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Regard critique · Justice sociale

APE : bain de sang ou cure de jouvence ?

Alter Échos tente d’apporter un peu de lumière dans l’imbroglio actuel au sujet du système APE.

14-02-2010 Alter Échos n° 289

Où en est le système APE ? Entre annonce de reconduction des postes et rumeurs de « bain de sang social » dans le secteur de la culture, il est quelquefoisdifficile d’y voir clair. Alter Échos tente d’apporter un peu de lumière…

Le 29 décembre 2009, André Antoine (CDH)1, ministre de l’Emploi et de la Formation de la Région wallonne, annonce la reconduction des 3 000 emplois APE du PlanMarshall 1 dont les décisions arrivaient à terme à la date du 31 décembre. Si cette déclaration rassure quelque peu les employeurs (surtout ceux des secteurs de laJeunesse, de l’Enfance, et de l’Aide aux familles, principalement concernés) dans les rangs desquels de nombreuses rumeurs de suppression de points APE circulaient, la situation n’est pas pourautant apaisée. En effet, le 13 janvier 2010, en session du parlement de la Communauté française, Fadila Laanan (PS)2, ministre de la Culture et de l’Audiovisuel,répond à une question de Pierre-Yves Jeholet (MR). Au cours de l’échange, le chiffre de 1 000 emplois APE supprimés dans le secteur de la culture estévoqué. Ce qui pousse l’opposition à s’inquiéter de ce qu’elle présente comme « un bain de sang social » dans le secteur culturel. Alorsquoi ? Maintien ? Suppression ? Voici quelques précisions.

André Antoine ne ment pas

En annonçant fin 2009 que les postes APE du Plan Marshall 1 seront reconduits, André Antoine ne ment pas. Estimé à environ 586 millions d’euros pour 2010, le budget APEest en effet divisé en différents postes de financement. Au rang de ceux-ci, l’APE dit « classique » (relevant strictement du cadre du décret APE de 2002)financé à hauteur de 526 millions euros et les emplois garantis par le Plan Marshall 1 pour un montant d’un peu plus de 40 millions d’euros. Lors de la conférence de presse,c’est le renouvellement de ce dernier montant qui est entre autres annoncé, comme le précise Philippe Mattart, chef de cabinet d’André Antoine. « En toute logique,cette somme devrait couvrir toute la durée du plan [NDLR cinq ans], déclare-t-il. Néanmoins, le ministre va réoctroyer des décisions tous les deux ans. Je pensequ’il est bon pour les projets de mettre le pied à terre régulièrement afin de faire le point. C’est une question de bonne gestion et il est mieux de procéder commeça plutôt que d’avoir à effectuer des inspections… »

Concrètement, les projets aujourd’hui reconduits le sont donc jusqu’en 2011, avant réévaluation. Si la nouvelle est bonne, des retards ont cependant étéconstatés depuis dans la notification de renouvellement faite aux employeurs. Un problème. « Vu que les notifications du ministre n’étaient pas arrivées, leForem a demandé aux structures de récupérer le fonds de roulement qui leur est octroyé en début de projet », affirme Pierre Malaise, directeur de laCessoc (Confédération des employeurs des secteurs sportif et socioculturel)3. Une situation qui, d’après Philippe Mattart, serait en passe d’êtreréglée : « Le ministre continue de signer des décisions. À ce jour, environ 50 % des structures ont reçu la notification. Les autres devraientla voir arriver durant le mois de février. » Selon certaines sources, une confirmation de la reconduction de toutes les décisions, même sans notification officielle,devrait également être faite auprès des employeurs. À charge pour ceux-ci de renvoyer la fiche signalétique du travailleur APE afin de pouvoirbénéficier de la libération des sommes APE et, partant, d’une nouvelle libération du fonds de roulement.

Une théorie du complot ?

Concernant le débat ayant eu lieu au parlement de la Communauté française, l’imbroglio se révèle un peu plus compliqué à défaire.Première clarification : certains postes APE, notamment dans le secteur de la culture, sont en effet bel et bien menacés. « Sous la législatureprécédente, Jean-Claude Marcourt (le prédécesseur d’André Antoine) a octroyé un bon nombre d’APE à durée déterminée au secteur dela culture, note Frédéric Clerbaux, conseiller juridique à l’Unipso (Union des entreprises à profit social)4. À cela s’ajoute le fait que l’annéepassée, pour la première fois, il y a eu surconsommation du budget APE, ce qui a eu pour conséquence que cette année, des économies doivent êtreréalisées5. » En clair : certains pourraient affirmer que Jean-Claude Marcourt (PS) a « préparé » la situation actuelle enoctroyant bon nombre de points APE à durée déterminée et en consommant « à fond » le budget APE. Pour ensuite refiler la patate chaudeà André Antoine qui n’a pas eu d’autre choix que de « couper » quelque part. Avec d’autant moins de « scrupules » que la culture ne fait paspartie des chantiers prioritaires énoncés dans la déclaration de politique régionale wallonne.

