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"Absence de politique pénitentiaire en Belgique : l'OIP dénonce (I)"

10-06-2002 Alter Échos n° 122

Pour la deuxième fois depuis sa création, en 1997, la section belge de l’Observatoire international des prisons présente une synthèse de l’état desprisons portant sur les observations récoltées par ses groupes locaux en 2000 et 2001. Un rapport extrêmement sombre et critique qui arrive juste après la grève desgardiens et approfondit les différents constats effectués ces dernières semaines. Pour l’OIP, la réalité carcérale elle-même hypothèque en bonnepartie les projets en matière de réinsertion après la sortie. Nous passons en revue cette situation, en gardant pour une prochaine édition les questionsspécifiquement relatives au travail et à la formation des détenus.
«Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons». C’est par ces mots de Dostoïevski que s’ouvre le secondrapport de l’Observatoire international des prisons (OIP), section belge, rendu public ce 3 juin. Le constat est engagé.
Comme le précise la présidente, Juliette Béghin, «nous sommes militants et notre travail ne peut pas être considéré comme scientifique.»Bénévoles, les membres de l’OIP collectent toutes les informations relatives aux maisons pénitentiaires (rumeurs, témoignages, etc.). Ils tentent ensuite de lesrecouper, de les vérifier auprès des proches des détenus, des visiteurs de prison, des avocats, du personnel pénitentiaire. «Seules, précise JulietteBéghin, les informations vérifiées sont publiées dans le rapport.»
Objectif? «Contribuer à mettre en lumière un univers qui repose sur un fonctionnement opaque et en complète opposition avec les règles démocratiques»,peut-on entre autres lire dans l’avant-propos. «En effet, les murs des prisons symbolisent, outre l’exécution de la peine, un monde clos régi quasi entièrementsur un système de ‘faveurs’ et donc, sur des pratiques discrétionnaires instrumentalisant à l’infini les notions d’ordre et de sécurité.Selon l’établissement, les repères changent et, au sein même de chaque établissement, l’interprétation des règles varie, explique JulietteBéghin. À l’heure actuelle, il n’existe aucune politique pénitentiaire cohérente. La gestion s’organise au ‘coup par coup’ et est souventqualifiée de ‘bricolage’. Outre un règlement qui date de 1965, il existe des centaines de circulaires ministérielles qui ont pour caractéristiqued’être contradictoires, facilement modifiables, disparates et difficilement accessibles. Pour le reste, chaque prison s’organise autour des notes de service interneségalement modifiables au gré des ‘événements’.»
Dans un tel contexte se pose la question de l’égalité de traitement selon les établissements, mais aussi la question de la crédibilité des visées deréinsertion qui émergent des discours officiels. «Comment atteindre un tel objectif si, au départ, l’individu se voit conférer un statut insécurisant,incohérent et infantilisant en termes de droit mais également en termes identitaires?» s’interroge l’OIP.
Surpopulation
Selon l’OIP, l’augmentation des détentions préventives, des longues peines et un blocage des libérations conditionnelles aggravent la surpopulation dans les prisonsconduisant à une moyenne de taux d’occupation de 127% (8.319 détenus dont 309 femmes, pour une capacité d’accueil de 6.890 places). «On accepte d’entasserdes personnes dans une cellule conçue pour n’en accueillir que la moitié. Tout ça pendant des mois, et durant 23 heures sur 24, témoigne Juliette Béghin.À Jamioulx par exemple, il existe une cellule prévue pour six détenus qui en accueille 14. Toujours dans la même prison qui connaît un taux de surpopulation record,160%, l’arrivée d’un détenu peut parfois être comparée à ‘une opération de chargement de bétail‘: les détenuss’opposent à l’arrivée d’un codétenu et les agents utilisent des moyens de contrainte pour imposer le nouvel arrivant.»
Soins de santé
Usage de drogues, consommation d’alcool, hépatites virales, tuberculose, sida et autres maladies sexuellement transmissibles sont des problèmes fréquents dans le milieucarcéral. À ces problèmes de santé s’ajoutent une hygiène bucco-dentaire médiocre, un manque d’exercices physiques et de mauvaises habitudesalimentaires. Le stress psychologique causé par l’incarcération engendre des états dépressifs, des troubles du sommeil, des automutilations, des grèves de lafaim conduisant parfois au suicide. «On accepte aussi que des personnes ayant des troubles mentaux, psychiatriques, soient placées dans des lieux nommés annexes psychiatriques quine bénéficient ni de moyens, ni du personnel qualifié en suffisance.» Et Juliette Béghin de citer l’exemple de ce détenu de 19 ans placé àl’annexe psychiatrique de la prison de Forest et qui, au cours de ses 12 mois d’emprisonnement, n’a vu un psychiatre que trois fois (une séance pourl’électroencéphalogramme et deux entretiens) et n’a bénéficié d’aucun traitementý «Il suffit d’ailleurs de jeter un œilsur l’annexe de Jamioulx pour se croire en ex-URSS : les détenus tournent dans une pièce comme des zombies. Les établissements de défense sociale posent aussiproblème, lorsqu’on sait que celui de Paifve est resté longtemps sans psychiatre. À Gand, il y a une centaine d’internés pour dix-sept places disponibles. Deuxsuicides en deux mois de temps ont eu lieu en 2001. On accepte que l’organisation et la pratique des soins de santé révèlent des lacunes qui constituent une réelleviolation du droit à la santé. Il suffit de citer les propos d’un médecin de prison qui avoue ne pouvoir pratiquer que de la ‘médecinevétérinaire’ parce qu’il n’a ni les moyens, ni l’espace, ni l’équipe, ni le temps requis pour traiter certaines pathologies. Cette situation peutaller jusqu’au décès de personnes pour inadéquation de soins.»
