation ; mais il serait dommage de s’arrêter car,pour nous, ce programme est important. Il faut l’élargir car il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce qui a été fait. Les divergences de vues pourraient mêmeêtre une richesse, il y a problème si les acteurs arrêtent de dialoguer. Au-delà de BE+, nous avons lancé un appel d’offres pour faire des recherches sur les bandesurbaines (cfr encadré), c’est tout un schéma qui se met en place. Il faut partir des faits et les analyser avec une approche scientifique, savoir ce que sont les bandes urbaines, quefont-elles, pour quelles raisons existent-elles et comment y remédier ? BE+ est une réponse au sentiment d’insécurité et un outil pour mieux gérer lesvilles ; il faut donc aller plus loin. »

Reste à voir sur quels critères sera faite l’évaluation : évolution du sentiment d’insécurité, parcours des jeunes, entente et partage d’objectifsentre partenaires ?

Une étude sur les bandes de jeunes ?

Dans l’associatif et les services communaux actifs en matière de prévention dans les villes, circule un document qui suscite l’émoi : une ouverture de marché parl’administration fédérale pour mener une étude sociologique sur les bandes de jeunes.
Criminalisation des jeunes ? Soumission de l’agenda politique au sensationnalisme médiatique ? Crainte des mesures sécuritaires qui seraient basées sur les mêmeshypothèses que celles qu’on retrouve ici ? Ou plus largement crainte de restrictions aux libertés fondamentales ?

Alter Échos vous laisse juge, en citant ici de larges extraits de ce document :

[…]1. Contexte

Dans l’imaginaire collectif, le terme « bande » fait référence à des actes délinquants commis en groupe. Lorsqu’un groupe de jeunes chahutent aubas d’un immeuble ou squattent un parc communal, on parlera facilement de « bande ». Ces derniers mois, la presse fait également régulièrementl’écho d’affrontements entre « bandes » de jeunes de certains quartiers, notamment sur le territoire bruxellois, pour des faits de violence qui peuvent allerjusqu’au meurtre.

Tout rassemblement de jeunes ne signifie pas nécessairement la constitution d’une bande. Le phénomène de « bandes » n’est pas toujours facile àcerner et présente de nombreuses facettes différentes, non seulement dans leur nature et dans leurs activités, parfois criminelles, de par le territoire qu’elles occupentou de certaines réalités sociologiques qui leurs sont propres.

[…] Ces rassemblements de jeunes posent de plus en plus question en ce qui concerne le sentiment d’insécurité et la sécurité du citoyen. Cephénomène est également interpellant sur les questions d’intégration et de cohésion sociale.[…]

2. Description du présent marché

La recherche portera sur l’état des lieux des bandes de jeunes en milieu (urbain) et ce, dans les 17 villes bénéficiant d’un contrat de ville durable. Uneattention particulière sera donnée aux bonnes pratiques portant sur la matière.

Comment aborder également la question des rassemblements de jeunes dans les espaces urbains ? Comment appréhender et traiter ces phénomènes ?

2.1. Missions

La mission sera construite en 5 phases :

1. Dans une phase introductive, l’adjudicataire effectuera un travail théorique ayant pour objectif de nous permettre de mieux comprendre le phénomène de « bandes». Cette phase introductive aura pour objectif de répondre à diverses questions : Qu’est-ce qu’une bande ? Quand pouvons-nous parler de bande ? Pourquoi lesjeunes éprouvent-ils le besoin de constituer une bande ? Existe-t-il une typologie en la matière ? Est-ce un phénomène propre au milieu urbain d’où le terme« bande urbaine » ? L’existence de ces bandes contribue-t-elle au sentiment d’insécurité dans les villes ? Si oui, pourquoi ? L’existence d’unebande est-elle toujours liée à la commission d’actes délinquants ? Comment explique-t-on le phénomène de délinquance en groupe ? D’autres payssont-ils confrontés à cette problématique de « bandes » ? […]

2. Dans une phase d’analyse, l’adjudicataire se chargera d’établir un état des lieux quantitatif et qualitatif de la situation actuelle des bandes de jeunes au seindes 17 villes bénéficiant d’un contrat de ville durable. Cet état des lieux comprendra un aspect :
– quantitatif : il répertoriera les différentes bandes de jeunes présentes sur le terrain et les problèmes de délinquance liés à ces bandes, le nombrede personnes engagées dans le cadre de ces bandes[…] ;
– qualitatif : il répertoriera les différents profils des membres des bandes et leur parcours de vie, le mode de fonctionnement de ces bandes, les actes de délinquanceliés à ces bandes[…].

3. Dans une phase d’échantillonnage, l’adjudicataire se chargera d’organiser des entretiens :
– d’une part avec les fonctionnaires prévention ou les responsables des services concern
és par la problématique ;
– et d’autre part, avec les fonctionnaires de police présents sur le terrain.[…]

4. Dans une phase d’approfondissement, l’adjudicataire se chargera de relever les exemples de bonnes pratiques visant le phénomène de bande de jeunes tant en Belgique,qu’en Europe, qu’à un niveau international.

5. Au terme de ces quatre phases, l’adjudicataire se chargera de rédiger les conclusions de la recherche ainsi que les recommandations adaptées aux différents niveaux depouvoirs afin d’améliorer la qualité du travail des professionnels de l’urbain.[…]

Cahier spécial des charges nº MD/PGV – 2010/01
Appel d’offres négocié sans publicités portant sur une recherche en lien avec le terrain portant sur l’état des lieux des bandes de jeunes en milieu urbain etce, dans les 17 villes bénéficiant d’un contrat de ville durable.
Pour le compte du SPP Intégration sociale, Service Politique des grandes villes.

1. Cabinet de Michel Daerden- ministre des Pensions et de la Politique des grandes villes :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 11
– courriel : michel.daerden@minsoc.fed.be
2. Bravvo asbl :
– adresse : bd Jacqmain, 95 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 279 21 50
– site : www.bravvo.be
3. Prévention Evere :
– adresse : rue Deknoop, 9 à 1140 Evere
– tél. : 02 247 63 96
– courriel : prevention@evere.irisnet.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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