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Regard critique · Justice sociale

L’Armée du Salut, tout le monde l’a déjà au moins croisée une fois dans sa vie, en particulier à Noël, où nombre de salutistes, chantantautour d’une marmite ou d’un brasero, collectent des dons dans différents quartiers commerçants du pays. Mais que font-ils en dehors de ces sorties hivernales ? Beaucoup degens l’ignorent. Or, si la Belgique n’est pas le plus grand centre salutiste d’Europe, elle compte néanmoins 14 postes d’évangélisation et 12 centressociaux qui tournent avec quelque 90 salariés. Des centres sociaux, agréés, subsidiés mais dont la philosophie diffère assez bien des centres sociaux classiques ettire sa doctrine de principes évangéliques venus tout droit du XIXe siècle.
L’Armée du Salut1 est une organisation religieuse et charitable de caractère international qui fut créée à Londres dans la deuxième moitié duXIXe siècle par un pasteur méthodiste du nom de William Booth. Il est intéressant de se pencher sur l’historique de sa création pour en comprendre les rouagesactuels.
Historique
William Booth, fondateur de l’Armée du Salut, passe son adolescence dans un quartier pauvre de la ville industrielle de Nottingham. Employé d’un prêteur sur gagesdès l’âge de 14 ans, il trouve dans son métier de nouvelles occasions de contact avec les plus défavorisés. Anglican par sa famille et sa premièreéducation religieuse, il se rattache à l’Église méthodiste à l’âge de 13 ans. Quelques années plus tard, il devient prédicateurlaïc, après avoir passagèrement subi l’influence du chartisme. Devenu pasteur par la suite, il commence à prêcher des campagnes de réveil. Mais, en 1861,il lui faut quitter cette organisation, qui n’accepte pas l’idée qu’il se fait d’un ministère itinérant auprès des classes les moinsfavorisées. Elle accepte encore moins que Mrs. Booth prêche tout comme son mari, et avec autant de succès.
La rupture avec le méthodisme officiel conduit le ménage Booth à une activité indépendante, bientôt fixée dans le quartier ouvrier et pauvre del’East End londonien. Cette mission sous la tente, difficile mais menée selon les meilleures traditions méthodistes primitives (chant, ap-pels à la conversion,témoignages), connaît un succès rapide. La question se pose alors de rassembler les convertis et de les organiser pour que, par eux, l’évangélisation puissecontinuer.
De cette idée et de cette nécessité naît, en 1865, la Mission chrétienne de l’Est de Londres, sur le modèle des dénominations méthodistesdéjà existantes. Mais cette organisation, qui suppose un certain sens des responsabilités collectives, une habitude de l’administration, en un mot un certain degréde respectabilité sociale, se révèle rapidement décevante et trop lourde à manier, dans une situation qui exige des initiatives et des décisions rapides etosées. En 1878, la Mission est transformée en Armée du Salut. William Booth en devient le général.
Sous son commandement, les évangélistes et les convertis sont organisés de façon paramilitaire, selon la hiérarchie de l’armée anglaise. Ils’agit de gagner le monde à Jésus-Christ en faisant la « guerre » au péché. Les convertis qui le désirent deviennent des « soldats », assurant un service nonrétribué à temps partiel, après leurs heures de travail. La possibilité leur est offerte, selon leurs aptitudes, de devenir « officiers », c’est-à-dire »ministres » à temps complet et rétribués, après deux années d’ »école de guerre », c’est-à-dire de formation théorique etpratique.
Hommes et femmes ont accès à toutes les responsabilités, y compris la prédication. Ce dernier trait attire de nombreux quolibets et des oppositions àl’œuvre de Booth, comme la prédication sur les places, dans les rues, etc., lui en avait déjà créés.
Géographiquement, l’Armée est organisée en postes, formés en divisions, puis en territoires ; le grand quartier général de Londres couronne le tout,avec le général à sa tête. Celui-ci coordonne l’action au niveau mondial et fixe les grandes orientations. Le général actuel est legénéral John Gowans, son épouse est la commissaire Gisèle Gowans-Bonhotal. L’orga-nisation rationnelle et centralisée de l’œuvre ne laisse rienà envier à celle d’une armée véritable : uniforme, règlement, hiérarchie. En particulier, une discipline constante et sévère y estexercée.
Principes
Les croyances de l’Armée du Salut sont celles du méthodisme, avec une insistance particulière sur la sanctification comme expérience subjective distincte de laconversion. Dans l’ensemble, la position salutiste en théologie peut être qualifiée de traditionaliste sinon de fondamentaliste. Mais, dans l’Armée,l’accent est mis beaucoup plus sur la pratique de la vie chrétienne que sur l’expression intellectuelle de la foi. Pour comprendre ce fait, il faut se rappeler que William Booth avisé à discipliner des convertis au passé chargé, pour lesquels les subtilités de la pensée comptaient moins qu’un règlement de vie. Il est doncdifficile de se faire une idée des positions salutistes en certains domaines, spécialement dans celui de l’ecclésiologie et des sacrements. Elle ne célèbreaucun sacrement (baptême ou cène) et laisse ses membres libres sur ce point.
