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Regard critique · Justice sociale

Avortement : l'ambivalence du Conseil de la Jeunesse

Polémique au Conseil de la Jeunesse, incapable de trancher sur la question du droit à l’avortement

06-07-2012 Alter Échos n° 342

Le Conseil de la Jeunesse1 vient de publier son avis sur l’avortement. Incapable de trancher sur la notion de droit à l’avortement, l’institution est au cœur d’une vivepolémique.

Même vingt ans après la loi sur la dépénalisation de l’avortement, le débat fait encore rage. C’est peu dire que rien n’est acquis en la matière. Car cettefois-ci, ce sont les jeunes qui s’étripent sur le sujet. Le Conseil de la Jeunesse, organe francophone de représentation des jeunes, a publié un avis contesté sur laquestion, après trois mois de débats et autres empoignades.

Que dit cet avis ? Qu’il faut « informer les jeunes sur cette question », que la loi du 4 avril 1990 est un acquis social. Le Conseil de la Jeunesse souligne ensuite quel’avortement « doit être le fruit d’un réel consentement ». Les divisions du Conseil sont exposées en toute franchise. D’un côté, les tenants del’inscription de l’avortement comme un « droit humain fondamental », face à ceux qui estiment que l’avortement « ne peut être considérécomme un droit de l’homme comme les autres », « qui ne saurait être réduit à la disposition par la femme de son propre corps car l’avortement implique unedécision concernant ce qui pourrait devenir le corps d’un autre être humain ». De plus, en insistant sur la nécessité de « respecter les conditionsformelles pour pratiquer une IVG », en soulignant que « l’avortement ne doit pas devenir un acte contraceptif », on sent bien les réticences sous-jacentesà soutenir la loi. Le Conseil de la Jeunesse n’a donc pas pu trouver un terrain d’entente. Pour l’institution, l’avortement n’est pas un droit de la femme.

Depuis, la bataille de communiqués fait rage. L’association Pro-Jeunes estime que l’organe représentatif de la jeunesse en Belgique francophone « s’érigeaujourd’hui en caisse de résonance des idées les plus rétrogrades. » Un Conseil de la Jeunesse « cornaqué par un quarteron de réactionnairesprosélytes », selon Pro-Jeunes. Quant à Latitude jeunes, la Fédération des plannings familiaux des femmes prévoyantes socialistes et la Mutualitésocialiste, ils rappellent que « la dépénalisation partielle de l’avortement a ouvert un droit pour les femmes de décider librement de poursuivre ou non une grossessenon désirée. » Pour ces organisations, « le droit à l’avortement n’est en effet pas un droit de l’homme comme les autres, c’est un droit de lafemme. » Même la ministre de la Jeunesse y est allée de son commentaire, rappelant « qu’il n’est pas question, aujourd’hui, de remettre en cause des droits acquisde longue lutte. »

Un droit, jamais un acquis

Le président du Conseil de la Jeunesse, Alban Barthémy – directement mis en cause par Pro-Jeunes – regrette cette polémique. Il estime que la position du Conseilest claire : « Nous soutenons la loi actuelle. Le but du Conseil est de relayer la voix des jeunes. En cas de divergence, notre rôle est de porter sur la place publique nosdébats, et ça ne plaît pas à certains que les jeunes ne soient pas comme ils le voudraient. » Il reconnaît que la question du droit à l’avortement acréé de la division. Une division qu’il résume ainsi : « Au départ, il y avait une proposition sur la table qui a suscité un débat entre uneposition militante et une position plus réaliste. » Par position plus « réaliste », entendez celle qui ne reconnaît pas l’avortement comme undroit. Une opinion qui ne passe pas dans une grande partie du secteur Jeunesse. La Confédération des organisations de jeunesse indépendantes et pluralistes s’inquiétant decet avis qui « va à l’encontre des principes d’émancipation, d’indépendance et d’autonomie qui guident les politiques de Jeunesse au sein de laFédération Wallonie-Bruxelles ». La COJ craint que le Conseil de la Jeunesse « ne soit instrumentalisé pour le pire des résultats (larégression des droits). »

Avant d’en arriver à cette polémique virulente sur la place publique, une bataille plus discrète s’est tenue au Conseil de la Jeunesse pendant trois mois. Tout acommencé avec la proposition de deux membres du Conseil de la Jeunesse de signer la « Charte pour le droit à l’avortement » défendue par la plate-forme« Abortion right ». L’idée était alors d’accompagner cette signature d’un avis du Conseil. Dans cette première mouture d’avis, le Conseil seprononçait clairement pour que l’avortement soit reconnu comme un droit humain. La tonalité du texte était très différente de celui qui est devenu aujourd’huil’avis officiel du Conseil de la Jeunesse. On estimait que, même si ce droit existe, « il n’est jamais acquis ». D’où la volonté de signer la Charte, afin desoutenir ce droit dans d’autres pays moins bien lotis.