Une théorie que l’on ne réfute bien sûr pas du côté du cabinet de l’élu CDH (« Quand le ministre a reçu les dossiers, vu la situationéconomique et la déclaration de politique régionale, il a fallu faire des choix », nous dit Philippe Mattart), où l’on affirme toutefois ne pasconsidérer la culture comme le parent pauvre du système APE, avant de réfuter une « théorie du complot » qui voudrait que le secteur de la culturesoit en danger. D’après le ministre, qui répondait le 20 janvier à une série d’interpellations, la culture représenterait un emploi sur huit parmi les 16 000équivalents temps plein APE que compte le non-marchand, soit 1 998 unités. Un chiffre qui classerait le secteur à la cinquième place des secteursbénéficiant des emplois APE.

Un APE couleur sang ?

Peut-on dès lors parler d’un futur bain de sang social ? Au regard des chiffres cités lors de l’échange entre Fadila Laanan et Pierre-Yves Jeholet et vu lesconsidérations budgétaires déjà évoquées, on pourrait le penser. Seul hic : beaucoup d’intervenants, et certains au sein même du secteur de laculture, se demandent comment la ministre socialiste a pu avancer un tel chiffre. Il n’existerait en effet à l’heure actuelle aucun cadastre régional de l’emploi APE. Il seraitdès lors impossible d’estimer le nombre d’emplois à durée déterminée en voie d’être supprimés, ce que confirme Philippe Mattart.« Franchement, je ne pense pas qu’il existe des chiffres concernant les emplois APE à durée déterminée. Pou
r les reconductions, le ministre prend en effet sadécision motivée au cas par cas par rapport aux dossiers que l’administration lui soumet. Il est donc impossible de faire des prévisions. »

Ce flou, s’il pourrait bien arranger André Antoine dans ce cas-ci, semble de manière générale embêter profondément les acteurs du secteur de la culture.« Les critères de refus ou de reconduction des points ne sont pas clairs, pas expliqués », affirme en effet Pascal Sac, porte-parole de Fadila Laanan, qui confirmeau surplus les chiffres avancés par la ministre. « C’est une estimation, car nous ne pouvons pas vraiment chiffrer précisément les postes créés avantl’entrée en fonction de la ministre. Mais nous ne devons pas nous tromper de beaucoup. Et cela pose problème. Nous ne demandons pas de points supplémentaires, nous sommesconscients de la situation budgétaire, mais nous voudrions que l’on ne touche pas aux projets en cours. Il faut que les décisions soient prises de manière objective, sans apriori par rapport à un secteur. » Une référence au fait que le ministre Antoine pourrait avoir tendance à privilégier des projets plus« utiles » que d’autres ? Si le cabinet du ministre se garde bien de confirmer cette affirmation, certaines déclarations tendant à comparer des projetsculturels à d’autres initiatives plus « sociales » pourraient donner du grain à moudre aux plus suspicieux.

En guise de conclusion

Au moment de conclure ce débat parfois confus, c’est peut-être auprès de l’Unipso et de Frédéric Clerbaux qu’il faut aller chercher « la »tirade décisive. « Ce qu’il faut savoir, c’est que beaucoup de postes du secteur culturel sont des postes transférés d’anciennes mesures comme les ACS loi-programme.Et ce sont des postes à durée indéterminée. Dès lors, parler de « bain de sang social » dans la culture, il faut voir… Cela dit, il serait évidemmentintéressant d’en savoir un peu plus et d’avoir une idée du nombre d’APE à durée déterminée qui seraient menacés… »

1. Cabinet d’André Antoine :
– adresse : rue d’Harscamp, 22 à 5000 Namur
– tél. : 081 253 811
– courriel : andre.antoine@gov.wallonie.be
– site : www.min.antoine.be
2. Cabinet de Fadila Laanan :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 801 70 11
– courriel : info.lanaan@cfwb.be
– site : www.fadilalaanan.net
3. Cessoc :
– adresse : rue Josaphat, 33 à 1210 Bruxelles
– tél.: 02 512 03 58
– courriel : info@cessoc.be
4. Unipso :
– adresse : av. Reine Astrid, 7 à 1440 Wauthier-Braine
– tél. : 02 367 23 90
– courriel : unipso@unipso.be
– site : www.unipso.be
5. Les surplus du budget APE dégagés les autres années étaient reversés dans le fonds de réserve du Forem, fonds qui était ensuite utilisé pourdes attributions nouvelles, au cas par cas, pour rencontrer des besoins spécifiques. La surconsommation a donc réduit la marge de manœuvre ainsi dégagée. D’oùles économies.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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