L’Armée se considère, d’abord, comme un mouvement d’évangélisation. Son travail est axé sur la proclamation de l’Évangile. Sesmembres sont appelés, au-delà de l’expérience de la conversion comprise à la manière méthodiste, à celle de la sanctification selon lamême tradition. Aujourd’hui, l’Armée du Salut est implantée dans 108 pays et rassemble 2,5 millions de salutistes à travers le monde. Elle participe àl’aide au développement en Afrique, en Asie et en Amérique latine où elle crée et cogère des programmes agricoles, médicaux et des structuresd’enseignement. Elle dispose d’un journal, En avant, publié par le quartier général.
Les structures de l’Armée du Salut se subdivisent en quatre niveaux :
> La santé : 60 hôpitaux et maternités, 292 dispensaires, 52 instituts pour aveugles, sourds et muets, handicapés moteurs, 30 maisons de convalescence.
> L’enseignement : 1.500 établissements scolaires
> L’action sociale : L’Armée du Salut gère 6.500 centres sociaux à travers le monde :
– Urgence : centres de distribution de nourriture, centres d’accueil d’urgence, foyers
logements.
– Femmes : foyers maternels, centres d’accueil.
– Enfance et adolescence : haltes-garderies, centres aérés, centres de vacances.
– Personnes âgées : maisons de retraite.
– Soins : centres de convalescence, cen-tres de soins pour alcooliques et toxicomanes.
– Prisonniers : centres d’accueil pour les anciens détenus à leur sortie de prison.
– Autres : foyers de marins, centres de réadaptation par le travail
> L’Armée du Salut est également église : 15.000 postes d’évangélisation, 17.417 officiers, 110.000 officiers locaux, 2,5 millions de « soldats » et desympathisants (membres effectifs de l’église). L’évangile est annoncé dans 138 langues et dialectes.
En Belgique, l’œuvre de l’Armée du Salut débute en 1889 dans la ville de Malines. Aujourd’hui, l’œuvre est répartie en 14 postesd’évangélisation (dont trois en Flandre) et 12 centres sociaux (dont un en Flandre, cf. détails dans l’encadré). Le quartier général actuel setrouve au 34, place du nouveau Marché aux grains à Bruxelles. Son « chef de territoire » est le colonel Keith Howarth. Il est le président des deux asbl que comptel’Armée du Salut en Belgique. Son épouse, la colonelle Patricia Howarth, est la responsable des sections féminines. Nous avons rencontré le colonel Howarth etl’avons interrogé sur le fonctionnement et la philosophie des centres sociaux de l’Armée du Salut belge.
AE – Comment fonctionnent les centres sociaux de l’Armée du Salut, uniquement sur la base de bénévolat ?
Colonel Howarth – Non, en fait nous avons très peu de bénévoles, les centres sociaux sont gérés presque à majorité par des personnesqualifiées et rémunérées. Nous avons en tout pour nos 12 centres sociaux quelque 90 personnes salariées et une quinzaine de personnes qui travaillent au quartiergénéral à Bruxelles. Toutes les institutions sont dirigées par des officiers, des soldats ou des civils secondés par des collaborateurs qualifiés. Noussommes subsidiés à 90% par l’État, le reste provenant de différents dons et de la vente des magasins de seconde main.
AE – Qu’est-ce qui distingue un centre social de l’Armée du Salut d’un autre centre ?
C. H. – Le caractère essentiel de l’Armée du Salut est qu’elle accorde à l’action sociale la même valeur qu’à la prédication. Ondit souvent : « Ventre affamé n’a pas d’oreilles…”. Les premiers salutistes ont très tôt discerné cette vérité : on ne peutprêcher l’Évangile à un homme qui a faim et froid. Notre devise : “soupe, savon et salut” reflète bien cette philosophie. Il s’agit d’abord desubvenir en priorité aux besoins vitaux tels que nourriture, vêtement, logement, hygiène et santé en général. La première démarche qu’aentrepris l’Armée du Salut à ce niveau a été l’hébergement de personnes marginales, sans abri, victimes de l’alcoolisme et de la prostitution.Avec le temps, d’autres nécessités se sont révélées auxquelles il a fallu faire face, on a donc ouvert d’autres institutions comme les foyersd’accueil, d’hébergement, les maisons de convalescence, les magasins de seconde main, etc. William Booth, notre fondateur, déclarait : « Le premier pas vers le Salutd’un homme est de lui redonner le respect de lui-même. » Notre vision peut donc se résumer ainsi : aider – guérir – susciter l’espoir.
