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Environnement/territoire

Wallonie. Une politique énergétique un peu éteinte

Il faut une puissante lampe torche pour voir clair dans les projets du gouvernement wallon en matière d’énergie. Beaucoup de zones d’ombre subsistent sur la politique qui va être menée. Les contraintes budgétaires ne sont pas la seule explication. L’Oliver a perdu sa branche verte et cela se voit. Exemples avec la tarification progressive de l’électricité mais aussi le frein mis au développement des énergies renouvelables.

© Flickrcc Benoît Deniaud

Il faut une puissante lampe torche pour voir clair dans les projets du gouvernement wallon en matière d’énergie. Beaucoup de zones d’ombre subsistent sur la politique qui va être menée. Les contraintes budgétaires ne sont pas la seule explication. L’Oliver a perdu sa branche verte et cela se voit. Exemples avec la tarification progressive de l’électricité mais aussi le frein mis au développement des énergies renouvelables.

La nouvelle tarification de l’énergie n’entrera pas en vigueur le 1er janvier 2015. La sentence de la Commission wallonne de l’énergie (Cwape), tombée le 10 juillet dernier, était sans appel: le système prévu est impraticable, en tout cas dans le délai fixé par le législateur. Sans rejeter totalement le projet phare de l’ancien ministre Écolo de l’Énergie, Jean-Marc Nollet, le régulateur wallon demandait un report jusqu’à 2017, le temps de mettre en œuvre un système informatique de partage de données entre les fournisseurs d’électricité et les gestionnaires du réseau. Exit la tarification progressive de l’électricité «solidaire et familiale», arrachée par Jean-Marc Nollet après de longs et pénibles débats au sein du gouvernement wallon? Le principe de cette tarification semblait simple et a priori favorable à deux tiers des Wallons. Il prévoyait une part d’électricité gratuite pour tous (de 400 à 800 kWh selon la composition du ménage et les revenus) mais également une augmentation du prix unitaire du kilowattheure au lieu de la dégressivité actuelle. Autrement dit, ceux qui consomment le plus devaient contribuer au financement d’une consommation de base pour tous. Le principe est simple mais les multiples corrections du projet initial sous la pression du cdH (surtout) et du PS l’ont rendu à la fois plus complet et plus compliqué. Trop? Tout le monde en convient. Le Réseau wallon pour l’accès durable à l’énergie (Rwade), qui regroupe les syndicats et plusieurs grandes organisations sociales et environnementales, a tout de même voulu porter secours au concept de tarification progressive, malgré la condamnation de la Cwape. Pas question, dit le Réseau wallon, de renoncer à ce projet. «Les difficultés techniques doivent être davantage objectivées et il faut que le nouveau gouvernement wallon mène un débat public sur ces obstacles.» Oui mais… La déclaration de politique régionale ne va pas vraiment dans ce sens. On y lit: «Tenant compte de l’avis de la Cwape soulignant l’impraticabilité de la tarification progressive…», le gouvernement wallon s’engage à «rechercher d’autres moyens de responsabilisation et d’équité en matière de consommation électrique.»

Cela ressemble furieusement à un enterrement de première classe. Pourtant, lors du débat sur la DPR au parlement, Paul Magnette s’est montré déjà plus nuancé et a promis d’examiner «la possibilité de mettre en place un système de tarification progressive de l’électricité». Dans l’opposition, le chef de groupe Écolo Stéphane Hazée ne s’était pourtant pas montré très agressif dans ses critiques. «À ce stade, nous explique-t-il, il est difficile de se positionner sur ce dossier parce qu’on ne sait pas ce qu’ils vont faire. On sait seulement qu’ils veulent revoir le projet parce que c’est un projet Écolo mais les propos sont très ambigus. Ils peuvent tout aussi bien laisser les choses telles quelles en reportant le moment de l’entrée en application, revoir le projet et le simplifier, ce qui serait une manière de se rapprocher du projet Nollet initial ou rester au statu quo mais ce serait alors un échec pour eux également.»

Le ministre chargé de l’Énergie, Paul Furlan (PS), a – un peu – dévoilé ses intentions en assurant que la tarification progressive de l’énergie serait son «dossier prioritaire» dès la rentrée. Comment et sur quelles bases? Va-t-on, comme le suggérait la Cwape, vers une allocation progressive pour tous les ménages, quelle que soit la composition familiale, en attendant une réforme en profondeur du système informatique des gestionnaires du réseau de distribution? Le cabinet du ministre ne semble pas encore trop bien le savoir: «Nous travaillons avec l’administration et les opérateurs. On garde le principe de la tarification, on part du projet existant mais on l’adapte.»