Suicides
Le bilan 2000-2001 de l’OIP relève une augmentation du taux de suicide au sein de la population carcérale. En 1998, 29 suicides avaient été enregistrées. En2000, il y avait officiellement 16 suicides. Ce chiffre est passé à 24 suicides en 2001 sans que le nombre de tentatives soit connu. Une absence de statistiques dans le rapportd’activité de la direction générale des établissements pénitentiaires qui est, selon l’OIP, révélatrice du peu de cas qui est fait destentatives de suicide en prison. «Les établissements réagissent de mani&egr
ave;re à neutraliser l’auteur de la tentative et peuvent même adopter des sanctionsdisciplinaires à son encontre. Les tentatives sont vécues par le personnel et la direction comme une forme de chantage de la part des détenus au point que les assistantessociales, les psychologues, les psychiatres, ne sont pas toujours mis au courant des tentatives alors que celles-ci renvoient en général à des problèmesvéritables.»
Services psychosociaux
«Personne ne peut encore, sans se couvrir de ridicule, soutenir que la prison a une fonction’re-socialisante’», explique Juliette Béghin. Les services psychosociaux ne jouentpratiquement plus qu’un rôle d’expertise dans le cadre des différentes modalités d’application de la peine : semi-liberté, congépénitentiaire, libération conditionnelle, etc. La Communauté française compétente pour ‘l’aide aux détenus’2 réserve au secteur desmoyens financiers et humains réduits et est donc incapable de remplir adéquatement les engagements qui sont les siens. De nombreux détenus rapportent leur difficultéà obtenir une consultation psychologique ou un entretien avec l’assistant social. Il leur faut rédiger de nombreux rapports et insister en permanence sur l’urgence pourqu’un rendez-vous leur soit accordé et de nombreux rapports sont laissés sans réponse à tel point que souvent les détenus n’ont rencontré uneassistante sociale que lors de leur libération conditionnelle. À Saint-Gilles, une intervenante mettait en avant que l’aide psychologique ne constituait qu’un tiers de sontravail et que les entretiens individuels avec les détenus, autre que du travail d’évaluation, ne dépassaient que rarement 10 minutes ou 1/4 d’heure. Il y avait enjanvier 2000 une moyenne de un psychologue pour 117 détenus alors qu’idéalement, il devrait y en avoir quatre fois plus. C’est d’ailleurs une des raisons pourlesquelles les services psycho-sociaux ont fait grève en 2000-2001.»
Et l’OIP de conclure que l’absence de politique pénitentiaire a des répercussions sur l’ensemble de la vie en détention, et a pour conséquence unepriorité accordée à la sécurité au détriment d’autres fonctions tels l’aide, l’accompagnement et la réinsertion. «Le constatque la quasi-totalité de la population carcérale est issue de milieux défavorisés et l’absence d’une réelle politique pénitentiairedémontrent à suffisance qu’il n’existe pas une réelle volonté politique de venir en aide à ces populations. Preuve en est la progression duphénomène de surpopulation, ainsi que le peu d’intérêt accordé au processus de réforme carcéral en cours au Parlement (cf. encadré). Ceconstat est d’autant plus inacceptable que l’incarcération provoque des pertes irrémédiables (rupture des liens familiaux, perte du logement, du travail et perte desoi), accentuant ainsi encore un peu plus la situation de précarité.»
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Un guide du prisonnier
Poursuivant dans sa volonté de rendre la prison plus transparente, la section belge de l’OIP a édité récemment avec la Commission Prisons de la Ligue des droits del’homme et le barreau de Liège le premier «Guide du prisonnier»5 de Belgique, outil destiné aux détenus mais aussi à leurs proches et à toutepersonne ou association en contact avec le monde pénitentiaire pour l’aider à s’y retrouver à travers les méandres d’un «univers opaque, versatileet discrétionnaire». L’ouvrage expose de manière très claire les quatre principales étapes de l’itinéraire du détenu : del’entrée en prison à sa sortie, en passant par le jugement et la vie en milieu carcéral.
> D’abord, l’entrée en prison avec les types de détention et d’établissements pénitentiaires, ainsi que les interlocuteurs du détenu, lors deson incarcération;
> ensuite le fait d’être jugé, avec la possibilité d’être assisté par un avocat, le déroulement de l’instruction, le jugement et les voiesde recours;
> l’existence en prison, avec tous les aspects quotidiens qui s’y rapportent (logement, nourriture, vêtements, soins de santé, formation activités culturelles,sportives, travail en prison,…); les droits des détenus, qu’ils soient civiques ou sociaux ou en matière disciplinaire.
> Enfin, l’ouvrage aborde également la sortie de prison et la manière dont elle se déroule.
Un manuel qui devrait interpeller tout le monde politique à l’heure où le projet de loi sur le futur statut du prisonnier semble s’enliser à la Chambre, faute devolonté politique d’en faire une priorité. Autre sujet de réflexion : qu’une telle initiative provienne du milieu associatif devrait poser questions…
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1 La section belge de l’OIP est parrainée par la Ligue des droits de l’homme. Ses coordonnées : rue de l’Enseignement, 91 à 1000 Bruxelles, contact : JulietteBéghin, tél. : 02 650 38 91, fax : 02 209 63 80.
2 Le Guide du prisonnier, sous la direction de P. Charlier, Ph. Mary, M. Nève et P. Reynaert, Éd. Labor, Bruxelles, 2002, 12 euros.

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