AE – Mais pensez-vous réellement accorder le salut aux personnes qui s’adressent à vous ?
C.H. – Nous sommes clairement un mouvement évangélique, les personnes qui fréquentent nos centres ne sont pour la plupart pas croyants et souvent ne le deviennent pas une foissortis. Toutefois, nous leur proposons, sans jamais les obliger, de participer à nos célébrations, de venir parler, de disposer d’une guidance spirituelle. S’ils enéprouvent le besoin, ils savent qu’il y a toujours quelqu’un prêt à les accompagner mais je le répète, jamais nous n’en faisons une obligation,c’est une invitation à laquelle les personnes sont libres de répondre ou pas. Il est clair que nous sommes contents lorsqu’un l’un deux se convertit maisproportionnellement, il y en a peu par rapport au nombre de gens que nous accueillons.
AE – Sur votre site Internet2, on retrouve des phrases telles que « nombre d’ivrognes et de dépravés sont arrachés à leur vie de débauche », »l’évangélisation est une lutte livrée aux forces du mal », vous parlez d’ »arracher à la misère et au vice », de « convaincre de croire en Dieu etd’abandonner le péché »… On a quelque peu l’impression, à vous lire, que vous n’avez guère quitté le XIXe siècle, du moins en termesde vocabulaire… Considérez-vous toujours actuellement qu’il faille tirer les personnes qui fréquentent vos centres du vice et du péché?
C.H. – Cela peut paraître en effet quelque peu désuet, c’est une question de vocabulaire. Nous pensons effectivement, par exemple, qu’une personne qui est alcoolique nepeut se respecter lui-même et être épanoui. Contri-buer à le sortir de son alcoolisme, lui redonner un but, l’aider à se réinsérer, c’est cequ’on nous appelons le sortir du vice, même chose pour quelqu’un qui sort de prison, de prostitution ou dilapide l’argent du ménage, si nous arrivons à traversnos différents centres à le réinsérer et à le sortir de ses difficultés, c’est déjà une grande étape mais malheureusement nousn’y arrivons pas toujours.
AE – Autre aspect qui peut paraître désuet et rébarbatif a priori : l’uniforme porté par votre organisation. En quoi est-il nécessaire ?
C.H. – Il fait partie intégrante de notre identité. Lorsque vous voyez l’uniforme du salutiste, vous savez à qui vous avez à faire quel que soitl’endroit où vous vous trouvez. L’uniforme désigne Ie salutiste comme un chrétien. Il est le point de repère dans la foule pour quiconque a besoin d’une aidespirituelIe, morale ou matérielle. Nous avons souvent été critiqués sur ce sujet et sur l’aspect militaire de notre organisation mais c’est aussi ce qui faitnotre force et nous ne sommes pas prêts d’en changer.
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L’Association des œuvres sociales de l’Armée du Salut en Belgique est en charge d’une mission globale dans le domaine de l’action sociale : prévention, aideà la réinsertion, secours d’urgence. La Major Noélie Lecoq est la vice-présidente des asbl. Elle est en outre responsable de l’œuvre sociale et del’immobilier de l’Armée du Salut en Belgique. L’Association compte :
à Bruxel
les
– un centre d’accueil pour hommes (Foyer Fabiola, cf. article dans ce numéro, page 30)
– un magasin de seconde main (Foyer Fabiola)
– une hôtellerie sociale (Foyer Bodeghem)
– un centre de suivi en autonomie (l’Habitat accompagné)
– un centre de médiation de dettes (Koekelberg)
– un foyer pour réfugiés reconnu par la Croix-Rouge (Foyer Selah)
– un centre d’accueil pour femmes (Maison de la Mère et l’Enfant)
– une maison d’hébergement pour enfants (Clair Matin, accueille 40 enfants)
– un service social d’aide aux familles (L’Aide aux Familles)
à Liège
– un centre d’accueil pour hommes
– un magasin de seconde main
à Anvers
– un centre d’accueil pour hommes (Assistance par le travail)
– un magasin de seconde main
à Spa
– un centre de rencontres (Villa Meyerbeer)
Nous avons visité l’un des centres de l’Association des œuvres sociales de l’Armée du Salut, le Foyer Fabiola, qui héberge des hommes seuls. Reportage dansce numéro, page 30.
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1 Armée du Salut, place du nouveau Marché aux grains, 34 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 513 39 04, fax : 02 513 81 49, e-mail : Jean_Olekhnovitch@BEL.salvationarmy.org
2 http://www.armeedusalut.be

catherinem

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