Surprise, ce texte n’obtint pas la majorité des deux tiers nécessaires pour devenir un avis officiel du Conseil. Du coup, pas de signature de la Charte. S’en est suivi undébat contradictoire sur la question, notamment dans un groupe de travail ad hoc sur l’avortement. Des membres de l’assemblée générale rencontrent le Centre d’actionlaïque et, « afin de chercher d’autres voix pour alimenter le débat », nous dit Alban Barthélémy, trois militants de« Génération pour la vie » sont reçus en réunion. Certains membres du Conseil de la Jeunesse s’estiment piégés, carGénération pour la vie est une organisation plutôt radicale sur la question, et c’est un euphémisme. Pour eux, l’avortement est un « assassinat », niplus ni moins. A la question « peut-on inviter des associations au discours extrémiste ? », Bénédicte Deprez, qui a milité pour que le Conseil de laJeunesse signe la Charte pour le droit à l’avortement, estime que non. « Pour moi, le Conseil ne doit pas donner une tribune ou une représentativité à descatholiques intégristes. Parmi les membres, personne ne dit ouvertement qu’ils sont contre la loi, mais ils invitent Génération pour la vie qui eux la remettent en cause endisant qu’on devrait être neutre. » Sur ce sujet, Alban Barthélémy exprime des regrets en demi-teinte : « C’était probablement une erreur de vouloiravoir un maximum d’avis. » L’organisation a donc fait le choix de publier un avis divisé sur la question du droit à l’avortement.

« Réactionnaires et intégristes »

Depuis lors, tout s’emballe. Et on comprend peu à peu les soubassements idéologiques qui ont conduit à cet avis. Jérôme Lechien, jeune médecin et membre del’assemblée générale, a fait partie de ceux qui ont poussé le Co
nseil à signer la Charte, aux côtés de Bénédicte Deprez. Ildéplore la tonalité générale des débats, pendant lesquels « beaucoup de personnes avaient des idées complètement réactionnaires etintégristes ». Ce qui le dérange au plus haut point, ce sont « ces membres du Conseil pour qui le fait que la femme puisse disposer de son propre corps, c’estaller trop loin. Pour moi, c’est très grave. Cela va à l’encontre des traités d’éthique ou des droits de l’homme ». Marie Steffens, autre membre del’assemblée générale, qui a travaillé à la rédaction de ce dernier avis, réfute le terme d’intégriste. A ses yeux, « l’avis est unmodèle de pluralisme. De vrais obscurantistes n’auraient pas signé un texte qui soutient la loi actuelle sur l’avortement. » Quant à l’audition deGénération pour la vie, elle estime qu’il aurait été « idiot de ne pas écouter leur point de vue. L’avis démontre qu’on ne les a pas suivis, caril n’a rien à voir avec leur position. » Pour cette membre du Conseil de la Jeunesse, « le droit des femmes à disposer de leur corps n’est pas remis en cause. Maisc’est la reconnaissance de l’avortement comme un droit humain qui est contestée. Nous disons juste que l’avortement, c’est plus compliqué que de disposer de son corps. Il s’agit aussidu corps de ce qui pourrait devenir un être humain. » Un argument qui agace profondément les défenseurs du droit à l’avortement. Jérôme Lechien amême proposé de discuter de cette question : « Je leur ai dit qu’il fallait définir de quoi on parle. A partir de quand ils considèrent qu’on ne peut plustoucher à l’embryon. Sur cette question, il n’y avait pas de réponse. Dès qu’on rentre dans l’argument scientifique, ils sont mal à l’aise. »

Alors le Conseil de la Jeunesse a-t-il été noyauté par des religieux radicaux ? Certains l’affirment sous couvert d’anonymat. D’autres montrent du doigt les jeunes CDH,représentés en nombre au Conseil de la Jeunesse.

Quant à Bénédicte Deprez, elle explique cette division par plusieurs facteurs : « Il y a des opinions différentes au Conseil, et c’est certain que c’est ducôté conservateur et catholique qu’on trouve ceux qui refusent la notion de droit. Ils ne sont pas à l’aise avec ça. Mais il y a d’autres raisons. Certains membres seservent du Conseil de la Jeunesse pour leur future carrière politique. Ils bloquent les débats pour de petites stratégies politiciennes – pensant que cette Charteétait téléguidée par les socialistes. »

Derrière les batailles rangées entre jeunes très politisés, une question inquiétante reste entière : cet avis représente-t-il vraiment ce quepensent les jeunes en Belgique francophone ?

1. Conseil de la jeunesse :
– adresse : boulevard Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 29 30
– courriel : conseil.jeunesse@cfwb.be
– site : www.conseildelajeunesse.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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