Ne plus être le meilleur élève de la classe

La tarification progressive pourrait donc ne pas passer à la trappe. Cela devrait rassurer un peu les écologistes qui s’inquiètent face à d’autres mesures annoncées en matière de politique énergétique. C’est une marche arrière complète, dit Stéphane Hazée. Du point de vue du gouvernement wallon, c’est un «réajustement». Les objectifs wallons en matière de production d’énergie renouvelable? «Ils sont trop ambitieux et trop dogmatiques», a déclaré Paul Furlan à la RTBF. Outre l’attaque frontale contre Écolo, on comprend que la Wallonie ne souhaite plus trop en faire dans ce domaine. Au cabinet du ministre, on nous confirme: la Wallonie s’en tiendra aux objectifs contraignants fixés par l’Europe. Pas plus, pas moins. On va évaluer, calculer tous les coûts que représentent les mécanismes d’aide aux énergies renouvelables. Les éoliennes, grand sujet de fâcheries dans le gouvernement Olivier, sont particulièrement dans la ligne de mire. Leur installation fera l’objet d’un nouveau décret.

«Cet hiver, on va faire du délestage parce que le nucléaire a montré ses failles, constate Stéphane Hazée. Cela montre la nécessité de diminuer la consommation et de diversifier les sources de production. Mais il n’y a rien dans la DPR sur la biométhanisation ou la géothermie. On n’en parle même pas. Le seul élément positif, c’est la promesse de consacrer les sommes recueillies par la vente des quotas CO2 accordés à la Wallonie à des économies d’énergie dans les bâtiments publics. Mais en off, on dit aussi que cet argent sera bien utile pour boucher les trous du budget.»

Le souci de s’en tenir au strict prescrit européen, de développer une politique énergétique «à un coût sociétal supportable» est vraiment le fil rouge du programme de gouvernement wallon. On le découvre aussi dans les mesures annoncées en matière de logement. Le parc immobilier wallon, constate la DPR, est vétuste et ne répond pas aux standards énergétiques actuels. «L’amélioration énergétique des logements est une priorité mais ne doit pas devenir un frein à l’accès au logement», lit-on dans la DPR. Le gouvernement wallon annonce vouloir tenir compte des «enjeux sociaux et économiques de la construction et de la rénovation de logements». Les députés cdH l’ont félicité de faire ainsi preuve de «bon sens». Un (bon) sens qui convient aussi au secteur de la construction qui réclame des normes énergétiques moins sévères.

Au cabinet Furlan, on parle de trouver «un équilibre» pour éviter les surcoûts provoqués par une politique énergétique trop ambitieuse. Chez Écolo, on enrage. «Il y avait d’autres moyens de faire face au surcoût que cela représente. Dire qu’en abaissant les normes, on favorise l’accès à la propriété est une blague. Si on veut favoriser celle-ci, il faut voir le problème en amont, dans l’accès au crédit bancaire. Les pouvoirs publics peuvent agir par des mécanismes de crédit social qui peuvent prêter le montant lié à ce surcoût. Investir dans les normes énergétiques, c’est investir pour les gens. Se référer aux normes européennes en disant qu’il ne faut pas se montrer le meilleur élève, c’est reculer.»

Et profiter de l’absence d’Écolo dans le gouvernement? Le député en convient mais (r)assure: «Ce gouvernement reprendra certains dossiers qui sont déjà quasi aboutis. Mais en disant qu’Écolo s’est trompé, comme il le fera pour la tarification progressive. Si cela les amuse…»

À Bruxelles, on revoit, on évalue, on étudie aussi

Une fois réaffirmés les grands principes, comme celui d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre, l’essentiel de la politique énergétique du gouvernement bruxellois tient en quelques mots: rationalisation, évaluation.

On va rationaliser les mesures d’accompagnement des consommateurs. D’abord en créant un seul fonds de financement des travaux économiseurs d’énergie qui pourra octroyer des prêts sans intérêt aux ménages tant propriétaires que locataires ne disposant que de bas revenus. Ce fonds assurera aussi l’accompagnement social et budgétaire des plus précarisés, en concertation avec les CPAS. Le système actuel de prêt à taux zéro pour les ménages à bas revenu sera étendu, en concertation avec le Credal. Toujours dans un souci de simplification, le gouvernement bruxellois annonce un seul guichet commun pour les primes et autres aides à l’efficacité énergétique.

Les politiques d’évaluation visent en priorité le Code bruxellois de l’air, du climat et de l’énergie (Cobrace). Il sera, annonce le gouvernement, éventuellement revu pour «réorienter, voire supprimer» certaines mesures n’ayant pas un rapport «coût-efficacité» suffisant. Voilà qui ne rassure guère la députée Écolo Zoé Genot qui dénonce déjà une révision qui ne serait pas dictée par une réelle ambition environnementale alors que, du côté de la majorité, on se félicite de cette approche «pragmatique».

Le même pragmatisme justifie la réalisation d’un audit sur les primes accordées pour certains travaux visant à réduire la consommation énergétique. Il s’agit, annonce le gouvernement, de supprimer les «effets d’aubaine» et de concentrer ainsi l’aide financière aux plus défavorisés. Les économies ainsi réalisées pourraient permettre de mener, de manière prioritaire, des travaux d’isolation de certains bâtiments publics.

Des projets nouveaux? Pas vraiment. L’heure est vraiment aux économies dans la politique énergétique elle-même. Pas de nouveaux espaces verts non plus dans la capitale. Très logiquement, l’opposition Écolo ne s’y retrouve pas.

 

Aller plus loin

Alter Échos n° 371-372 du 06.12.2013: «Précarité énergétique: réduire la f(r)acture?» (n° spécial)

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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