Pour les personnes se déplaçant en fauteuil roulant, la voie publique recouvre de multiples dangers. Entre 2005 et 2023, 30 ont été blessées légèrement, deux grièvement et cinq sont décédées dans les 30 jours. Ces chiffres proviennent des services de police, sur la base des rapports établis à la suite des accidents de la route ayant entraîné des dommages corporels. Les circonstances de ces accidents sont en revanche inconnues. Les études et statistiques consultées sur les accidents de la route en Belgique font rarement référence à cette catégorie de la population, alors qu’elle en subit aussi les conséquences. Il est vrai que, comparées aux autres usagers de la route «vulnérables» – en 2024, 89 cyclistes ont été tués sur les routes belges, selon les derniers chiffres de Statbel –, les personnes en fauteuil roulant semblent relativement épargnées. «Très peu de personnes à mobilité réduite sont touchées sur les 10.000 accidents corporels par an en Wallonie», constate Belinda Demattia, porte-parole de l’Agence wallonne pour la sécurité routière (AWSR). La raison principale? «Parce qu’elles sont moins présentes sur les routes que d’autres personnes.»
Des séquelles multiples
En réalité, les personnes en fauteuil roulant ne constituent qu’une partie des personnes à mobilité réduite (PMR), qui représentent environ 30% de la population en Belgique, et pour lesquelles la voie publique reste inadaptée. Les trottoirs trop étroits, les bordures infranchissables, les obstacles à contourner, comme les trottinettes mal garées, peuvent conduire ces personnes à rouler sur la chaussée et, par conséquent, à s’exposer au danger. Cela peut également les dissuader de sortir de chez elles. «Forcément, s’il y a moins de personnes handicapées dans la rue, il y a moins d’accidents les concernant», remarque cyniquement Cléon Angelo, administrateur délégué de l’asbl Autonomia, lui-même en fauteuil roulant.
Malgré leur faible nombre, les accidents touchant les personnes en chaise roulante sont parfois violents et font les choux gras de la presse. Comme cet homme éjecté de son fauteuil par une voiture alors qu’il se rendait à l’hôpital d’Anvers avec sa compagne, également blessée1. Ou ce senior de 82 ans écrasé par la remorque d’un camion, juste devant la boulangerie où il s’apprêtait à entrer2. Quel que soit leur niveau de gravité, ces accidents peuvent aggraver un état de santé déjà fragile, laisser des séquelles aussi bien physiques que psychologiques. À cela peut s’ajouter l’angoisse générée par les procédures judiciaires pour se faire dédommager. «Une victime doit être proactive, rien n’est fait pour elle», relève Clarisse Rondia, juriste dans l’accompagnement des victimes de la route au sein de l’AWSR. Pour une personne en situation de handicap, «l’assurance devra indemniser les conséquences de l’aggravation de son handicap sur sa vie», ce qui, selon la juriste, peut complexifier l’expertise médicale en charge d’évaluer tous les impacts, et donc allonger la procédure.
Les trottoirs trop étroits, les bordures infranchissables, les obstacles à contourner, comme les trottinettes mal garées, peuvent conduire ces personnes à rouler sur la chaussée et, par conséquent, à s’exposer au danger. Mais cela peut aussi les dissuader de sortir de chez elles.
Par ailleurs, le nombre de personnes se déplaçant en fauteuil roulant à la suite d’un accident de la route n’est pas connu avec précision. En Wallonie, 16.526 personnes ont une paralysie des membres inférieurs, 19.896 en Flandre et 3.019 à Bruxelles d’après la Direction générale Personnes handicapées. L’origine de la pathologie n’est cependant pas connue. Une étude publiée en 2023 par le VIAS Institute3 révèle que parmi les blessés de la route soignés à l’hôpital en Belgique, 15% sont touchés au niveau des membres inférieurs. Ces blessures, précise l’étude, ont un impact important – souvent permanent – sur la santé et peuvent «sérieusement» restreindre la mobilité. «L’étendue des séquelles dues à un accident est tellement large que je ne crois pas qu’il soit possible d’en faire des pourcentages. Le fauteuil roulant est une petite partie des conséquences multiples», souligne Clarisse Rondia.
Favoriser la mobilité et la sécurité
Pour garantir la sécurité des personnes en fauteuil roulant, et celle du plus grand nombre, rendre l’espace public plus sûr et inclusif paraît crucial. Comment faire? Le Collectif Accessibilité Wallonie Bruxelles (CAWaB) milite pour que les trottoirs soient libérés de tout obstacle et, pour cela, demande d’imposer le stationnement des trottinettes, vélos et scooters en dehors des cheminements piétons, mais aussi de limiter leur nombre, ainsi que de mieux signaliser et baliser les chantiers. L’asbl Autonomia a, de son côté, développé plusieurs projets destinés aux personnes en situation de handicap. Elle a par exemple créé «Access All», une carte interactive de la capitale servant à planifier un itinéraire, «en tenant compte des difficultés» auxquelles la personne peut être confrontée. Les dalles podotactiles, la largeur des trottoirs et le niveau des pentes sont notamment indiqués. «C’est un outil qui favorise la mobilité et la sécurité», se réjouit Cléon Angelo. Avec l’initiative «Ça tient la route», l’asbl sensibilise également les personnes en situation de handicap qui conduisent, à travers des campagnes de communication qui rappellent l’importance de «mettre la ceinture, son casque, de ne pas boire d’alcool en conduisant, etc.», explique Cléon. Un sujet selon lui peu traité par les médias et les politiques auprès de ce public.
Le gouvernement wallon planche quant à lui sur un plan d’action visant à réduire de moitié le nombre de tués et de blessés dans des accidents de la route d’ici à 2030. Aucune mesure concrète n’a encore été prise, mais des moyens pour limiter la vitesse, cause majeure des accidents, figureront probablement dans les priorités, indique Belinda Demattia. La protection des usagers «vulnérables» fait aussi partie des discussions. «Il faudrait séparer ces usagers du reste des automobilistes, mais nos routes n’ont pas été créées pour… On manque d’espace», pointe la porte-parole.
1 «Un homme en fauteuil roulant grièvement blessé lors d’un accident», 7sur7, 28/3/2008.
2 «Tragédie ce dimanche après-midi devant la boulangerie: un homme (82 ans) en fauteuil roulant est mort, écrasé par la remorque d’un camion», SudInfo, 21/2/2021.
3 «Conséquences des accidents de la route en Belgique», VIAS Institute, 19/11/2023.